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Morgan Courtois : « Mettre du danger dans le précieux, du déséquilibre dans la composition, frôler la destruction… »

Morgan Courtois, portrait 2017 photo Jules Goupy

Un parfum de fin de soirée, entêtant et dissonant se dégage du paysage baroque et chaotique suscité par l’artiste Morgan Courtois à l’occasion de sa première exposition institutionnelle parisienne à la Fondation Pernod Ricard. Conçue avec la commissaire américaine Zoe Stillpass, l’exposition Décharge, joue des temporalités changeantes entre sculptures, céramiques et fleurs et odeurs, naturelles et artificielles. Quand Huysmans rencontre Süskind, on bascule dans une décadence subtile où l’art olfactif se trouve sublimé. Morgan Courtois revient sur les notions de nature morte, de désir et de sa fétichisation, du corps et son double. Son expérience à la Rijksakademie d’Amsterdam a été déterminante. Il a répondu à mes questions.

Morgan Courtois est né en 1988 à Abbeville, en France. Il vit et travaille à Aubervilliers.Il est diplômé de l’École supérieure d’Art et de Design à Valenciennes (2007-2009) et de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon (2009-2012). Il a été résident à la Rijksakademie (Amsterdam) de 2018 à 2020 et lauréat du Prix Meurice en 2017. Il a co-fondé l’artist run space Pauline Perplexe à Arcueil. Son travail a été présenté à Paris en 2016 à la galerie Balice Hertling qui le représente, et à l’occasion de l’exposition personnelle It’s All Tied Up in a Rainbow (cur : Franck Balland) à Passerelle, Centre d’art contemporain à Brest en 2018. Il a également montré son travail dansde nombreuses expositions collectives : à la Biennale Sculpture Garden de Genève en 2020; dans le cadre de l’exposition J’aime le rose pâle et les femmes ingrates au Credac, Ivry-sur-Seine (cur : Sarah Tritz) et la Biennale de Lyon en 2019 ; Médusa, Musée d’art Moderne de la ville de Paris, Paris en 2017; Rien ne nous appartient, offrir, Fondation Ricard en 2017; Les trépignements du Fakir, Centre d’art contemporain du Parc Saint-Léger, Pougues les-Eaux en 2015.

Quelle atmosphère générale souhaitiez-vous installer pour cette narration sensorielle et olfactive ?

Il y a une atmosphère qui est étudiée principalement dans la première salle pour évoquer un espace oscillant entre une fête et une décharge. L’installation Passage des cygnes est composée de centaines de récipients en porcelaine qui jonchent le sol. Certains vases et bouteilles d’alcool contiennent des fleurs. Il y a également des chemises imbibées de liquides tels que du pétrole, des parfums ou encore de l’urine. J’ai créé pour cette pièce un parfum qui est diffusé tous les jours. Il est très simple car composé de macération de mégots de cigarette et du parfum de L.T Piver Rêve d’or. C’est en quelques sorte le coeur du parfum de l’exposition auquel s’ajoute beaucoup d’autres odeurs.

Vue de l’exposition personnelle de Morgan Courtois, Décharge, à la Fondation Pernod Ricard. Photo Aurélien Mole

La notion de trouble, de dissonance, de dysharmonie est très présente par le biais des odeurs, en quoi parvenez-vous à les distinguer des parfums ?

Ce qui m’intéresse aussi dans les odeurs et dans l’idée de décharge c’est le recouvrement. Comment une odeur en cache une autre ou comment elles peuvent s’accorder de façon harmonique ou dysharmonique avec ce qu’il y a déjà. Les parfums que je réalise ne sont pas des parfums toujours agréables car ils s’inspirent du chaos olfactif qui peut se produire dans la rue. Ce sont des parfums pour des espaces reproduisant des paysages olfactifs. La première installation est ainsi composé de Diesel, d’essence F, d’absolu de Tuberosa, d’un jasmin cheap venant du Caire, d’urine, de macération de mégot de cigarette dans de la poliakov, de molécules synthétiques tel que le Butyrate CIS 3 hexenyl, d’huile essentielle de manuka… mais tout cela est accompagné par de vraies fleurs odorantes tel que des tubéreuses, des Lys et de quelques hyacinthes. Il y a un parfum de l’exposition dans le sens où il y a plusieurs odeurs qui y circulent. C’est comme ci l’exposition, les murs de la Fondation contenaient tous ces éléments comme le ferait un flacon.

Vue de l’exposition personnelle de Morgan Courtois, Décharge, à la Fondation Pernod Ricard. Photo Aurélien Mole

La nature morte ou vanité parcourt l’ensemble de l’exposition, dans sa conception anglaise de « Still Life », titre de la série des vases et des bouteilles, c’est-à-dire encore frémissante mais proche de la déliquescence, une temporalité « agissante » pendant la durée de l’exposition, par quels moyens ?

J’aime beaucoup les natures mortes qui évoquent le désordre tel que celles de Willem Claeszoon Heda, de Ambrosius Bosschaert ou encore certaines compositions de Caravage. D’une autre façon le photographe Harold Edgerton est aussi important pour moi que c’est peintre historique dans cette même idée de suspendre le temps. Prenant moi-même des photos instantanées avec Autofocus et au flash. Je veux dire par là que la photo doit être prise rapidement, sans réglage. Je m’intéresse aux formes vives, aux formes liées à la vitesse, à la chute, aux débordements, aux plis, aux explosions… C’est un peu le hors champs de mes sculptures. Même si au final beaucoup de chose sont figées dans l’exposition à part les plantes qui s’affaissent et les odeurs qui circulent et se font aspirer par la VMC de la Fondation.

Vue de l’exposition personnelle de Morgan Courtois, Décharge, à la Fondation Pernod Ricard. Photo Aurélien Mole

Si Shakespeare et le théâtre élisabéthain se référaient souvent à la théorie des humeurs, vous y répondez par les affects du corps en lien avec ces accidents de cuissons incontrôlés des céramiques et consacrez une place importante à la physiologie, comment vos recherches se sont-elles construites ?

J’aime les accidents. Bien qu’il y ait un certain contrôle dans mon travail lié aux savoirs faire, je laisse beaucoup de place à l’imprévu. C’est aussi une philosophie de travail. J’aime la tension que peut créer un objet précieux qui a par exemple nécessité beaucoup de temps de travail et qui de ce fait dégage quelque chose entre la fétichisation et la crainte. Les matériaux dégagent également ce type d’énergie lié aux désirs. Mettre du danger dans le précieux, mettre du déséquilibre dans la composition, frôler la destruction dans le processus de création est une tension qui m’intéresse car elle anéanti une certaine fétichisation de l’objet. C’est aussi parfois libérateur de se détacher des objets, de les casser. Même si au final, dans le cadre d’une exposition, tout est figé et intouchable.

En quoi votre résidence à la Rijksakademie a-t-elle été une étape décisive de votre parcours ?

Les deux années passées à la Rijksakademie d’Amsterdam (en 2018 et 2019) m’ont permis d’approfondir des savoir-faire assez traditionnels tels que le moulage et j’ai surtout travaillé la céramique. Avoir l’opportunité d’avoir plusieurs fours à céramique et d’apprendre à faire des émaux avec Marianne Peijnenburg à était super excitant. Je suis très reconnaissant qu’une tel institution existe et permette d’expérimenter autant d’outils dans de si bonnes conditions de travail. J’aimerais beaucoup avoir l’opportunité de poursuivre ce travail lié à la céramique à Paris mais les endroits de production sont tellement rares. Je suis très reconnaissant à la Rijksakademie de m’avoir permis de revenir travailler pour produire toutes les porcelaines de l’exposition.

Je vous ai découvert à travers vos sculptures, quel est leur rôle dans l’exposition ?

Les sculptures en plâtre dans l’exposition sont des agrandissements de partie du corps proche du sexe mais ces détails sont tellement agrandis qu’ils ne se lisent pas de la même façon. Le sexe est au bord de la sculpture. En ce sens elles ont le rôle d’injecter dans l’exposition l’importance du corps comme véhicule de force comme de vulnérabilité.

Question plus personnelle : dans la vie, le vase est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

Il est totalement vide car je bois très vite !

Infos pratiques :

Morgan Courtois, Décharge

Jusqu’au 26 mars 2022

Curatrice : Zoe Stillpass

Fondation Pernod Ricard

1 cours Paul Ricard
75008 Paris

Entrée gratuite de 10-19h du mardi au samedi

Agenda et événements :

https://www.fondation-pernod-ricard.com/