Glenn Ligon et Nairy Baghramian au Carré d’art et Grand Arles Express

Glenn Ligon Musée Carré d'Art Nimes 2022

Vue de l’exposition Glenn Ligon, Post-noir Carré d’Art Nîmes Courtesy de l’artiste; Hauser&Wirth, New York; Regen Projects, Los Angeles; Thomas Dane Gallery, Londres et Galerie Chantal Crousel, Paris photo C Eymenier

Deux expositions majeures que nous avait annoncé Jean-Marc Prévost lors de ma précédente visite et décalées pour cause de pandémie. A cette occasion, c’est l’ensemble du Carré d’art qui est dédié aux artistes Glenn Ligon et Nairy Baghramian, sans focus sur la collection, dont la présence est par ailleurs sous-jacente par le biais d’échos et de correspondances formelles et conceptuelles et ce dès le seuil du parcours de l’artiste américain Glenn Ligon à partir de la créature en bronze d’Ugo Rondinone qui dialogue avec le néon AMERICA, repris par la suite dans la première salle.

Vue de l’exposition Glenn Ligon, Post-noir Carré d’Art Nîmes Courtesy de l’artiste; Hauser&Wirth, New York; Regen Projects, Los Angeles; Thomas Dane Gallery, Londres et Galerie Chantal Crousel, Paris photo C Eymenier

Jouant sur l’effet de transparence des larges vitres du centre d’art, le mot AMERICA inversé et détourné, selon le principe du langage et sa manipulation, en vient à danser à la surface de l’horizon et à prendre des significations nouvelles et multiples. Pour Glen Ligon l’histoire, la race ou l’identité dès lors qu’elles sont figées, sont potentiellement sujet à révision. Il a d’ailleurs choisi un titre volontairement ambigu « Post-noir » en lien avec le terme Post-black art pensé avec Thelma Golden, directrice du Studio Museum de Harlem (New York) en terme de globalisation de la diaspora africaine et visant une redéfinition des notions de négritude. Post noir renvoie aussi dans le contexte français à film noir. Un appel à lutter contre les préjugés culturels dégradants avec une autre enseigne en néon épinglée de la phrase « Negro Sunshine », elle-même empruntée au roman de Gertrude Stein, Three Lives. Ce terme isolé « Soleil nègre » et présenté seul dans la salle agit comme une déflagration suscitant chez le regardeur de nombreuses images contradictoires, positives et négatives. Autre temps fort de la visite, la retranscription dans son intégralité du texte de James Baldwin « Stranger in the village » suite à son expérience très dérangeante vécue dans un petit village suisse où personne n’avait encore vu d’homme noir. Un essai fondateur que Glenn Ligon réinjecte dans un véritable palimpseste, la série Stranger, à l’aide d’un procédé au pochoir à base de charbon, matière très connotée également et renvoyant à l’insulte « coal black ». Il est question également d’effacement et de brouillage de sens comme avec les peintures et sérigraphies Debris Field, sortes de compositions improvisées à partir de citations, de lettres isolées et de signes dont les couleurs saturées reprennent les peintures d’Andy Warhol Death & Disaster, une allégorie de la mort. Avec Hands, Glenn Ligon reprend une image de presse de la « Million Man March » qui a lieu à Washington DC en 1995, élément décisif de l’activisme afro-américain sous l’impulsion du leader Louis Farrakhan. Cette image d’un détail agrandi dont les légendes sont volontairement supprimées, en devient presque illisible et spectrale. Comme une mémoire qui vient nous hanter. Les notions de hiérarchie et de codes culturels sont également revisitées avec la série Coloring. A partir de dessins à colorier par des enfants dans le cadre d’une résidence au Walker Art Center de Minneapolis, l’artiste met en tension la réponse libre de l’enfance et les codes de la représentation du portrait à partir d’illustrations afrocentrées des années 1960 et 70. Autres contextes et toujours mêmes mécanismes hégémoniques.

Glenn Ligon est représenté par les galeries Chantal Crousel, Paris,Regen Projects, Los Angeles, Thomas Dane Gallery, Londres Hauser & Wirth, New York.

Dwindler_Dizzle (blue/green), 2021, verre, métal zingué, résine époxy colorée, 200 x 46 x 42 cm. Photo Werner Kaligofsky. Courtesy de l’artiste, Marian Goodman Gallery, kurimanzutto. © NAIRY BAGHRAMIAN

Avec l’artiste libanaise vivant à Berlin, Nairy Baghramian il est question de s’attaquer à l’architecture de Norman Forster qu’elle considère autoritaire, par le biais de stratégies d’invasion interstitielle. L’intérieur et l’extérieur, l’opacité et la transparence, le cadre institutionnel et ses failles, le spectateur et l’œuvre sont autant de catégories reconsidérées. Le titre de l’exposition « Parloir » procède par une double détente et est ressurgi récemment avec le procès ultra médiatisé du 13 novembre. Il désigne à la fois l’espace de rencontre avec des détenus mais aussi le langage, la communication. Une inversion qui est au cœur de la démarche et des dispositifs de l’artiste entre une séduction de la matière souvent chromée et polie et le message implicite sous-jacent.

Dès le pallier, deux sculptures surgissent comme échappées du cadre même de l’exposition, un grand crochet qui supporte du vide : Mooring (hanging), Amarrage (suspension), et une structure qui épouse l’angle du passage vers la salle Grosse Klappe Grand Clapet. L’humour et l’absurde ne sont jamais loin dans les titres choisis. Puis nous sommes confrontés à une ligne tendue Spanner (Tendeur) qui sépare en diagonale la première salle, nous excluant de sa moitié. Chaque salle fonctionne en réalité comme une salle d’attente. Nous arrivons à la salle suivante par le biais d’une mystérieuse photographie partiellement recouverte de béton : Salle de réception. Prise par un visiteur alors que cela est interdit, il s’agit de l’un des salons du Palais de l’ancien Shah d’Iran dans le goût européen avec sur une table les traditionnelles « photos de famille » sauf qu’en l’occurrence il s’agit de cadeaux diplomatiques par un ensemble de dictateurs peu recommandables selon la volonté mise en avant par le régime islamique en créant ce musée. Avec Joli Coin, salle suivante, installation entièrement rejouée pour les espaces du Carré d’art, nous nous trouvons dans l’œuvre la plus proche du paradoxal titre Parloir. En effet le spectateur reste impuissant face à ce qui ressemble à un tableau de De Chirico : des panneaux en forme de paravent, un miroir posé sur un piétement précaire et escalier esquissé mais qui ne mène nulle part. Aucune solution n’est suggérée si ce n’est de parler avec son voisin pour résoudre le mystère comme le suggère l’artiste.

Par la suite nous retrouvons les œuvres emblématiques Dwindler précédemment exposées à la Biennale de Venise, au Palacio de Cristal et à la Biennale de Lyon entre prothèses orthopédiques, toboggan aquatique ou appendices post-industriels. Des tuyaux parfaitement agencés en colonne le long du mur et soudés par de grossiers bouts de colle sur des supports en zinc. Leur coloration bleutés et grises marmoréennes font penser à des vitraux de cathédrale.

Off the Rack (Handrail), 2014, aluminium coulé et peint, poteau en laiton chromé, béton. Photo Jens Ziehe. Courtesy de l’artiste, Marian Goodman Gallery, kurimanzutto. © NAIRY BAGHRAMIAN

Dans la traverse entre les deux galeries d’exposition du musée une œuvre, Main courante, se déploie le long des murs et interpelle. Ces tubes en laiton fixés par des supports d’un bleu métallisé. Rampe d’une salle de danse ? La place du corps est omniprésente depuis le début. Il n’est pas question cependant de s’y accouder car l’œuvre contrairement aux apparences, est d’une grande fragilité.

La spectaculaire Tant que ça dure renvoie à l’emblématique Renaissance Society de Chicago dont l’artiste a pu récupérer les traverses avant destruction. Un hommage aux artistes invités par Susanne Ghez directrice du lieu entre 1974 et 2013 tel que Lawrence Wiener et ses fameux statements. Dans la dernière salle, l’œuvre récente Sillon profond, ces membres disgracieux faits d’aluminium et de cire, de nouveau accrochés par des tubes d’acier chromés très visibles, restent par leurs frottements avec la danse, la performance ou le théâtre, potentiellement investis nos propres scénarios.
Hybridation de la matière et de son état, place du corps, rôle de l’institution, histoire du design et de l’art minimal, aura de l’œuvre, stratégies d’exposition… les questionnements sont multiples et restent ouverts. Ne pas se fier aux apparences, les silences chez Nairy Baghramian sont plein de murmures…

Nairy Baghramian est représentée par la galerie Marian Goodman.

A noter que dans le cadre des Rencontres d’Arles, Jean-Marc Prévost propose les expositions de : Sam Contis – projet room du Carré d’art et de Julien Creuzet – Chapelle des Jésuites, Nîmes.

Relire mon interview avec Jean-Marc Prévost réalisé au Carré d’art en janvier 2022.

Infos pratiques :

Glenn Ligon, Post-noir
Jusqu’au 20 novembre 2022
Nairy Baghramian, Parloir
Jusqu’au 18 septembre 2022


Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes
Pl. de la Maison Carrée
30000 Nîmes
http://carreartmusee.com


Grand Arles Express : Sam Contis et Julien Creuzet


https://www.rencontres-arles.com/