Paris + by Art Basel : Interview Philippe Joppin, High Art Paris-Arles

Philippe Joppin, Grand Palais Ephémère devant l’oeuvre de Julien Creuzet photo MdF

Depuis l’ouverture de Paris + il souffle sur la capitale et le Grand Palais Ephémère un vent de frénésie avec des stands « sold out » dès l’ouverture et la présence de collectionneurs jamais encore vus ici ! Mais est-ce vraiment une révolution et Paris n’a-t-elle pas les atouts et l’écosystème naturel pour tenir cette place en Europe même si son poids sur le marché de l’art international reste relativement faible ?  Un écart qui alimente le match qui l’oppose depuis longtemps à Londres, renforcé encore par le Brexit, même si la londonienne a encore quelques cartes en main ! Nous avons voulu recueillir le témoignage d’une galerie qui a montré sa capacité à anticiper et à se réinventer dans un contexte à la fois international et local. Fondée en 2013 par Romain Chenais, Jason Hwang et Philippe Joppin, High Art installée à Paris a ouvert à Arles un nouvel espace fin 2020, faisant d’une chapelle désaffectée un lieu d’expérimentation et surfant sur l’effet des Rencontres et de l’ouverture des Fondations Luma et Lee Ufan. Philippe Joppin, qui a été l’un des initiateurs de Paris Internationale, insiste sur la continuité et la cohérence que représente selon lui l’offre de Paris +, l’évolution du marché de l’art en France, le bilan de Frieze London et les projets à venir. Il a répondu à mes questions.

Quelle est votre sélection pour cette édition inaugurale de Paris + ?

Nous nous concentrons sur l’artiste français Julien Creuzet, dans le prolongement de la Frieze, de son exposition au Camden Art Center et à la Luma Fondation. Il est également à l’honneur en tant que lauréat du BMW Art Journey. Nous proposons aussi l’artiste japonais Kentaro Kawabata précédemment exposé à Paris qui expérimente en céramique divers matériaux et processus de cuisson, l’artiste new yorkaise Willa Wasserman qui sera montrée en décembre à la galerie ou l’artiste coréen basé entre Séoul et Londres Hun Kyu Kim, dont les peintures reflètent les complexités de la société comme ici avec l’évocation des métros parisiens et de l’Eurostar sur fond de violences urbaines, de mélange des genres, de faux semblants ou d’anthropomorphisme à travers les personnages évoqués. Il utilise de la peinture sur soie qui renvoie aux techniques traditionnelles asiatiques. Nous présentons également des peintures sur techniques mixtes et expérimentales du studio WangShui basé à New York avec qui nous avons entamé une collaboration à l’occasion de la FIAC 2021. Ils sont actuellement exposés à la Biennale de Lyon.

Votre expérience de la Frieze n’a-t-elle pas été contrecarrée par les tracasseries administratives liées au Brexit ?

La partie administrative a été plus lourde qu’avant le Brexit avec les transports, les papiers de douane… tout ce qui avait été évité avec le marché commun. Les œuvres doivent arriver à l’avance, mais nous y sommes maintenant habitués! Ce qui change la donne est la demande que font les acheteurs en général qui sollicitent la galerie pour éviter que les œuvres partent directement d’Angleterre à chez eux. Nous devons alors faire revenir les oeuvres à Paris.  Nous avions un peu peur que cela soit un frein dans l’acte d’achat, alors qu’en réalité le bilan de Frieze est excellent.

Pensez-vous que la force actuelle du dollar ait un réel impact sur le marché et la venue en nombre des américains ?

En plus d’un dollar fort je pense qu’il y a beaucoup de liquidité. Je n’ai pas eu l’impression que les américains aient été très tatillons sur le cours Euros/Dollars avec des galeries qui gardent des prix en dollars comme nous. Ce n’est pas à mon avis l’unique déclencheur de leur présence. Ce qui impacte plus selon moi ce sont les évènements que Paris a subi ces dernières années comme les attentats, l’épisode des Gilets Jaunes ou la pandémie Covid… des signaux qui ont fortement ralenti la venue des touristes et notamment des américains, très sensibles à l’insécurité. Nous assistons à une renaissance de Paris, une ville qui redevient vite très agréable à vivre !

Qu’est-ce qui fait la différence entre la FIAC et Art Basel ?

L’équipe d’Art Basel a ce talent de nouer des liens sur la durée avec les collectionneurs, ce qui est un vrai challenge. C’est l’une de leur force et spécificité. De même que leur relation avec les galeries. Le contact avec eux est très appréciable, ils nous questionnent en permanence pour avoir notre ressenti pendant la foire et nous nous sentons véritablement impliqués. Des relations très précieuses. Leur force n’est pas liée uniquement à l’écosystème parisien déjà très compétitif mais je pense que s’ils restent sur la même échelle d’échanges, ils seront en mesure de nouer de nouvelles synergies.

Vous participiez à une table-ronde (programme Conversations) autour de l’avenir du marché de l’art en France : comment vous positionnez-vous sur ce sujet ?

Nous revendiquons à la fois un ancrage local et international, c’est pourquoi je suis d’ailleurs membre du Bureau du Comité des Galeries d’Art -CGPA- dans la perspective d’accroitre l’influence des galeries au niveau local et politique. Le vrai sujet autour du marché local tourne autour du renouvellement des collectionneurs qui n’est pas encore acquis ici, ce qui pose un problème, contrairement à des villes comme New York, Londres ou Los Angeles. Une génération très impliquée qui se donne les moyens et se consacre à des jeunes artistes alors qu’à Paris il faut attendre d’avoir 40 ou 45 ans. C’est sans doute lié à une question de culture, l’art étant très peu enseigné et valorisé dans les cursus des écoles prestigieuses telles que Sciences Politique ou les Ecoles de commerce, ingénieurs… Il y a un vrai sujet d’autant que les dirigeants des ETI (entreprises de taille intermédiaire) qui ont les revenus pour investir, sont très peu présents, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne où ils investissent beaucoup. Nous avons aussi peut-être moins de financiers que dans des capitales comme Londres ou New York.

Et Arles ?

Nous nous sommes implantés depuis 2 ans avec l’envie de pouvoir montrer des artistes dans un autre contexte et de façon plus régulière. La beauté du lieu a été un élément décisif, de même que l’attractivité de la ville et son dynamisme à une échelle plus concentrée, ce qui favorise des contacts plus qualitatifs avec les gens. Il y a aussi une vraie simplicité dans la démarche et accointance avec l’art contemporain du fait des Rencontres. Un phénomène étonnant avec Arles est sa renommée liée à Van Gogh et cela dans le monde entier. Les gens ne savent pas forcément où se situe Arles sur une carte mais la connaissent instinctivement grâce au pensionnaire de la Maison Jaune et cela concerne aussi les artistes. L’évocation de ce lieu déclenche une impression un peu magique autour de l’évocation de la lumière, des paysages, des ciels…

Vos prochaines participations aux foires ?

La prochaine foire sera Art Basel Miami pour nous. Nous avons comme objectif d’intensifier notre présence en Asie dès l’année prochaine. Nous allons poursuivre Séoul avec Frieze qui a été une très bonne expérience et allons tenter Taipei. Nous aimons multiplier les expériences comme avec Athènes par exemple cette année. Nous essayons de voir comment les gens réagissent et comment nous sommes perçus, de nous adapter et d’être flexibles. De plus, dans la mesure où nous avons des artistes qui plaisent aux collectionneurs asiatiques, nous allons creuser ce marché. Nous sommes dans une logique d’expansions quoi qu’il arrive.

Quelle est votre définition du métier de galeriste ?

Dans le monde de l’art tel qu’il est aujourd’hui nous sommes clairement des têtes chercheuses. Cela s’inscrit de fait dans notre ADN et de plus si les institutions ont eu ce rôle dans les années 1970 notamment grâce à de grands curateurs, leurs moyens ayant baissé, ils ont plus de difficulté à poursuivre. Nous sommes devenus les découvreurs des jeunes artistes.

Quel regard portez-vous sur Paris Internationale ?

Nous avons lancé la galerie en 2013, avons très vite intégré la FIAC dans le secteur émergent, avons fondé Paris Internationale pour revenir à la FIAC en 2018. Cette foire se poursuit et se professionnalise toujours plus, tout en restant fidèle à ses fondamentaux. Difficile de me prononcer car je n’y ai que des amis !

Infos pratiques :

Paris + by Part Basel

JULIEN CREUZET, MAX HOOPER SCHNEIDER, KENTARO KAWABATA, HUN KYU KIM, WANGSHUI, WILLA WASSERMAN

Grand Palais Ephémère

Paris+ par Art Basel

MÉLANIE MATRANGA
DIEU
21.10 – 03.12.2022

https://highart.fr/