Vue de l’exposition « Anarchitecture » de Gianni Pettena, Crac Occitanie – Sète, 2024. « Tunnel sonoro », 1966-2024. Structure en acier. Production Crac Occitanie. Costume (coton, métal). Courtesy de l’artiste et Galerie Salle Principale, Paris. Photo : Aurélien Mole.
Figure de proue de l’architecture radicale italienne, avec les collectifs Archizoom, Superstudio, Gianni Pettena (Bolzano, 1940) investit l’ensemble du Crac Occitanie à l’invitation de Marie Cozette. Retour à la nature, relation au vivant, consommation effrénée font partie des questionnements soulevés par ce pionnier inclassable à la charnière de l’Arte povera, du Land Art ou de l’art conceptuel. Ayant eu la chance de découvrir en 2021 sa démarche à travers Guillaume Désanges alors commissaire de la Verrière Hermès Bruxelles avec « Forgiven by nature », j’étais impatiente de voir rejoués les jalons de son parcours dans un tout autre contexte. Dès la façade du Crac le ton est donné avec l’installation mouvante et aléatoire « Forgiving architecture » constituée de bandes blanches réagissant sous l’effet des éléments, qui n’est pas sans rappeler Ice House, architecture spontanée de glace suivie de Clay House, recouvrement d’une maison avec de la terre crue, performances intuitives et manifestes de sa vision d’ « anarchitecte » terme qu’il emploie pour se définir en 1973 et titre retenu pour l’exposition de Sète. Le parcours commence avec Tunnel sonoro, œuvre imaginée dès 1966 mais jamais encore concrétisée, une production spéciale du Crac. Un tunnel d’acier de plus en plus étroit, un costume recouvert d’écailles et une vidéo de la performance d’Aloïs Aurelle qui tente de se frayer un passage dans cette forêt de métal. Métaphore de la vie comme le souligne Marie Cozette, assignations faites au corps et à la liberté de mouvement, cette sculpture se veut une ouverture au dialogue. Dans la salle suivante, Archipensiero (Archipensées) spectaculaire autant que discrète dans le choi de son matériau, du raphia, recouvrant entièrement une architecture de bois qui rappelle la forme d’un temple gréco-romain. La perception du regardeur varie selon l’angle choisi comme une anamorphose qui se déploie, l’odeur jouant aussi un rôle. Au fur et à mesure des allées et venues l’œuvre va évoluer dessinant une figure de la ruine, le spectateur étant partie prenante du processus. Déconstruire une icône de l’architecture classique et les catégories est au cœur du programme de Pettena autant théoricien, professeur que philosophe.
Dans la salle suivante trois œuvres sont mises en dialogue : magnifique Human Wall, constitué de traces de mains à la surface, Breathing Architecture, surface qui se décolle littéralement du mur et Presenza/ Assenza (Présence/Absence) performance-installation réalisée pour une commande du site de Pompéi où le corps de l’artiste imprime une mémoire dans la chair et l’épaisseur du temps. Avec Ombra une suite de manteau noirs sont comme figés par le truchement d’un dispositif d’assise pliable. L’on songe à Magritte ou aux photographies de Philippe Ramette dont on ne perçoit pas le mécanisme, au théâtre de l’absurde. Puis avec Wearable Chairs (Chaises portables) comme suspendues dans les airs et présentées en regard de la performance de 1971 réalisée à Minneapolis avec un groupe d’étudiants du College of Art and Design, Pettena explore une micro-architecture temporaire conçue avec des matériaux modestes directement en prise avec l’espace public. Avec Paper qui a été activée au moment du vernissage, vaste paysage de papier que chacun dessine à l’aide d’une paire de ciseau en se frayant un passage, l’on assiste à une sorte de cristallisation de toute la pensée de l’artiste : processus de délégation, refus de l’autorité, énergie collective. Un pénétrable immense dont on mesure encore mieux les dimensions à l’étage du Crac où sont présentées plusieurs vidéos.
Gianni Pettena Architecture-Nature 2011, Dessin Courtesy de l’artiste et Salle Principale-Paris-© Studio-Gianni-Pettena
Parmi cette sélection Architecture + nature a une résonance particulière dans cette région du sud avec ces vagues qui vont lécher et peu à peu faire disparaitre le mot architecture inscrit sur le sable. Economie de moyens toujours pour un impact maximum. Egalement La mia casa all’Elba (Ma maison sur l’île d’Elbe), véritable expérience vernaculaire pour Pettena, d’un retour à l’essentiel dans ce territoire préservé. Une « ruine rendue habitable » et seule construction jamais réalisée où plusieurs artistes sont venus en résidence et ont laissé des œuvres. Une utopie collective où l’on se dépouille de ses habits de citadin. Un concentré de ce véritable art de vivre que revendique Pettena et magnifiquement évoqué dans cette exposition d’une grande cohérence et qui fera date.
Gianni Pettena est représenté en France par la Galerie La Salle Principale (Paris), relire mon interview de la directrice Maryline Brustolin à l’occasion d’Art-0-rama (lien vers).
A noter que dans une logique d’écologie de moyens et de pratiques, l’exposition est une coproduction avec le Frac Centre où elle sera présentée à partir de septembre 2014.
Après l’exposition « Fernand Deligny, légendes du radeau », défenseur de pratiques expérimentales autour de l’autisme, Marie Cozette inscrit une programmation engagée et qui va au-delà des catégories et hiérarchies de l’art.
Infos pratiques :
Gianni Pettena
Anarchitecture
Jusqu’au 1er septembre 2024
Programmation en résonance
Entrée libre et gratuite
A suivre prochaines chroniques autour des exposition du Mrac Occitanie à ne pas manquer également lors d’une visite de la région.