Interview Emilia Genuardi, a ppr oc he 6ème édition

Marc-Antoine Garnier  Colonnes, 2021 Ensemble de photographies enroulées Tirage pigmentaire sur papier Etching 310g110 x 65 cm pièce unique ©Marc-Antoine Garnier / Courtesy Galerie Bacqueville

Le salon a ppr oc he revient du 10 au 13 novembre 2022 au Molière (Paris 1er) et pour la première fois, Emilia Genuardi sa fondatrice, signe cette 6ème édition en solo. Elle se félicite du chemin parcouru et du rayonnement du salon né de sa volonté de faire dialoguer les milieux de la photographie et de l’art contemporain autour de l’expérimentation et hybridation du médium. Des frontières désormais poreuses, comme elle le souligne. Parmi les tendances fortes exposées : le photogramme et une pratique de collectionneurs d’images. De nombreuses galeries internationales sont au rendez-vous et l’un des temps forts sera le lancement du livre de Michel Poivert (Éditions Textuel) Contre-culture dans la photographie. Emilia a répondu à mes questions.

Emilia Genuardi est spécialiste de la photographie contemporaine. Elle est la fondatrice et directrice du salona ppr oc he, dont elle cosigne chaque année la direction artistique aux côtés de curateur(s) invité(s). Depuisl’année 2018, elle dirigea ccr oc he, qui se consacre à la création et à la production de contenus culturels, dont le salona ppr oc he. Emilia est également consultante en photographie, et enseigne au Paris College of Art.Depuis 2021, elle siège au conseil d’administration de la Fondation Swiss Life.

Portrait Emilia Genuardi photo Benoit Pailley

Vous êtes seule aux commandes de cette 6ème édition d’a ppr oc he, un retour aux origines ?

Emilia Genuardi. Depuis la première édition, j’ai pris le parti de m’entourer de directeurs artistiques invités. D’abord pour proposer au public des regards différents à chaque édition, et pour provoquer de nouvelles rencontres. Pour assurer la direction artistique du salon, je passe beaucoup de temps à visiter des ateliers d’artistes, à parcourir les foires, les expositions. Les directeurs artistiques invités me permettent également d’élargir mon terrain d’exploration, ce qui est primordial et très enrichissant. 

J’ai été très honorée d’avoir pu collaborer avec une multitude de profils talentueux et passionnants : Léa Chauvel-Lévy, Elsa Janssen, Etienne Hatt, Tristan Lund, Raphaëlle Stopin, Caroline Stein.. qui ont su apporter leur touche à chaque édition, et soutenir les artistes et galeries participants. Cette sixième édition, qui se déroulera du 10 au 13 novembre prochain au Molière, est la première que je signe en solo.

Les galeries et artistes internationaux sont nombreux cette année, en quoi est-ce une preuve du rayonnement du salon ?

En effet le salon accueillera neuf artistes venant du Mexique, d’Espagne, des États-Unis, du Brésil, de la Belgique, d’Allemagne et du Japon et sept galeries étrangères en provenance des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Belgique, de Suisse, d’Allemagne et des Pays-Bas.

Cela prouve avant tout à quel point la photographie expérimentale est aujourd’hui représentée et valorisée en France et à l‘ international. Le salon a ppr oc he est fier de s’en faire l’écho et de participer à son rayonnement depuis six ans.

Lorsque j’ai imaginé a ppr oc he en 2016, la photographie expérimentale était alors représentée en France par deux milieux qui ne se côtoyaient pas ou très peu, qui n’avaient pas les mêmes visiteurs, les mêmes collectionneurs, et qui participaient respectivement à Paris Photo ou à la Fiac, deux foires internationalement reconnues : les galeries photo et les galeries d’art contemporain. J’ai voulu montrer la scène photographique contemporaine telle que je la voyais, en allant puiser dans ces deux environnements et en les faisant se rencontrer.

Aujourd’hui, ces frontières de la photographie expérimentale sont devenues poreuses. Ce caractère hybride est dans l’air du temps, et je m’en réjouis.

Que nous dit ce panorama de 14 solo show et 1 duo ?

Comme chaque année, a ppr oc he s’attache à sélectionner des artistes en première ligne de l’expérimentation photographique, tant dans la pratique, que dans la tentative de refléter une société en mouvement.

L’on retrouve chaque année des artistes qui explorent, chacun de manière singulière, les concepts essentiels de la photographie par l’enregistrement de la lumière sur la surface sensible. Le photogramme est encore une fois à l’honneur.  

Coloriste dans l’âme, l’américaine Liz Nielsen, à travers ses «peintures lumineuses», dévoile une discussion performative entre la lumière et le papier photosensible. La mexicaine Fabiola Menchelli pousse plus loin l’interaction du papier avec la lumière pour aboutir à des œuvres pliées et sculpturales. Baptiste Rabichon [FR] nous dévoile une singulière actualisation du photogramme, revisitée à l’aune de notre rapport compulsif à la technologie.

Tel un alchimiste, Daisuke Yokota [JP] fait abstraction non seulement de l’appareil photo, mais également de source de lumière. Ces œuvres sont le résultat de pures réactions chimiques. Cela donne lieu à un travail abstrait, qui évoque la libération de l’émulsion sensible.

Fasciné par la matérialité de la chimie, sélectionné en 2021 pour la quatrième édition d’a ppr oc he, Lucas Leffler [BE] présente le projet lauréat de la résidence PICTO LAB / Expérimenter l’image, pour lequel il tend à élargir une pratique expérimentale du médium photographique à d’autres formes, comme la sculpture ou l’installation.

Caroline Rivalan [FR] interroge l’exploitation du corps féminin en milieu hospitalier à la fin du XIXe siècle, en croisant visages et folie; tandis qu’ Isabelle Wenzel [DE] s’intéresse à la matérialité du corps humain pour mettre en lumière sa qualité sculpturale.

Se projeter dans le monde de demain, et raconter l’inconnu. Après d’une résidence à bord de la goélette Tara, Manon Lanjouère [FR] offre une nouvelle forme au monde détruit de demain en réinventant sa structure. La brésilienne Alice Quaresma [BR] se base sur ses propres archives photographiques, pour, alliant peinture et texture, réinvestir ses souvenirs. Vincent Fournier & Sébastien Gaxie [FR], duo lauréat du Prix Swiss Life à 4 mains, nous proposent une interrogation poétique sur la transformation du vivant.

Alors que Marc-Antoine Garnier [FR] s’attache à « déconstruire le réel », utilisant les phénomènes naturels comme réflexion pour la matérialité de l’image, il explore les frontières entre la sculpture et la photographie.

Certains artistes sont eux-mêmes collectionneurs, et façonnent une seconde vie à leur propre collection. Javier Hirschfeld Moreno [ES], à travers sa collection de cartes de visites des années 1860, explore l’identité et l’invisibilité queer en mêlant à ces images anciennes les photographies de profils d’applications de rencontre gays souvent revisitées par des paysages pour des soucis de discrétion. Jonathan Rosić [BE], quant à lui, recontextualise à l’encre de Chine des gros plans de sa collection d’images anciennes promotionnelles d’inventions. L’accumulation d’images a un rôle important dans l’œuvre de Matt Saunders [USA]: il part d’un corpus de photographies intimes de corps et de gestes prises par des peintres du 19e siècle. Saunders utilise ensuite différents matériaux photographiques et la peinture pour « dessiner » directement sur la surface sensible.

Sans les accumuler, l’artiste français Matthieu Boucherit travaille lui aussi avec les images des autres, et dévoile une réflexion sur la représentation du pouvoir, tissant des liens entre une histoire des techniques de reproductions et la répétition des motifs.

Encore une fois cette année, a ppr oc he s’attache à dévoiler un contenu riche et pluriel, à travers un parcours de découvertes qui appelleront collectionneurs et visiteurs à s’interroger sur l’état actuel de l’expérimentation du médium.

Manon Lanjouère Asterionellopsis glacialis, 2022cyanotype on glass and fluorescent vinyl emulsion
7,9 x 7,9 in
edition of 3 + 2 artist’s proof © Manon Lanjouère / Courtesy Galerie du jour agnès b

Certains artistes sont aussi collectionneurs d’images, en quoi cette démarche est-elle une vision enrichie?

Cette année, en effet, beaucoup d’artistes sont collectionneurs d’images. Cela fait écho à une pratique qui est chère aux expérimentateurs de la photographie contemporaine : L’accumulation d’images, comme support de leur créativité. De Javier Moreno, qui explore les systèmes de représentations de soi en utilisant des cartes de visites du XIXe, à Alice Quaresma qui revisite ses propres archives, a ppr oc he souligne des œuvres innovantes, puiseuses d’éléments du passé.

Les artistes ont conscience de la valeur historique des photos anciennes, qui constituent, pour certains, un véritable socle à leur inspiration.

Assistons-nous à un retour à la normale (période post Covid) pour le secteur de la photographie ?

En ce qui concerne les évènements liés à la photographie et à l’art contemporain en général, l’on ressent effectivement un retour à la normale. La multitude de rendez-vous en galeries, institutions et foires l’atteste. Les collectionneurs sont beaucoup sollicités. Il leur faut donc sélectionner parmi les nombreux événements.

Infos pratiques :

a ppr oc he

Salon dédié à l’expérimentation du medium photographique

10 – 13 novembre 2022

Le Molière

40 rue de Richelieu Paris 

homepage – a ppr oc he