Samy Abraham & Jocelyn Wolff, new space project October 2022, Paris 75007
Jocelyn Wolff et Samy Abraham ouvrent un nouvel espace au cœur de St Germain des Prés, aux croisements des arts et des idées dont ils nous présentent en avant-première la subtile articulation. Cabinet de dessin contemporain, espace d’exposition et conciergerie des arts autour d’un réseau d’artisans et de professionnels engagés ce nouveau concept se place loin de la vision désincarnée du white cube, à partir des 40 ans d’expérience cumulée des deux galeristes.
Une programmation pointue d’artistes représentés par la galerie Jocelyn Wolff (Katinka Bock, Francisco Tropa, ou Bruno Botella) ou en partenariat avec d’autres confrères et notamment dans le champ de l’archéologie est proposée. C’est l’artiste conceptuel allemand Franz Erhard Walther qui est le premier mis à l’honneur, tandis que le champ du design ouvre avec la galerie Compasso de Milan, fondée par Daniele Lorenzon. Samy Abraham et Jocelyn Wolff reviennent sur les éléments déclencheurs de cette nouvelle aventure, qui agit en parfaite complémentarité pour Jocelyn Wolff avec l’espace de Romainville, dédié aux artistes et projets de grande amplitude. La semaine de Paris + qui cristallise toutes les énergies sera le contexte idéal de lancement, au cœur des circuits des collectionneurs.
Quel est le concept du 12 rue des Saints-Pères ?
Samy Abraham. Ce lieu se veut à la fois un espace d’exposition et un cabinet de dessins que le public est invité à consulter en libre accès, manipuler et découvrir en autonomie ou avec notre expertise. Ce lieu est également une conciergerie des arts, un principe assez inédit à notre sens qui consiste à faire bénéficier les collectionneurs et visiteurs du solide réseau d’artisans que nous avons constitué autour d’une expertise liée à la dimension physique et matérielle d’une œuvre. Chacun de ces partenaires est signataire d’une charte établie par la galerie qui garantit la qualité de son travail et en toute transparence, nous nous engageons à ne prendre ni marge ni effectuer de plus-value sur les prestations effectuées.
Jocelyn Wolff. Ce lieu se veut un point de rencontre entre le monde du service aux œuvres, aux collectionneurs et aux artistes, Paris offrant un réseau unique de conservateurs, de restaurateurs et d’experts. Un écosystème indispensable et devenu quasi invisible. Nous avons à cœur de défendre ces artisans en apprenant d’un dialogue avec eux.
Nous nous inscrivons à un carrefour entre 2 mondes : le monde des galeries d’art moderne de la Rue de Seine et le monde des antiquaires avec la rue de Beaune. En dotant cet espace d’un fonds très fourni d’œuvres sur papier de qualité muséales pour certaines, nous souhaitons amener notre petite musique à cette zone frontière entre les marchands et les galeries. Nous partons d’un existant et d’une mémoire celle de notre travail avec les artistes pour arriver à une plateforme ouverte à toute forme de collaboration.
Un certain nombre d’invitations sont aussi lancées à des artistes, des projets, des collaborations et notamment autour de l’archéologie, un domaine qui vous passionne Jocelyn.
JW. L’idée de ce travail à 4 mains avec Samy s’inscrit dans le prolongement de notre expérience de 40 ans cumulés dans le monde de l’art, riche de rencontres, les passionnés s’identifiant facilement les uns aux autres, ce que vous devez ressentir aussi en tant que journaliste. Un phénomène de contamination positive ajouté à un besoin de pouvoir construire une exposition de façon transverse. J’ai dans ce sens lancé de nombreux projets avec la galerie de Jean-David Cahn (Bâle), l’une des meilleures galeries d’archéologie et dont l’exigence nous rassemble. Il est en effet difficile de trouver des marchands qui ont une approche scientifique des objets et pas de simples décorateurs. Cette typologie de marchands/experts qui nous intéressent et avec qui nous allons collaborer. Des dialogues autour des arts et des époques, très stimulants intellectuellement pour notre équipe, nos visiteurs mais également les curieux et les passants.
En quoi cette ouverture répond-t-elle à un contexte très favorable pour Paris ?
JW. Nous sommes à un moment de grande attractivité pour Paris. Nous souhaitons nous placer aux antipodes du concept de la « galerie-vitrine d’hôtel» , inspirée de ces vitrines d’hôtels de luxe où l’on trouvera toujours joaillerie ou montres, sans lien profond avec la ville; avec notre service de conciergerie, nous cherchons à entretenir un dialogue permanent entre les métiers qui animent le monde de l’art , métiers absolument fascinants quand on les observe de plus près, et les amateurs d’art et collectionneurs.
Recréer un espace où l’expertise et la curiosité vont être la clé d’une dimension littéraire également en la personne de Victor Sabot, ancien libraire d’une grande culture qui nous accompagne pour la rédaction des notices. Un indispensable travail de documentation en amont des objets qui peuvent être proposés par les marchands afin de pouvoir les comprendre et les apprécier à leur juste valeur.
La programmation : les enjeux
SA. Nous allons travailler par projet sans forcément représenter les artistes à travers des expositions qui se succéderont toutes les 2 à 3 semaines, ce qui nous permet d’ouvrir complétement les possibles vers l’archéologie comme évoqué ou le design comme avec la galerie de Daniele Compasso (Milan) expert du design italien après-guerre qui nous a sélectionné des vases Barbini des années 1970. De même, nous avons rencontré Laura Amiel avec Isabel Alfonsi de la galerie Marcelle Alix pour envisager une sélection de dessins que nous allons présenter dans les meubles à plans et les espaces de l’exposition. Notre association nous permet des partenariats avec différentes galeries, différents marchands, sans être limités par la question de l’exclusivité, différents confrères nous faisant déjà confiance et de manière très ouverte.
Jocelyn, comment cette nouvelle adresse fonctionne-t-elle vis-vis de Romainville ?
Le format de Romainville de 1000m ² permet un large éventail de possibilités et c’est tout d’abord un outil au service des artistes que nous représentons avec une exposition solo tous les 3 à 4 ans dans un large système d’expositions internationales qui suppose une vraie logistique et plateforme en terme de circuits, prêts d’œuvres… C’est un format auquel je suis très attaché mais qui implique aussi des contraintes, et si je veux le préserver il s’agit de ne pas multiplier la représentation du nombre des artistes.
Romainville reste la galerie des artistes avec des sources bibliographiques complètes et la possibilité de proposer un large panel d’œuvres très rapidement. Romainville est tourné vers les collectionneurs et le réseau des amateurs déjà convaincus. En revanche en ce qui concerne une découverte plus spontanée d’un artiste via le travail sur papier, le format n’est pas adapté et nous avions envie de faire connaitre davantage cette pratique centrale avec des niveaux de prix plus abordables. De plus, Romainville nous pousse parfois à de grands projets à l’exclusion de projets plus ciblés comme le projet activable de Franz Erhard Walther, l’élément n°7, Feld und Teilung (Field and Division), une oeuvre présentée de manière exceptionnelle avec un « dessin opératoire » qui en explicite le protocole via un storyboard précis. Des indices qui agissent comme une porte d’entrée vers son travail.
En termes de marché, peut-on parler d’un retour à la normale ?
JW. Il est compliqué de répondre à cette question car nous ne sommes plus dans une forme de retour. Nous avons passé un cap et ce projet porte aussi un peu la marque du Covid dans la mesure où cette période d’introspection a permis la gestation de nouveaux dialogues, de nouvelles amitiés, de nouveaux formats.
Quelle est votre politique vis-à-vis des foires ?
JW. Ce n’est pas encore très lisible étant donné certaines zones de flottement géographiques mais je crois toujours au système des foires, un format absolument nécessaire et sur lequel je n’ai jamais eu de discours critique. Je regrette simplement l’attitude de certaines galeries qui ne s’y intéressent pas en cherchant à y montrer le meilleur de leur programmation annuelle. Alors que beaucoup de galeries prennent actuellement moins de risques dans les foires, le retour du marché doit nous y inciter au contraire, car la foire sait susciter des désirs et entrainer dans un imaginaire de l’art très puissant.
Et le marché ?
JW. Nous assistons à un retour du marché encore plus fort et plus clivant qu’auparavant avec de jeunes galeries moins expérimentales car plus commerciales. La frange haute du marché est florissante mais la zone intermédiaire reste plus complexe et fragile, le marché étant moins conditionné par les collectionneurs dont l’importance a plutôt diminué. On le note de manière encore plus brutale au fil de nos échanges ici avec les collègues antiquaires qui ont comme clientèle les décorateurs.
Paris + et l’arrivée des grandes galeries internationales
C’est l’offre qui les attire plus que la foire en tant que telle. L’intelligence de la Suisse est d’avoir compris que cela avait une valeur mais sans en inventer le concept. Ce n’est pas une question de marque mais de la pertinence de ce partenariat unique noué par Jennifer Flay entre la RMN et une foire. Elle a su repérer et utiliser les forces vives de la ville, celles des galeries admises à la foire et les autres qui sont force de proposition de projets emblématiques à partir de la formidable ouverture des institutions parisiennes à l’art contemporain. Cette alchimie, cette porosité entre le Louvre, le Grand Palais Ephémère, les Tuileries.. et qui va nous entrainer vers une semaine d’art un peu folle dans une ville où se croise toutes sortes de publics (collectionneurs, critiques, amateurs, intellectuels…) et de réseaux. Une dynamique très forte.
Le nouveau phénomène des plateformes par les maisons de vente aux enchères, une menace ?
JW. Plutôt que la question des plateformes il y a la question des maisons de vente qui font une concurrence directe et encore plus forte autour de la promotion de l’émergence et du second marché. Pour résumer elles récupèrent tout ce qui est photogénique, à la fois pour l’écran (instagram…) et le catalogue. Cela nous motive aussi de proposer ce projet qui est aux antipodes si l’on se réfère par exemple au Subway drawing de l’artiste William Anastasi. Un enregistrement métaphorique du temps et de l’espace à partir des vibrations du métro. Un concentré d’ambition intellectuelle réduit à la forme d’un A 4 ! Si une partie du marché s’oriente vers ce que j’appelle la photogénie, cela laisse beaucoup de place pour faire d’autre chose…
Pouvons-nous me commenter les photographies qui se trouvent derrière vous ?
JW. Cette photo est importante car elle fait écho à ma première exposition en 2003 autour de Clemens von Wedemeyer, premier artiste à qui j’ai proposé de participer à l’aventure de la galerie. Elle s’inscrivait dans le projet Occupation de l’artiste et représente un écran de cinéma idéal, comme une page blanche. Elle agit comme un memo pour nous dans une dimension assez métaphorique, qui correspond bien à notre état d’esprit. De plus sa qualité est assez remarquable de part un certain velouté, troublant quant à sa nature.
L’autre cliché est une œuvre du duo Prinz Gholam dont nous présentons également un ensemble de dessins même si toute leur démarche conceptuelle repose à l’origine sur la photographie à partir des qualités géométriques et formelles de leurs corps qu’ils performent dans des tableaux vivants.
Enfin, nous faisons aussi un clin d’œil aux dessins de William Anastasi avec cette série d’autoportraits qui révèle son impact dans la photographie conceptuelle. Des exceptions qui ont tout leur sens dans cet espace du premier étage dévolu aux réunions plus confidentielles avec nos collectionneurs.
En écoute : FOMO_Podcast
https://soundcloud.com/user-283757576/abraham-wolff-galerie-et-conciergerie-des-arts
Abraham & Wolff Galerie et Conciergerie des arts
12, rue des Saints-Pères
75007 Paris
Ouverture le lundi de 14h à 18h et du mardi au samedi de 10h à 19h
A la galerie Wolff, Romainville :
Isa Melsheimer, The Outshined City
Hors les Murs :
Francisco Tropa, Musée d’art moderne
Paris + par Art Basel : la proposition de la Galerie Jocelyn Wolff