David Bailey, Catherine Deneuve Vogue Paris, mai 1966 Archives Vogue Paris
Un magazine iconique qui au-delà de son audace, sa capacité d’anticipation et sa longévité, incarne une certaine idée de la parisienne comme en témoigne cette exposition anniversaire orchestrée par le Palais Galliera qui à partir des archives de Vogue New York et Paris nous invite dans les coulisses d’une aventure transatlantique hors du commun. A l’heure du tout numérique et de la sphère grandissantes des influenceurs alors que l’on peut désormais « shopper » en ligne sur le site de Vogue.fr, l’objet magazine revêt soudain une importance capitale, comme l’un des derniers refuges des années fastes de cette ligne exigeante de la mode où de nombreuses personnalités artistiques et littéraires contribuaient à donner le ton. Un manifeste d’une époque révolue qui ressurgit sous nos yeux à travers cette rotonde circulaire qui ouvre le parcours constituée de plus de mille couvertures en zigzag selon un parti pris scénographique en immersion. Tournez manège et remontons le temps avec le premier numéro de Vogue Paris qui sort le 15 juin 1920 pour poursuivre sous le règne de chaque rédacteur, rédactrice en chef.
La spécificité française éditoriale s’affirme avec l’arrivée du très charismatique Michel de Brunhoff en 1929 quand le studio photo devient le laboratoire incontournable avec des maîtres tels que Horst, Cecil Beaton, Man Ray, Edward Steichen ou Erwin Blumenfeld. Pendant la guerre, les allemands font main basse sur les bureaux et le studio et Brunhoff résiste pour ne pas devenir un outil de propagande avant de relancer à la libération de Paris tout d’abord des numéros hors-séries exceptionnels, du fait du manque de papier. Entre 1945 et 1947 Vogue accompagne une véritable renaissance de la capitale sous l’impulsion de Brunhoff qui décide d’y ajouter un volet sur la vie culturelle (théâtre, cinéma, expositions..), confié à la talentueuse Edmonde Charles-Roux qui vient de Elle et France-Soir et lui succédera naturellement.
L’on assiste à un véritable âge d’or sur fond de bouillonnement culturel chroniqué par des photographes de légende : Robert Doisneau avec qui Edmonde Charles-Roux court les vernissages, Willy Ronis mais aussi Guy Bourdin qui fait son entrée, William Klein ou Newton et l’on perçoit les frémissements qui vont conduire à Mai 68 avec des mutations sociales dont le magazine se fait l’écho. C’est Edmonde-Charles Roux qui soutient Yves Saint-Laurent lorsqu’il lance sa propre maison de couture. Sagan, Mauriac, Giroud ou François Nourissier, contribuent aux nouvelles chroniques littéraires qui font une large place à la Nouvelle Vague.
L’ère suivante marque la toute puissance des photographes avec Francine Crescent à la mode et à la beauté Françoise Mohrt, un duo en quête d’audaces graphiques et de chocs visuels portés par Jeanloup Sieff, Albert Watson, Sarah Moon, Mike Reinhart, Patrick Demarchalier ..magnifiant le nouveau pouvoir subversif du corps de la femme. Vogue devient un puissant catalyseur à l’on croise aussi bien David Hockney, Hitchcock, Jacques Tati, Andy Warhol, Marlène Dietrich que Roger Vadim, Alain Resnais ou Marcel Carné. Crescent et Mohrt donnent aussi la parole aux grands couturiers : Karl Lagerfeld, Oscar de La renta ou Claude Montana qui font part de leurs coups de coeur. Elles inaugurent les séries des numéros de Noël confiés à des réalisateurs (Fellini), des actrices (Jeanne Moreau, Lauren Bacall) ou des artistes (Dali, Marc Chagall). Le nombre de pages explose.
Les années 1980 voient l’avènement du star system. Dans les années 1990 et 2000 Jean Poniatowski recrute Colombe Pringle Irène Silvagni puis l’américaine Joan Juliet Buck qui vont amorcer des changements notables : la taille du magazine diminue, il s’ouvre à l’international et la mode n’est plus déconnectée du réel. Les supermodels triomphent dans cette époque globalisée et consumériste où la place de Paris s’efface peu à peu.
Avec Corinne Roitfeld au début des années 2000 qui s’entoure d’une nouvelle génération de photographes ouverts à toutes les provocations : Testino, Inez & Vinooth, Mert & Marcus, l’image percute et l’on donne carte blanche à de superproductions filmiques. Parisienne de naissance, la dimension Vogue Paris s’inscrit dans une sorte de mythologie. Des créateurs tels que Tom Ford ou Anthony Vaccarello régulièrement invités signent la place prépondérante des stylistes. Avec Emmanuelle Alt aux commandes depuis 2011 l’on assiste à un virage numérique sans précédent qui soulève des questionnements sur le devenir matériel du magazine.
Cette exposition anniversaire marquerait-elle son chant du cygne ? Une chose est sûre la silhouette de Catherine Deneuve dont la présence est constante sur les couvertures de Vogue (16 au total ! ) incarne à jamais la Parisienne. Un mélange d’audace, de liberté et de beauté. Vogue Paris, bien plus qu’un magazine…
Une histoire de la mode, l’histoire du Palais Galliera
Avec le nouveau parcours « Une histoire de la mode. Collectionner, exposer au Palais Galliera » proposé en miroir, c’est aussi une spécificité parisienne qui est mise en avant à travers les collections fabuleuses de la Société de l’histoire du costume initialement conservées au Musée Carnavalet. Le Musée de la Mode de la Ville de Paris, sis Palais Galliera, est le riche dépositaire de cette mémoire régulièrement enrichie qui défile sous nos yeux à travers quelques 350 pièces emblématiques du XVIIIème siècle à nos jours. De la fameuse Rose Bertin, simple marchande devenue l’arbitre des élégances à la vogue des cotonnades ramenées d’Inde, de la robe de chambre masculine au gilet du siècle des Lumières, de la robe à crinoline à l’avènement des lignes droites et androgynes des années 1920, les métamorphoses de la mode féminine traduisent une évolution du goût et des usages personnifiées par de riches clientes telles que la Comtesse Greffulhe fidèle à Worth ou Mme Combe Saint-Macary, inconditionnelle de Paul Poiret.
A la 2ème moitié du XXème siècle après les années de privation et de débrouillardise de l’Occupation, retour au faste dans les années 1950 avec le New- Look de Dior et une place prépondérante pour Paris dans le monde de la haute couture. Vague de liberté et d’émancipation de la femme dans les années 1960 avec le tailleur Chanel alors que le Palais Galliera lance un appel aux maisons de couture et reçoit pour la première fois des prototypes de défilés. Puis avec l’essor du prêt-à-porter, Paris perd de sa suprématie, tandis que la décennie suivante ravagée par les crises économiques et le sida, voit l’émergence du glamour et du spectaculaire. Place à la création contemporaine marquée par la dissidence et la déconstruction de la silhouette classique tandis que le département Création contemporaine du Palais Galliera est créé pour témoigner de toutes ces évolutions en cours d’écriture. A noter que le magazine Vogue à travers son fond de dotation en l’honneur de la création contemporaine accompagne le Palais Galliera dans cette mission. La programmation conjointe de ces deux expositions a donc tout son sens.
En bonus : des extraits de la collection d’éphémères, cartons d’invitation aux défilés qui rivalisent d’inventivité, les vêtements d’artistes (Dufy, Sonia Delaunay..), les éventails ou les boutons couture de François Hugo, orfèvre et bijoutier, qui collabore avec Chanel, Dior ou Schiaparelli.
Numéro spécial VOGUE Paris 100 ans en kiosque qui va vite devenir collector !
Infos pratiques :
VOGUE PARIS
Jusqu’au 30 janvier 2022
Une histoire de la mode
Accrochage 1
Jusqu’au 26 juin
Tarifs : 14/12 €
Réservations www.billetterie-parismusees.paris.fr
Palais Galliera
10 Av. Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris