Interview Sylvie Zavatta : la décennie gagnante du Frac Franche-Comté

Frac Franche-Comté, Cité des arts, Besançon © Kengo Kuma & Associates / Archidev
Photo : Nicolas Waltefaugle

Inauguré le 5 avril 2013, le Frac Franche-Comté conçu par Kengo Kuma et porté par une volonté politique forte, a su répondre aux nombreux enjeux qu’il symbolisait. En 10 ans ce sont pas moins de 70 expositions organisées sur l’ensemble du territoire et une collection totalisant 780 oeuvres qui témoignent de son rayonnement en France et à l’international. Sylvie Zavatta, directrice, revient sur le chemin parcouru et les ambitions qui l’anime pour les années à venir malgré les doutes et inquiétudes autour d’un budget de fonctionnement impacté par un contexte économique difficile. Elle reste néanmoins convaincue des forces vives qui la poussent à toujours aller de l’avant pour envisager de franchir le cap des Frac 3ème génération. Parmi les temps forts de cette saison anniversaire, l’exposition Les Figures du Vide, la sortie de l’édition spéciale Une Décennie, une conférence de Kengo Kuma et une performance d’Anne Rochat dans le Doubs.

Sylvie Zavatta directrice Frac Franche-Comté
  • Avec quel état d’esprit abordez-vous les 10 ans du Frac ?

En s’installant à la Cité des arts, bâtiment conçu par Kengo Kuma au cœur de Besançon, le Frac Franche-Comté entrait dans le cercle restreint des Frac dits de deuxième génération, mais surtout, il allait pouvoir enfin être mieux identifié et offrir aux publics de façon permanente des expositions et une programmation culturelle.

Pour mémoire, l’inauguration de ce bâtiment le 5 avril 2013 était l’aboutissement d’un projet d’ampleur initié en 2005 par le conseil régional de Franche-Comté et le Grand Besançon, avec le concours de l’État.

Il s’agit de plus d’un bâtiment magnifique, à la fois impressionnant et à dimension humaine, qui entre en résonance avec son projet artistique autour de la question du Temps, dimension qui est une composante essentielle des projets de Kengo Kuma.  

Le Frac y a présenté, au cours de ces 10 dernières années, pas moins de 70 expositions, et, ce faisant, les œuvres de 540 artistes

70 expositions, ce n’est pas rien. C’est pourquoi, et dans la mesure où notre politique éditoriale au cours de ces 10 dernières années ne comportait pas de catalogues d’exposition, nous avons souhaité réaliser pour cet anniversaire une édition qui les rassemble toutes. 

Il est important de préciser par ailleurs qu’avec ce bâtiment le Frac ne s’est pas pour autant sédentarisé.  À partir de ce port d’attache, il a mené une intense politique de diffusion et de sensibilisation hors les murs, avec près de 120 projets qui ont nécessité l’intervention de nos équipes dans des lieux aussi divers que des crèches, des établissements scolaires (de la maternelle au lycée), des structures de l’enseignement supérieur (université, écoles d’art), mais aussi dans des structures médicales et sociales, telles le CHU et des maisons de retraite, ou en milieu carcéral. Et bien sûr chez des partenaires culturels : musées, médiathèques ou bibliothèques, mais aussi à la scène nationale du Creusot qui s’annonce être un partenaire sur le long terme.

À cela s’ajoutent depuis 2015 les 58 sorties de notre satellite. Et les écoles des médiateurs proposées chaque année dans des établissements scolaires de la région.

L’ensemble de ces expositions et projets a touché près de 155 000 personnes, malgré les deux années covid. 

Enfin, la diffusion de notre collection s’est intensifiée en région, mais aussi en France et à l’international, preuve qu’elle fait l’objet d’une large et belle reconnaissance, avec des prêts d’œuvres à des institutions aussi prestigieuses que le Centre Pompidou, les Biennales de Lyon et de Berlin, le musée d’Art moderne de Salzbourg, le musée Tinguely à Bâle, ou encore le Wiels à Bruxelles.

C’est bel et bien grâce à cet équipement, qui a permis également de mieux nous identifier, que nous avons eu la capacité d’accomplir ce travail puisqu’il s’est avéré à la hauteur de nos ambitions, et bien évidemment, à celle des exigences professionnelles relatives à nos responsabilités et missions.

Un anniversaire est toujours l’occasion de faire un retour sur le passé et j’ai pu ainsi mesurer le travail accompli par ce Frac qui, jusqu’en 2013, ne possédait pas de lieu propre. Ce bilan positif ne constitue nullement un satisfecit personnel, car c’est à nos partenaires régionaux que nous le devons, qu’ils relèvent des arts visuels ou d’autres disciplines artistiques, aux membres de notre comité d’acquisition, au soutien de l’État et de la Région mais aussi et surtout à toute une équipe extraordinairement engagée dans le projet artistique et culturel que je porte.

Vue de l’exposition Les Figures du Vide, Frac Franche-Comté, 2023.
Ryoji Ikeda, test pattern [n°4], 2013. Collection Frac Franche-Comté
© Ryoji Ikeda. Photo : Blaise Adilon

  • L’exposition Les Figures du Vide a-t-elle bien valeur de manifeste ?

Je ne sais pas si je retiendrais le terme de manifeste mais toujours est-il que l’exposition propose de revisiter la collection à travers 10 œuvres emblématiques du projet artistique de ces 10 dernières années. Tout comme 70 expositions que nous avons présentées à la Cité des arts, au cours de la décennie écoulée, celle-ci est le reflet d’une collection qui, à compter de 2006, s’est structurée autour des notions de durée, de mouvement, d’espace, d’entropie, de mémoire… toutes corollaires de la notion de Temps, et qui s’est ouverte, de façon progressive et logique, à des œuvres sonores, performatives, immatérielles ou encore résolument transdisciplinaires.

Le titre de l’exposition a pour point de départ le bâtiment lui-même : que nous a livré Kengo Kuma en 2013 sinon un écrin, un espace vide – pour reprendre le titre d’un livre du metteur en scène Peter Brook ? Un espace vide que nous nous sommes employés à faire vivre, à peupler, ce que nous faisons encore aujourd’hui avec cette exposition composée d’œuvres de 11 artistes (7 femmes et 4 hommes).

L’exposition est composée d’œuvres inédites en ce lieu car récemment acquises et d’autres déjà montrées au cours de ces dix dernières années. Parmi les premières figurent les installations de William Forsythe et La Ribot, ainsi que les vidéos d’Anne Rochat et d’Abdessamad El Montassir ; parmi les secondes, les œuvres de Pauline Boudry & Renate Lorenz, Robert Breer, Susanna Fritscher, Ryoji Ikeda, Georgina Starr, Esther Ferrer.

Toutes abordent la question du corps, qu’il soit physique ou social : les corps solitaires du Float de Robert Breer, à la dimension anthropomorphique, glissant lentement dans l’espace, ou de la fragile danseuse de Georgina Starr suspendue dans les airs ; les corps solidaires des silhouettes gémellaires d’Esther Ferrer,  ceux d’Anne Rochat et de son frère partageant leur oxygène au fond d’un lac, ou bien encore ceux des musiciennes et performeuses queer scénographiées par Boudry & Lorenz, cherchant l’harmonie et faisant écho à d’autres corps, ceux des invisibles, ceux des oubliés et des minorités auxquels s’intéressent La Ribot et Abdessamad El Montassir. Sans oublier ceux des visiteurs invités à éprouver physiquement les installations de William Forsythe et de Susanna Fritscher, ou à s’immerger dans celle d’Ikeda pour expérimenter les limites de la perception visuelle et sonore. Ceux enfin des œuvres elles-mêmes, qui toutes s’inscrivent dans l’espace vacant des salles d’exposition pour le faire vivre un temps, comme autant de figures du vide.

  • Quels autres temps forts ponctuent cette saison anniversaire ? La venue de Kengo Kuma à Besançon ?

Comme je viens de le mentionner, il y aura la sortie de notre édition intitulée Une Décénnie, composée de 10 ouvrages (un par année), chacun enrichi d’une fiction écrite par une autrice ou un auteur s’inspirant librement de l’année de son choix, à savoir par ordre chronologique : Théo Casciani, Célia Houdart, Olivia Rosenthal, Yves Ravey, Christophe Fiat, Chloé Delaume, Jean-Michel Espitallier, Anne-James Chaton, Mariette Navaro et Jakuta Alikavazovic.

Elle paraîtra à l’automne et son lancement se tiendra le 28 octobre, dans le cadre du finissage de l’exposition Les Figures du Vide.

Les cinq autrices et les cinq auteurs seront présents pour proposer lectures et performances. Cette rencontre publique prendra par ailleurs la forme d’un plateau radio et sera diffusée en direct sur Radio Campus.

Mais au préalable en effet, Kengo Kuma viendra faire une conférence le 30 septembre pour nous présenter ses réalisations de type muséal depuis 10 ans.

Autre événement important le 16 septembre, la performance d’Anne Rochat dans le Doubs, une façon de rejouer « en live » l’œuvre présentée au sein de l’exposition Les Figures du Vide.

Vue de l’exposition Les Figures du Vide, Frac Franche-Comté, 2023.
Anne Rochat, SpO2, 2022. Collection Frac Franche-Comté
© Anne Rochat. Photo : Blaise Adilon
  • Comment projetez-vous l’avenir du Frac ?

Avec ce bâtiment, le Frac a enfin pu réaliser une multitude de projets, conserver dans des conditions optimales sa collection qui comprend désormais 790 œuvres, développer d’innombrables actions de médiation, inviter une quarantaine de créateurs en résidence, soutenir la création par des acquisitions et des productions d’œuvres et proposer une bibliothèque consacrée à l’art contemporain.

Je suis partagée entre inquiétude et désir irrépressible d’aller de l’avant.

Inquiétude parce, du fait du contexte économique, la Région ne nous a pas donné de subvention d’acquisition cette année, ce dont pâtissent les artistes en premier lieu ; inquiétude parce que cette année, nous avons été aussi fortement impactés sur notre budget de fonctionnement par les hausses du coût de l’énergie – et qu’il semblerait que la situation perdure l’année prochaine. Inquiétude parce que si la baisse de moyens en fonctionnement se confirmait en 2024, cela nuirait gravement au projet artistique et culturel du Frac, seule variable d’ajustement, avec des dégâts collatéraux à nouveau pour les artistes, mais aussi pour les publics. Inquiétude enfin parce que dans ce contexte, il est extrêmement difficile de se projeter à court terme, y compris pour les expositions de 2024 pour lesquelles je me suis déjà engagée auprès des artistes.

Mais aussi la volonté de ne rien lâcher de ce qui fait la dynamique qui est la nôtre et la philosophie des Frac. Je fais donc le rêve que tout en maintenant le niveau et la qualité de nos propositions à la Cité des Arts, tout en continuant notre mission de soutien à la création par l’acquisition d’œuvres, l’État et la Région nous accompagnent, avec d’autres collectivités, dans le projet d’un partage élargi et pérenne de notre collection, par la création d’antennes du Frac en région. 

Ainsi, le Frac serait acteur d’un aménagement culturel du territoire plus harmonieux et plus égalitaire. 

Ce Frac est prêt aujourd’hui à amorcer son entrée dans une troisième génération afin de mieux répondre encore aux besoins de ceux qui vivent dans les territoires ruraux, et dont on a vu, ces derniers temps, qu’ils aspiraient à une décentralisation plus aboutie. Il s’agit bien entendu d’un choix politique. J’espère que cette proposition trouvera une écoute bienveillante.  

Donc ne pas céder au défaitisme mais relever au contraire le niveau de nos ambitions, fussent-elles de l’ordre de l’utopie.

Infos pratiques :

Les figures du Vide

Exposition collective

jusqu’au 29/10/23

Saison anniversaire

Frac Franche-Comté

2 passage des Arts, Besançon

www.frac.franche-comte.fr