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Elodie Bouffard, sur les Routes de la soie, de Samarcande à l’Institut du monde arabe !

Vue d’exposition « Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or » Institut du Monde Arabe 

Samarcande et Boukhara, villes rivales légendaires d’une région à la croisée des routes de la soie dont les noms dégagent un puissant imaginaire fait d’oasis fertiles, de conquérants assoiffés d’or, de glorieux cavaliers des steppes, de caravansérails immenses, de broderies aux 1000 couleurs. Carrefour du monde aux confins de la Chine, de la Perse, la région de la Transoxiane, actuel Ouzbékistan développe un savoir-faire artisanal qui perdure quel que soit les invasions et dissensions  religieuses. Les textiles deviennent un vecteur de syncrétisme dans toute la région, gage d’apparat et de pouvoir du khan ou de l’émir ou d’intimité partagée dans les intérieurs feutrés des familles. Samarcande règne entre mosquées, palais,  bazars.. se disputant les meilleurs artisans avec Boukhara où la dynastie des Manghits encourage un artisanat qui atteint son apogée à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Chapans brodés d’or offerts aux ambassadeurs, robes talismaniques, suzanis de fils de soie aux vertus protectrices, tapis de laine des steppes, ikats aux multiples motifs.. ces merveilles nous sont révélées par l’Institut du monde arabe en collaboration avec la Fondation pour le développement des arts et de la culture de la République d’Ouzbékistan qui vise la promotion de la culture ouzbèke à l’échelle internationale. Quand art et diplomatie se rencontrent. Elodie Bouffard, responsable du service des expositions de l’Institut du monde arabe et l’une des commissaires, revient sur la genèse de cet ambitieux projet partagé avec le Musée du Louvre, le rôle fédérateur joué par les textiles dans cette région d’Asie Centrale, le caractère exceptionnel d’œuvres jamais encore sorties d’Ouzbékistan et le travail de restauration entrepris avec la Fondation. Elle a répondu à mes questions au milieu de ce parcours féérique qui n’est pas sans rappeler les Mille et Une nuit.

Élodie Bouffard est responsable du service des expositions de l’Institut du monde arabe et commissaire d’exposition.

Elle s’est investie de 2007 à 2012 dans la valorisation du patrimoine du bassin méditerranéen à travers la coordination du projet artistique et culturel européen Qantara, patrimoine d’Orient et d’Occident, et a organisé des manifestations internationales en France et à l’étranger. Elle a rejoint en 2009 l’Institut du monde arabe qui l’a conduit à assurer l’encadrement d’équipes pluridisciplinaires et le commissariat d’expositions majeures : Les Mille et Une Nuits (IMA, 2012) ; Basmoca, Musée virtuel d’art contemporain (Arabie saoudite, 2015) ; Hajj, le pèlerinage à La Mecque (IMA, 2014) ; Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire (IMA, 2017-2018) ; et plus récemment Divas Arabes, d’Oum Kalthoum à Dalida et Juifs d’Orient (IMA, 2021).

Elodie Bouffard

Quelle est la genèse du projet entre la Fondation pour le développement de l’art et de la culture de la République d’Ouzbékistan, l’IMA et le musée du Louvre ?

Le Louvre avait entamé ce projet de longue date du fait de ses collaborations avec les institutions ouzbèkes. L’IMA en parallèle développait l’amorce d’un projet sur les Routes de la soie avec le Musée national de Pékin dans lequel l’Ouzbékistan par le biais de la Fondation, avait intégré les échanges avec l’idée de tisser un lien autour de l’Asie Centrale. Le Covid étant passé par là avec des programmations fortement impactées, nous ne pouvions plus envisager un déploiement avec Pékin. C’est alors que nous avons poursuivi nos échanges avec la Fondation autour d’un projet d’exposition qui agirait en complément avec les enjeux abordés par le Louvre. C’est ainsi qu’est née l’envie de liens croisés entre nos institutions avec d’un côté une partie archéologique qui va jusqu’à la période Timuride pour le Louvre, l’IMA se focalisant sur la fin du XIXème-XXème siècle.

En quoi le contexte historique et géopolitique influence-t-il une forme de syncrétisme artistique ?

Nous sommes dans un espace qui a été le carrefour du monde pendant des siècles au croisement de populations dont les échanges intellectuels, philosophique sou religieux encouragent une magnifique hétérogénéité. L’espace s’est constitué à partir de cultures et de langues diverses : iraniennes, turques, mongoles… comme cela est mis en avant au Louvre, avec à partir du XIXème siècle un contrat symbolique entre différentes ethnies, cultures ancestrales  et univers de croyances qui, rapportées à une proximité de vie, génèrent des zones d’hybridation très fortes. Ce basculement entre le XIXème et XXème dans un espace qui se redéploye géopolitiquement et économiquement  autour des emblématiques productions de la soie et de la borderie d’or, est ce dont témoigne notre exposition. C’est ainsi que l’on évoque un art de cour, d’apparat et de pouvoir et en ce qui concerne les pratiques domestiques, à la fois des créations urbaines et des références aux steppes et zones montagneuses. Nous mettons volontairement l’accent  autour de la confrontation d’espaces qui sont proches comme par exemple l’espace de Khiva ou Nourata avec des influences qui persistent et de multiples imbrications nouvelles.

Comment l’art du textile devient-il un véhicule culturel et politique puissant dans toute cette région ?

Cette exposition XIXème-XXème à travers l’évocation de l’art du textile, se penche sur un élément majeur en tant qu’expression politique, culturelle et sociale. En s’intéressant au vêtement nous sommes au cœur d’une lecture historique et culturelle. Nous soulignons la richesse de cet espace et l’implication historique et ancestrale qui ressurgit dans ces pratiques. Le textile dans un cadre urbain accompagne la vie en Asie Centrale dans un monde arabo-musulman. Il est aussi un signe distinctif de dignitaires.

Un certain nombre de pièces sont rarissimes et encore jamais sorties d’Ouzbékistan, comme cette coiffe de mariée « Tobelik » dont il n’existe que deux exemples dans le monde

En effet il en existe deux, l’un à Noukous, l’autre à Moscou. Ces œuvres étant très fragiles, l’enjeu pour nous était aussi leur conservation. Nous avons entrepris un important travail de restauration en accord avec la Fondation qui a tout mis en œuvre pour que nous puissions présenter les pièces que nous jugions emblématiques de notre projet. Nous avons eu la chance de bénéficier de ce soutien.

Quel est l’impact de la conquête russe sur les productions artistiques ?

La plupart des œuvres qui sont conservées dans des musées en Russie sont des pièces de collection qui ont voyagé en Russie mais il est intéressant de mettre en avant les collections ouzbèques qui ont perduré et qui sont mises en valeur actuellement par un projet muséographique très ambitieux mené au sein du pays. Puisque nous nous concentrons sur la période fin XIXème début XXème, cela correspond à la période de domination tsariste avec la mise en place du Turkestan et la chute de l’émir en 1926. Nous ne sommes pas dans un basculement complet des pratiques qui interviendra plus tard avec la question de l’industrialisation de la production textile pendant la période soviétique. Le tournant se fait autour de la mise en avant de la culture du coton avec l’emploi également de la soie, conjointement aux produits importés des usines russes.

Quel rôle va jouer l’avant-garde russe pendant l’ère soviétique ?

Au tournant du XXème siècle, de nombreux artistes soviétiques découvrent et entretiennent une fascination pour  le Turkestan, ce qui se retrouve dans leur quête de paysages et de couleurs de l’Asie Centrale. Des peintures où l’ailleurs et l’exotisme transcendent les styles. Elles proviennent de la collection d’Igor Savisky qui lance un ambitieux projet de sauvegarde. Il va permettre de sauver une grande partie des avant-gardes picturales russes mais aussi une grande partie des collections en lien avec la région du Karakalpakstan autour de la mer d’Aral, de Khiva, de Nichapour, une région stratégiquement très importante dans laquelle se trouve ces œuvres très rares que nous avons évoqué au début de cet entretien.

Igor Savitsky est en quelque sorte le héros de ce projet ?

En effet. Son rôle a été décisif.

Infos pratiques :

« Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or »

Jusqu’au 4 juin 2023

Expositions | Institut du monde arabe (imarabe.org)

« Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan »

Jusqu’au 6 mars 2023

https://www.louvre.fr/