Gérard Titus-Carmel Herses- Peinture n° 2 2018 Collection particulière @ADAGP, Paris 2022 courtesy the artist
Après l’exposition de François Boisrond qui a remporté un grand succès cet été, Stéphane Tarroux, directeur du Musée Paul Valéry propose une traversée en profondeur de l’œuvre de Gérard Titus Carmel, peintre, graveur et poète. L’exposition intitulée Forestières & autres arpents, rassemble près de 160 peintures, dessins et livres illustrés, réalisés entre 1995 et 2022. Il revient sur la genèse de cet ambitieux projet alors que le Musée rend hommage par ailleurs à l’artiste et poète Jean-Luc Parant dont le compagnonnage avec Sète est souligné à l’occasion. Si Sète a toujours été une ville d’artistes l’accent mis sur la création émergente est également l’un des axes suivis par Stéphane Tarroux qui souhaite mettre le musée à la disposition des artistes comme à l’occasion de la résidence menée actuellement avec le Crac Occitanie et l’Ecole des Beaux-arts. Un écosystème vertueux qui contribue au renouvellement de l’inspiration des artistes et au dynamisme du territoire. L’année 2023 culminera avec l’exposition dédiée à Martial Raysse autour d’importants prêts de la Collection Pinault, du Centre Pompidou et de la galerie kamel mennour. Stéphane Tarroux a répondu à mes questions.
Quelle vision vous anime pour le Musée Paul Valéry ?
Je souhaite favoriser plusieurs axes de développement. D’une part le Musée Paul Valéry s’est construit à partir de son fonds littéraire qui lui donne son nom. C’est donc un musée qui entretient un rapport particulier avec la littérature et la poésie. D’autre part, le Musée est un musée dédié à la peinture à partir de collections modernes et contemporaines. Les collections modernes réunissent des peintres français des années 1930, 40 et 50 marqués par l’héritage du cubisme et du fauvisme. Les peintures contemporaines sont construites à partir d’artistes comme Robert Combas et Hervé Di Rosa. Des artistes plutôt figuratifs qui utilisent la couleur dans toute sa pureté et sa violence.
L’exposition Jean-Luc Parant « En mémoire du merveilleux » est en partie liée aux circonstances de sa disparition même si Maïthé Vallès-Bled l’avait déjà intégré aux collections. De plus des liens proches se sont noués entre l’artiste, le musée et la ville de Sète où il s’installe en 2017, l’exposition prenant ainsi place dans cette relation suivie.
En ce qui concerne Gérard Titus-Carmel l’exposition avait été dans un premier temps imaginée par Maïthé Vallès-Bled puis abandonnée. J’ai relancé le projet avec l’artiste et mené à son terme.
Quels partis pris vous ont-ils guidé ?
De la même manière que pour l’exposition de François Boisrond je souhaitais donner à voir une profondeur historique sur le travail de Gérard Titus-Carmel. Trouver une thématique et pouvoir la décliner depuis son origine jusqu’à aujourd’hui. J’aime quand on a la possibilité de suivre le parcours et le développement d’une œuvre sur la durée. La forêt est un thème qui découle de son travail sur le Retable d’Issenheim. Le paysage de nuit qui l’obsède nécessite, à un moment donné une rupture. Les forêts naissent avec ces toiles où la réserve est très importante et illumine totalement le motif.
Revenons au phénomène de l’enneigement, de la dé-peinture
Cela remonte à une performance qu’il a exécutée à Volx dans les Alpes de Haute-Provence au musée de l’Olivier où il choisit une vision biaisée de ces arbres réduits à leurs troncs et nœuds. Six mois plus tard plutôt que de repeindre la paroi et d’effacer ces motifs, il a choisi de « dépeindre », de retirer la forme jour après jour. C’est le processus inverse de la création.
Le rapport de Titus-Carmel au Japon
Il est d’abord biographique, quand au moment de la disparition de sa première épouse, Titus-Carmel décide comme une rupture, de quitter l’Europe pour aller voyager au Japon. Mais il est fasciné depuis longtemps par la culture japonaise et son travail s’en ressent dans cette épure de la forme. Comme le signe de l’écriture japonaise, le dessin-dessein a été réduit aux lignes essentielles, non seulement dans sa vie avec cet incident personnel mais aussi dans l’écriture et le dessin.
Le rapport avec Matisse
Ayant été formé à l’Ecole Boule et travaillé sur l’ornement, cela fait partie de sa main et de son regard. Si dans un premier temps Titus Carmel était plutôt critique sur un peintre comme Matisse, il en comprend plus tard le sens et la profondeur autour de la notion de motif. Cela se remarque dans les Viornes & Lichens en particulier.
Le lien à la série
On a l’impression chez lui que la série est un espace temporel clos avec un début et une fin. La première œuvre comme le premier vers en poésie ou comme en musique le premier motif, est ensuite développé jusqu’à épuisement. En réalité chaque série lui apporte une révélation qui peut être le déclencheur d’une autre. Si l’on prend la série des Herses qui clôture l’exposition il la rapproche de son travail sur Grünwald, même s’il s’agit de la main de Marie-Madeleine, réduite à l’essentiel.
Le catalogue qui accompagne l’exposition
Outre ma contribution j’ai sollicité les poètes James Sacré et Jean Marie Gleize par ailleurs professeur à l’Université de Provence-Aix-Marseille et auteur de plusieurs ouvrages sur le travail de Titus Carmel et l’expérience de l’enneigement.
Programmation à venir
Comme chaque année nous nous inscrivons dans trois temps forts. Au printemps nous proposerons une exposition sur Thomas Verny, peintre qui travaille à l’Ecole des Beaux-arts de Sète. Il s’intéresse beaucoup à la lumière dans le paysage et emploi le pastel. Notre grande exposition estivale sera dédiée à Martial Raysse autour d’œuvres récentes. Nous aurons une soixantaine de tableaux avec des prêts de la Fondation Pinault, la galerie kamel mennour, du Centre Pompidou et des œuvres de l’atelier de l’artiste. L’hiver 2023 nous nous concentrerons sur l’artiste Orsten Groom, représenté par la galerie Templon.
La place de l’émergence et des artistes du territoire
C’est très important et cela explique l’accent mis sur Thomas Verny. Il rejoint certains peintres de la collection des années 1930 à 50 qui ont représenté la ville de Sète. Il perpétue ainsi cette tradition.
Le programme de résidence avec le Crac : quelles synergies possibles ?
Il est toujours difficile d’arriver à fusionner les programmations avec un autre établissement de cette importance. Je suis allé rencontrer Marie Cozette dès mon arrivée et nous avons convenu d’essayer, dans un premier temps, de trouver des habitudes communes de travail. La résidence de l’artiste anglaise Lucy Green s’inscrit dans le cadre du programme Magnetic initié par l’Institut français du Royaume-Uni avec Fluxus qui réunit 8 lieux pour des résidences d’une durée de 2 à 3 mois, 4 en France pour les artistes basés au Royaume-et 4 au Royaume Uni pour les artistes basés en France. Cela a mobilisé le Musée Paul Valéry qui l’accueille concrètement, le Crac Occitanie et l’Ecole des Beaux-arts. Nous créons ainsi une synergie pour permettre à des artistes de venir travailler à Sète, ville qui réunit 500 artistes. Ce qui m’intéresse au-delà de la création contemporaine est son inscription ici même. Nous souhaitons intégrer véritablement le musée dans l’œuvre de l’artiste accueilli. Ainsi de François Boisrond qui a dessiné et peint entre juillet et septembre, à un moment charnière de sa vie suite à son départ de l’Ecole des Beaux-arts. Cette résidence lui a permis de changer d’état d’esprit et de se remettre au travail même si cette dimension n’était pas prévue au départ.
Qu’est ce qui définit selon vous cette scène artistique sétoise ?
Un rapport au paysage et à la lumière avec une filiation aux ainés que ce sont Di Rosa et Combas mais aussi Jean Denant dont l’univers très différent, semble presque extérieur à la ville de Sète même si la thématique qu’il poursuit est profondément ancrée dans ce territoire qui s’est trouvé à un moment donné, bouleversé par l’urbanisme et la promotion immobilière si l’on songe à la Grande Motte par exemple.
Catalogue Gérard Titus-Carmel aux éditions Loubatières
Infos pratiques :
Gérard Titus-Carmel Forestières & autres arpents
jusqu’au 12 février
Jean-Luc Parant En mémoire du merveilleux