Clément Nouet, directeur Mrac Occitanie : interview

Vue de l’exposition des collections, Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photographe : Aurélien Mole.

Tout juste nommé à la direction du Mrac Occitanie (Sérignan), Clément Nouet qui nous avait reçu autour du nouvel accrochage des collections à valeur de manifeste et des expositions de Valérie du Chéné, Anne et Patrick Poitier et Laurent Le Deunff, nous précise son projet pour le musée. L’ambitieuse exposition de Nathalie Du Pasquier en partenariat avec le MACRO de Rome signera véritablement sa feuille de route.

Âgé de 41 ans, Clément Nouet a été adjoint à la Direction et chargé des expositions du Mrac depuis 2006, avant d’en assurer l’intérim en 2019. À ce titre, il a réalisé, en collaboration avec les précédentes directrices du lieu Hélène Audiffren et Sandra Patron, la réalisation de nombreuses expositions personnelles d’artistes français et internationaux, émergents ou reconnus (Lubaina Himid, Simon Starling, Olivier Mosset, Isabelle Cornaro, Pierre Bismuth, Rosson Crow, Abdelkader Benchamma,  Ida Tursic & Wilfried Mille, …) et des expositions collectives qui ont marqué la programmation du Mrac ( La mesure du monde, La vie dans l’espace, Distance ardente,…).

Diplômé de l’École du Magasin, Clément Nouet est historien de l’art de formation. De 2003 à 2006, il était chargé de production successivement au Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou et au Musée du quai Branly Jacques Chirac.

Quel projet défendez-vous pour le Mrac ?

Le Mrac est un lieu fantastique ! un lieu atypique. Un très grand musée dans une ville de 7000 habitants, à 5mn de la mer, à 2h des Pyrénées et 3h de Barcelone ! je souhaite que le musée rassemble et devienne un forum pour tous les publics. La question des publics sera au centre de ma réflexion. Il est important de continuer à proposer une programmation exigeante tout en interrogant les questions qui font sens aujourd’hui comme l’oralité, l’écologie, la place des artistes femme ou encore le participatif. Il faut en permanence réinterroger la collection qui est l’ADN du musée, tout en proposant des expositions temporaires et une programmation culturelle pour tous les publics !

Valérie du Chéné et Régis Pinault, la carte blanche Cabinet d’arts graphiques

J’ai déjà travaillé à plusieurs reprises avec Valérie du Chéné qui avait participé à une exposition collective au Mrac et avait été en résidence au centre pénitencier de Béziers, suivie d’une édition.

De plus ayant décidé à la suite de la crise sanitaire de me concentrer exclusivement sur des acquisitions d’artistes du territoire de l’Occitanie en 2021, nous avons acheté une œuvre de l’artiste.

Cela me semblait important de l’inviter à intervenir dans une exposition monographique afin de montrer au public la pluralité de ses médiums. Elle est aussi capable de s’associer avec un autre artiste pour réaliser des dessins, des sculptures, vidéos, fresques comme avec cette peinture murale assez impressionnante qui relie l’ensemble des œuvres et permet de faire ce va et vient en permanence entre les vitrines et le reste des salles.

La collaboration entre Valérie du Chéné et Régis Pinault : une première

C’est en effet la première fois qu’ils travaillent ensemble. Leur rencontre tient presque du hasard, ils commencent à travailler sur le territoire de Cerbère, ville frontalière avec l’Espagne autour d’un scénario qui est d’abord dessiné avant d’être adapté en vidéo. Ce scénario est véritablement un dialogue à 4 mains à partir de plus de 250 dessins. On navigue en permanence entre les deux univers, d’une part un univers très graphique de Valérie et plus filmique de Régis.

La commande à Olivier Vadrot : Stadio

Mon premier constat partait de cet espace non identifié au rez-de-chaussée du musée. J’ai alors invité Olivier Vadrot architecte et scénographe, à réaliser une structure à la fois esthétique mais aussi fonctionnelle et praticable. Nous avons mené un travail de concertation collective avec l’équipe du musée et l’artiste autour de ce qui agirait comme un seuil de méditation. Ce forum miniature en bois autostable et démontable a donc plusieurs vocations potentielles et permet de développer une autre forme de médiation à partir de l’oralité, une notion importante dans notre institution. Ce stadio va ainsi permettre d’accueillir enfants et adultes et devenir un socle pour des projets. C’est au public de s’en emparer et à l’équipe du musée de le faire vivre.

Anne et Patrick Poirier, « Les Hermès de Villa Médicis ». Vue de l’exposition au Mrac Occitanie, 2021. Photographe : Aurélien Mole

Anne et Patrick Poirier : genèse d’une exposition hors normes

La base de cette invitation s’inscrit dans l’ouverture de ce grand musée à Narbonne Narbo Via, tout proche du MRAC. Je voulais montrer comment les artistes contemporains ont aussi réfléchi à la question de l’Antiquité, de la mémoire, du patrimoine ou de l’architecture. Les artistes Anne et Patrick Poirier sont apparus comme une évidence. Normalement les deux évènements auraient dû ouvrir au même moment même si la crise sanitaire en a décidé autrement. Nous avons travaillé pendant 2 ans sur ce projet avec les artistes et je suis très heureux du résultat de cette exposition magnifique.

Le parcours : parti pris, temps fort, choix des œuvres  

La question de la Méditerranée est au cœur du parcours et toutes les œuvres renvoient à cet univers qui borde la Méditerranée entre l’Italie, la France et le Moyen Orient, l’Afrique mis à part, continent pas exploré par le couple.

Il ne s’agit en aucun cas d’une approche rétrospective et il me semblait important de réunir des œuvres fortes et symboliques. On commence avec la Domus Aurea, maquette en fusain qui nous accueille dès l’entrée et guide le visiteur dans sa progression vers les salles suivantes. Il existe 5 maquettes monumentales de ce type en terre cuite ou charbon de bois. La première salle ouvre l’exposition avec les œuvres historiques d’Anne et Patrick autour de la notion d’empreinte. A la fin des années 1960 lorsqu’ils se trouvent à Rome comme pensionnaires de la Villa Médicis ils se livrent à un inventaire des sculptures antiques dans la cité. On retrouve les Hermès de la Villa Médicis, la Fontaine de la Villa Doria Pamphili ou les livres-herbiers.

Puis nous abordons dans la salle suivante, la photographie afin de montrer à quel point les artistes ont abordé une grande variété de techniques. Les différentes séries montrent leur expérimentation et leur ressenti du medium, n’étant pas photographes de formation. Puis la magistrale Ostia antica surgit, spectaculaire retranscription en terre cuite de l’ancien port de Rome. Cette œuvre appartient au Mumok de Vienne, ce qui a demandé de longues négociations et des conditions de voyage très spéciales. Nous sommes fiers de pouvoir la compter dans l’exposition. Elle devient une métaphore subjective de la mémoire des artistes. Les salles suivantes questionnent le Moyen Orient avec notamment « Palmyre » ville qu’ils ont souvent arpenté et ce grand tapis de laine et de soie ou les architectures futuristes des grands tableaux blancs conçus à partir de vues aériennes du désert. Enfin est dévoilé pour la première fois au Mrac l’interprétation du Purgatoire, réalisé par les artistes pendant le confinement. Ces dessins monumentaux signent leur retour à la figuration à l’âge de 80 ans. Ils abordent aussi la couleur, ce qui est inédit. Le parcours s’achève avec la merveilleuse installation Dépôt de mémoire et d’oubli. Dans la pénombre, une croix s’élève d’un océan de plumes, entourée de constellations nimbées de néons de couleur bleu. Une dimension très méditative.

Vue de l’exposition My Prehistoric Past Laurent Le Deunff Mrac Occitanie 2021 photo Aurélien Mole

Laurent Le Deunff : genèse et enjeux

Laurent est un artiste de 40 ans dont il me semblait pertinent d’exposer presque 10 ans de création dans une démarche qui n’est pas rétrospective.

Il avait déjà réalisé plusieurs grottes factices même si celle-ci est plus imposante. Elle sert à la fois de scénographie, de display et de nouveau scénario. On y retrouve différentes échelles, matériaux, formes et techniques comme la sculpture sur bois, l’acier, le papier mâché, l’os, la corne…Le côté touche à tout d’un artiste qui maîtrise et expérimente la matière en permanence à travers son bestiaire habituel constitué de trompes d’éléphants, de castors, de chats, verres de terre… Un inventaire fossilisé en plusieurs strates qui tient de la fable. Le choix du titre My Prehistoric Past fait référence au court-métrage muet de Charlie Chaplin His Prehistoric Past où l’acteur s’endort sur un banc en rocaille, précision qui a son importance, pour se réveiller dans un décor préhistorique à l’instar de l’artiste qui joue avec ce motif factice pour installer le doute.

Vue de l’exposition des collections, Mrac Occitanie Sérignan, 2022. Photographe : Aurélien Mole.

Le nouvel accrochage des collections : une rupture et un manifeste

Il faut rappeler que la collection est l’ADN du musée et qu’elle est le déclencheur de toutes nos réflexions et expositions.

Cet accrochage est animé par une volonté de rupture avec le précédent qui était très scénarisé et c’est la première fois qu’il est confié à une commissaire extérieure. Il est ainsi plus sobre et fait la part belle aux acquisitions en lien avec les œuvres de la collection et l’important dépôt du CNAP. Ce n’est pas un accrochage historique ou thématique mais un jeu de dialogue et aller-retour permanent entre réel et imaginaire. Une dimension poétique et fantasmée.

Y-a-t-il un moment qui vous semble particulièrement abouti ?

Il est difficile de choisir même si je retiendrais la salle où l’on présente l’œuvre de Nicolas Daubanes, ces 100 briques de terre cuite saisies par les ouvriers de la manufacture de Nagen, mise en relation avec l’œuvre de Guillaume Leblon, artiste décisif pour la collection et deux dessins de Côme Mosta-Heirt, artiste également fondateur pour le musée alors à ses prémisses. Cette salle réunit ainsi des artistes de plusieurs générations, à des niveaux différents de leurs parcours et avec qui nous avons des liens privilégiés.  Une démarche que je rejoue dans plusieurs salles.

Nathalie Du Pasquier, « Campo di Marte ». Vue de l’exposition SOLO/MULTI, Museum for Preventive Imagination, MACRO 2021. Courtesy de l’artiste. Photographie : Agnese Bedini and Melania Dalle Grave of DSL Studio.

Nathalie Du Pasquier : Campo di Marte

Cela fait un moment que je souhaitais réaliser une exposition avec Nathalie. Elle a accepté ce projet dans la mesure où le Marc s’associait avec le MACRO de Rome où a eu lieu la première partie de l’exposition l’année dernière. Une exposition qui malheureusement n’a pas trouvé tout son public de par le confinement. Pour le Mrac, Nathalie a repensé l’intégralité de l’exposition où l’on va retrouver aussi bien de la céramique que des papiers peints, de la peinture murale, du dessin…tout son lexique. C’est une proposition complètement immersive et d’une ampleur sans précédent autour de 10 ans de création. J’en suis très fier et honoré. L’artiste envisage le réel comme une sorte de vaste catalogue et est fascinée par la notion d’espace et expérimente en permanence la maquette, la construction, l’architecture, la peinture devenant à la fois objet, espace et environnement. Il est difficile de faire alors la distinction entre l’œuvre et son support. Nous allons reprendre le titre de l’exposition romaine Campo di Marte mais nous sommes encore à l’étude sur plusieurs aspects que je ne peux dévoiler.

Quel bilan faîtes-vous des périodes de confinement ?

Le musée a rouvert en mai après le second confinement même si nous avons du très vite mettre en place le pass sanitaire au mois de juillet. Des périodes assez complexes en termes d’organisation avec une fréquentation qui restait néanmoins assez bonne. Depuis l’ouverture des expositions de Laurent Le Deunff et Anne et Patrick Poirier nous avons de très bons chiffres avec beaucoup de scolaires même si de nouvelles mesures restrictives ont freiné cela. Nous observons en tous cas une réelle appétence pour le musée et un retour constant du public.

Infos pratiques :

Anne et Patrick Poirier, La mémoire en filigrane

Laurent Le Deunff, My Prehistoric Past

jusqu’au 20 mars 2022

Nouel accrochage des collections

Valérie du Chéné et Régis Pinault, sur le plateau de tournage, objets à suppléments d’âme (…)

jusqu’au 26 juin 2022

Nathalie Du Pasquier, Campo du Marte

Du 16 avril au 25 septembre

https://mrac.laregion.fr/