Raymond DEPARDON, La France, CRIEL-PLAGE
« Contre vents et marées, le festival de Deauville demeure une sorte d’îlot protégé où l’on peut regarder autour et produire en toute liberté »
Avec pour mot d’ordre « Jouir sans entraves », la 13ème édition de Planches Contact poursuit son exploration bouillonnante de Deauville et son territoire aux cotés d’une trentaine de photographes invités en résidence avec pour unique envie d’élargir les regards, de briser les frontières entre les disciplines et langages plastiques (photographie mais aussi architecture, vidéo, dessin, littérature ..) et multiplier les approches intergénérationnelles décalées. Jessica Lange, invitée d’honneur de cette édition renvoie naturellement à l’iconique festival du film américain qui a inscrit Deauville dans cette mythologie en marche. De plus, Raymond Depardon, Bettina Rheims, Georges Rousse, The Anonymous Project, Francesco Jodice, Omar Victor Diop..ou les photographes émergents (Tremplin Jeunes Talents) nous invitent à aller vers les terres inconnues et les surgissements du hasard, que l’on soit à la plage, aux Franciscaines, sur la verrière de la piscine olympique ou dans toute la ville. Laura Serani, instigatrice depuis 2019 de ces archipels du possible est revenue sur ce qui l’anime depuis le départ, sa vision de la photographie et en quoi la formule des résidences est une réelle opportunité pour les artistes dans la période troublée que nous traversons. Elle a répondu à mes questions à quelques heures de l’ouverture au milieu des derniers échafaudages d’installations souvent spectaculaires.
Commissaire d’expositions et auteure, Laura Serani a dirigé de 1985 à 2006, la Collection photographique de la Fnac et son réseau de galeries photographiques en France et à l’étranger.
Déléguée artistique du Mois de la Photo (2014 et 2008), Laura Serani a été directrice artistique des Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la photographie au Mali de 2009 à 2014 et d’autres festivals en Italie. Elle est la directrice artistique de Planches Contact depuis janvier 2019.
Quel bilan faîtes-vous depuis votre arrivée au festival ?
Il m’est difficile de répondre en toute objectivité mais quand le festival m’a été confié en 2019 je m’étais engagée par prudence au départ pour un an, ne connaissant pas bien Deauville et le territoire et là , je m’aperçois que j’ouvre ma 4ème édition ! Le bilan de mon point de vue est très positif, m’étant beaucoup attachée à cette ville, à cette région, aux équipes et mesurant toutes les opportunités que permet le festival. Je vois grandir son impact à la fois sur la région et auprès du monde de la photographie, ce que je trouve plutôt encourageant. Le festival est véritablement un territoire d’expérimentation puisque nous favorisons les résidences d’artistes, ce qui est une expérience originale et différente du système des bourses ou des commandes. Une expérience importante pour les artistes et pour nous et passionnante dans la mesure où nous accompagnons les différentes phases d’un projet qui évolue, dans des conditions très porteuses de par l’engagement sans faille de la Ville.
Quelle démarche vous anime ?
J’essaie toujours d’avoir une vision éclectique, avec l’intention de s’adresser à un public large, varié et pas seulement averti, aussi par mon parcours, ayant travaillé longtemps pour les Galeries photo de la Fnac. Solliciter le public avec exigence, ouvrir les imaginaires et prendre le temps de s’arrêter dans un flux constant de sollicitations afin de montrer le réel et mêmes les images autrement, aussi par le biais de scénographies innovantes et « sur mesure » conçues cette année avec Jean-Charles Remicourt Marie. L’enjeux pour moi est d’investir la ville mais aussi de favoriser des rencontres inattendues, en multipliant les points de vue et en détournant les images afin d’inviter le regardeur à s’interroger. A travers le regard des photographes, chacun peut voir autrement la réalité ; ce que exprime parfaitement le film de Francesco Jodice qui a imaginé le fascinant projet : 44 things seen by an alien anthropologist in Normandy ou l’histoire d’un anthropologue extra-terrestre débarqué par erreur en terre normande. Derrière la candeur et la légèreté de ce regard, il explore des questions de fond que sont : la perception du réel, le rôle de la photographie aujourd’hui ,…
« Jouir sans entraves » : Quelle résonance selon vous aujourd’hui ?
Au moment d’écrire l’édito, je suis retombée sur cette photo de Cartier-Bresson datant de mai 1968. Si l’on a le sentiment que rien ne va dans ce moment particulièrement dramatique, ce cri de ralliement est une invitation à retrouver un certain esprit de révolte et en même temps à profiter de ce que nous avons. Le festival de Deauville est un îlot privilégié et protégé où les artistes peuvent travailler dans des conditions exceptionnelles. Même si le défi est de taille pour les photographes et pour le festival, produire, puis concevoir des installations et des expositions ambitieuses et un catalogue en peu de temps, nous disposons d’une grande liberté, d’une confiance précieuse et d’un soutien permanente dans chaque phase. Je suis juste consciente, après tant d’autres experiences de la chance que nous avons d’intervenir ici, de plus avec une équipe de rêve 🙂
Jessica Lange, invitée d’honneur devenue le point focal du Festival
Ce n’est pas ce que je voulais mettre en avant, mais la dimension glamour prend immanquablement le dessus ! L’origine de l’invitation remonte à une exposition au Multimedia Art Museum de Moscou en 2014, que j’avais beaucoup aimé, au-delà de la comédienne, je découvrais son talent et sa sensibilité de photographe. Depuis mon arrivée ici je souhaitais tisser des passerelles entre les différentes manifestations culturelles de Deauville, parmis lesquelles le festival du cinema américain, ce qui me semblait avoir du sens. J’en avais parlé à Anne Morin la directrice de diChhroma photography, qui travaille avec Jessica Lange et finalement ce projet a abouti . Je leur ai proposé une exposition transversale autour de différentes séries, une sorte de voyage à travers l’Amérique jusqu’au Mexique, auquel s’est ajoutée une sélection de photogravures inédites dont Jessica Lange nous a fait le cadeau de pouvoir exposer ici. L’exposition s’articule entre photos de famille, images de l’Amérique profonde et visions nocturnes où l’on retrouve de nombreuses références au cinéma et à cette école de la photographie américaine que l’on aime tant, vu par le prisme du regard d’une femme. Doublement intéressant.
Retour sur le principe des résidences : quels enjeux et visées ?
A l’origine les photographes invités en résidence étaient invités à travailler sur les identités de Deauville, j’ai proposé d’élargir le terrain de jeu à l’ensemble de la Normandie. Les enjeux sont de constituer une archive contemporaine subjective sur le territoire et en même temps de donner aux photographes invités en résidence les conditions de produire de nouveaux travaux qui voient la Normandie entre protagoniste ou décor. En parallèle aux photographes invités par nous, un Jury composé de Sarah Moon, Lionel Charrier (Libération), Babeth Djian (Numéro), Alain Genestar (Polka), Thierry Grillet (écrivain), Julien Guerrier (Ed. Louis Vuitton), Marin Karmitz, Edouard Carmignac, Philippe Augier (Maire de Deauville), Anne Lacoste (Institut de la photographie des Hauts de France) choisit chaque année cinq jeunes artistes, pour la section photographie émergeante. L’ensemble permet une grande variété de profils, de générations et de provenances. Chacun arrive avec son bagage et son expérience, cela donne un véritable foisonnement, pour une sorte de grand laboratoire en continu.
De plus, la fondation photo4food engagée dans une dimension sociale soutient 4 résidences supplémentaires selon une formule imaginée ensemble, les artistes bénéficiant du même accompagnement et « coaching ».
La période de résidence varie de quelques semaines à 3 mois et nous favorisons à présent des temps de résidence plus longs, ce qui permet aux photographes d’approfondir leur travail et d’aller plus loin dans leurs projets. A l’ouverture des Franciscaines – espace culturel innovant et remarquable, installé dans un ancien couvent, qui a donné des ailes et une dimension muséale au festival – nous avons lancé une nouvelle résidence hors les murs permettant de revisiter les archives de la Ville réunies aux Franciscaines. Joan Fontcuberta a été le premier à inaugurer ce principe d’exploration de la collection, grâce à un logiciel d’intelligence artificielle et un algorithme qui a généré de nouvelles œuvres. L’expérience se poursuit cette année avec Carole Benitah qui a choisi de réinterpréter un fonds importante de cartes postales sur Deauville, en élaborant une imaginaire « courbe du bonheur ».
L’invitation à The Anonymous Project
Il y a, entre autres, un espace que j’aime beaucoup à Deauville, une ex-petite bibliothèque de quartier près de la Mairie. Avec Lee Schulman et son incroyable collection, nous avons investit complètement ce lieu en le transformant en un trois-pièces habité par une famille dans les années 60. L’installation est visible uniquement de l’extérieur par les portes fenêtres, nous mettant dans la posture de véritables voyeurs. C’est aussi une façon de traiter la photographie de façon ludique. Une Storyville qui s’étend dans différents lieux comme les fameuses planches, où l’on croise sur les portes des cabines, des personnages un peu incongrus, dans leurs habits du dimanche. C’est la deuxième année que nous invitons The Anonymous Project à inventer avec nous des installations insolites dans des lieux inédits de la ville.
Programmation spéciale du Week-end d’ouverture
Au coeur des Franciscaines, dans le cloître, qui devient la maison du festival, nous proposons cette année des nombreuses initiatives : tables-rondes, projections, lectures de portfolios, workshops (Jean- Christophe Béchet et Max Pam avec la LEICA Akademie) sans oublier le Concours photo la 25ème Heure Longines, qui ouvre et ferme entre minuit et 1h du matin lors du passage à l’heure d’hiver. Et avec la complicité d’ Initial labo, Planète Initial, une plateforme d’échanges et de rencontres autour des techniques de tirage, des NFT, nouveaux « objets de désir » , de signatures et des rencontres avec des photographes.
Une longue fête ouverte à tous, du 28 octobre au 1er novembre, mais le festival et d’autres rendez-vous continuent ensuite jusqu’au 1er Janvier, avec les installations de Georges Rousse et de Bettina Rheims au Point de vue, celle de Raymond Depardon sur la plage, les expositions aux Franciscaines, et d’autres cycles de rencontres …
Infos pratiques :
Festival Planche(s) Contact
du 22 octobre au 1er janvier
Week-end inaugural : au programme
Venir au festival
Train
Liaison Paris Saint-Lazare / Trouville-Deauville : 2 h
Voiture
Distances depuis Deauville :
Paris : 200 km – 2 h
Rouen : 90 km – 1 h
Caen : 50 km – 50 min
Le Havre : 40 km – 45 min
Sortie de l’A13 Deauville puis suivre Deauville.