Paris Gallery Week-end : Florence Bonnefous, Air de Paris

Florence Bonnefous, director Air de Paris, Crédac, courtesy Say Who

Membre du nouveau board du Paris Gallery Week-end et du comité de sélection de la FIAC, Florence Bonnefous, fondatrice de la galerie Air de Paris avec Edouard Merino en 1990, fait partie de l’équipe d’origine du projet Komunuma. Un défi dans le Grand Paris de l’art qui a depuis fait ses preuves. Je la rencontre à l’occasion de l’ouverture du premier solo show dédié à Gaëlle Choisne qui reflète les partis-pris esthétiques, sociaux et politiques de la galerie. Par cette chaude journée de mai, ce campus arty du Grand est parisien prend tout son sens alors qu’allongées sur la prairie et entourées de bâtiments post industriels, nous goûtons au plaisir des retrouvailles à l’occasion des vernissages conjoints des galeries, la 71ème édition de Jeune Création et l’ouverture des Réserves du Frac Ile-de-France. Si le bilan est très mitigé avec le propriétaire du lieu, Florence Bonnefous se félicite de la cohésion des acteurs de Komunuma et de la visibilité apportée au site. Elle revient sur son engagement dans le Paris Gallery Week-end, l’expérience des foires, que ce soit en distanciel ou en présentiel et l’ouverture d’un cinéma permanent : le Klingon (Start Trek) avec un film inédit de Liam Gillick qu’il a réalisé lors de sa quarantaine de Corée puis une programmation évolutive. Elle précise que toutes les chaises ont été réalisées par des artistes. Assurément, l’un des temps forts du Paris Gallery Week-end ! Personnalité hors normes et hors code, Florence Bonnefous a répondu à mes questions.

L’exposition Gaëlle Choisne : enjeux et parcours

Pour ce premier solo show dans cet espace relativement vaste, l’artiste a choisi de montrer une large variété d’œuvres des dernières années (entre 2015 la plus ancienne jusqu’à des œuvres très récentes), nous permettant de mesurer ces courants océaniques qui traversent son travail autour du féminisme, de la sexualité, de l’écologie et le retour à la terre des origines, mêlés à la ségrégation et au colonialisme, dans une sorte d’autoportrait par la bande. Une œuvre est présentée sur la coursive extérieure et dont le vent est l’un des matériaux constitutif et d’autres, les tables Akashiques qui viennent du mot sanscrit Akasha ou éther, combinant cette philosophie hindoue de l’origine de toutes choses et une série de chiffres étranges qui se retrouvent dans la liste des prix aux chiffres répétés qui se jouent des conventions comptables de la logique marchande : 444 Euros, 7 777 Euros … L’impact du confinement transparait dans des œuvres plus petites dont cette série d’acryliques sur papier de tonalité assez joyeuse et exubérante bien qu’elles soient toutes encadrées de grillages. Ces cadres grillagés ont été conçus par l’artiste qui s’engage véritablement à chaque fois physiquement dans l’œuvre. Ils sont rehaussés de gris-gris et d’un parfum qui donne son nom à l’exposition « Mondes subtiles ». Dans cet exemple d’autoportrait véritable, l’artiste reprend l’iconographie de l’Artémis d’Ephèse, déesse grecque au visage noir comme nos vierges noires occidentales, déesse de la nature dont l’iconographie engage toujours beaucoup de mamelles qui sont ici figurées sous la forme de sacs plastiques dont la couleur évoque le goudron, l’huile et le pétrole qui pollue, parfois remplis de cire blanche. Dans deux grands « tableaux » on retrouve des éléments autobiographiques, ses propres mains distordues par un effet Photoshop et de nouveau des gris-gris ajoutés avec une certaine nonchalance, n’hésitant pas à les remplacer par d’autres éléments selon l’inspiration du moment, les œuvres ayant cette capacité d’évolution constante. Les cadres sont recouverts d’un matériau que l’on appelle le covering, rattaché à un phénomène de personnalisation automobile très populaire chez les passionnés, le tuning. Ces couvertures dites coréennes sont présentes dans tout le Moyen-Orient comme dessus de lit ou dessus de canapé même si on ne connait pas leur origine. De nombreux mégots parsèment l’espace, qui se mélangent avec de la silicone, des fleurs séchées et de la tisane évoquant la sphère du soin et de la guérison mais aussi le monde de la nuit. La pièce la plus ancienne de l’exposition est volontairement placée en son centre, un film réalisé en 2015 lors d’un de ses voyages en Haïti où elle va se frotter à un lieu de tous les dangers : le cimetière de Port-au-Prince, l’un des lieux des rencontres des bandes armées mais aussi le lieu des zombies, Haïti étant l’ile vaudou par excellence. Un contexte dont elle ne mesurait pas le danger si bien que lorsqu’elle y retourne une 2ème fois elle sera protégée par un membre de sa famille armé. Le film est tourné en Super 8 et transféré en numérique sur un écran en métal martelé qui renvoie à un autre aspect du monde de la nuit, ses lumières, les boules à facettes, le disco.

Autre élément important du parcours : tous les fruits (mangues, bananes, kakis, grenades…) constituent une même œuvre, éphémère mais reconductible selon un protocole précis. Sur ces 32 fruits sont gravés au laser les mots de la poétesse Audre Lorde, militante noire lesbienne qui nait dix ans avant Angela Davis. Ce même principe est décliné sur une autre œuvre à partir de coquillages sur lesquels on retrouve d’autres tatouages empruntés à la poétesse Maya Angelou, une autre écrivaine militante noire américaine.

Gaëlle Choisne vue de l’exposition Mondes Subtiles, courtesy l’artiste, Air de Paris photo Marie de la Fresnaye

Comment définiriez-vous la ligne de la galerie ? si tant est que cela soit possible

Elle n’est pas volontairement étiquetée mais identifiable je suppose a posteriori. Quand je parle de ligne, il s’agit plutôt de lignes et comment ces lignes se croisent et jouent dans notre sélection d’artistes et notre manière de travailler, un programme pointé par Nicolas Trembley comme « conceptuel trash » ou « conceptuel outsider », définition peu conventionnelle mais qui nous correspond assez bien. Il y a avec nous beaucoup d’artistes dont le travail présente une racine conceptuelle et pour certains une racine qui va chercher dans le vécu d’un individu, d’une singularité, d’une identité particulière. Nous avons travaillé très tôt avec des artistes gays, lesbiens ou queer – à l’époque nous parlions du camp ; des artistes qui exprimaient une différence à des moments où cela n’était pas toujours facile. Nous revendiquons également une racine politique et un souci du social que l’on trouve par exemple dans le travail photographique de Bruno Serralongue, et enfin une racine éthique, celle qui va toujours rechercher des œuvres qui questionnent non seulement elles-mêmes mais également le monde dans lequel elles apparaissent : cette société de l’art contemporain construite avec différents acteurs, les artistes, les critiques, les collectionneurs, les directeurs de centres d’art. Une structure relationnelle que nous tentons d’envisager avec la plus grande transparence possible.

Gaëlle Choisne vue de l’exposition Mondes Subtiles, courtesy l’artiste, Air de Paris photo Marie de la Fresnaye

L’expérience et le bilan de Komunuma

Les relations avec notre bailleur sont compliquées, révélatrices de problèmes éthiques et relationnels. On aurait pu s’en douter mais l’enthousiasme et un peu de naïveté aidant, nous n’avions pas imaginé cette attitude étrange et contre-productive, de traiter de la sorte leurs premiers locataires, qui avons permis la visibilité et la reconnaissance du site. Nous sommes en procès depuis plus d’une année. Malgré cela, une vraie synergie existe entre nous galeristes dont le nom Komunuma est le symbole, rejoints plus récemment par le Frac ile de France, véritable compagnon de route et ami de longue date. En ce qui concerne le public, malgré les les grèves puis le Covid, le rendez-vous est pris avec une fréquentation régulière. Notre bail est sur un modèle classique de bail commercial 3-6-9. Nous pouvons le dénoncer au bout de 3 ou 6 ans et au bout de 9 ans le propriétaire peut choisir de ne pas renouveler. Il faut préciser que les baux commerciaux français protègent mieux les locataires qu’en Angleterre ou aux Etats-Unis par exemple où l’on peut vous mettre dehors en un mois.

Gaëlle Choisne vue de l’exposition Mondes Subtiles, courtesy l’artiste, Air de Paris photo Marie de la Fresnaye

Bilan de la période du Covid, réaction des collectionneurs et des institutions

Nous avons eu un soutien qui a perduré avec quelques collectionneurs amis, dont certains basés à Monaco mais assez peu de collectionneurs français somme toute. Nous avons drastiquement réduit nos dépenses et nous avons bénéficié d’aides de l’état et d’acquisitions notamment de la part du CNAP et quelques Frac (même si plusieurs Frac ont choisi de soutenir plus directement les artistes). De grandes institutions muséales nous ont soutenu, notamment le musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et le Centre Pompidou qui apporte un soutien régulier à de nombreux artistes de la galerie . Des achats étaient manifestement sous-tendus par le contexte que nous traversons et une volonté de soutien et je leur en sais gré. Pour résumer, j’ai eu lors de cette période plus de contacts et de soutiens institutionnels que de la part des collectionneurs privés exceptés ces quelques collectionneurs avec lesquels nos liens sont historiques, puisque nous avons commencé notre activité à Nice et formé des collectionneurs monégasques qui ont continué à nous suivre, nous leur en savons gré également ! On a beau s’appeler Air de Paris depuis trente ans, il me semble que nous ne sommes pas très bien enracinés dans le monde parisien mais cela ne nous empêche pas de bien travailler par ailleurs. E la nave va !

Le Paris Gallery Week-end, les raisons de votre engagement

Je n’avais pas gardé un très bon souvenir de notre participation au Paris Gallery Week-end quand nous étions dans le 13ème avec ces dîners, ces cocktails… jusqu’au changement opéré l’année dernière en plein début de crise Covid. Un signal de ralliement et d’optimisme qui m’avait beaucoup plu alors que les choses ici ne se passaient pas bien. Faisant partie du comité, j’ai parlé avec Marion Papillon, pour qui c’était compliqué d’endosser à la fois la présidence de Choices et du CPGA, pour que l’on trouve une solution, même temporaire. Nous avons alors créé un petit groupe de travail au sein du comité et Marion a généreusement décidé de vendre le Paris Gallery Week-end, émanation de Choices pour 1 Euro symbolique, mettant Choices pour le moment en veille, le CPGA devenant maitre d’œuvre. Nous avons alors réagi très vite pour tout mettre en place en 6 semaines à travers des réunions zoom fréquentes autour de solutions nouvelles et efficaces étant dans l’incapacité cette année d’accueillir des groupes de VIP pour des balades. Nous avons pensé à un concept de samouraïs, emprunté au film Les 7 samouraïs de Akira Kurosawa, l’histoire d’un village mis en danger par de mauvaises relations avec son propriétaire -sic- et qui appelle à son secours ceux que l’on considère comme des bandits de grand chemin et qui vont se révéler les protecteurs et les défenseurs des villageois. L’allégorie est le village de l’art contemporain mis en difficulté par cette situation partagée de tous et qui souhaite tout de même réagir positivement à cette situation. Nous avons ainsi nommé 7 personnalités autour d’un choix de parcours agrémenté d’un texte publié au fur et à mesure avec leurs filtres, leurs choix, leurs coups de cœur et leurs suggestions. Des personnalités aux profils très différents. Par exemple Nicolas Trembley, curateur et advisor, Dorith Galuz, collectionneuse et Colette Barbier, l’amie de toujours. Nous avons voulu les faire sortir de leur zone de confort pour susciter des surprises tant chez le public que l’équipe en charge du parcours.

Retour sur le choix de grandes galeries internationales pour le quartier de Matignon

Cela prend un à deux ans pour s’établir dans de nouveaux espaces donc l’établissement de nouvelles (et puissantes) galeries dans ces quartiers procède d’une décision forcément antérieure aux difficultés liées au confinement. Ce sont des choix d’adresses et de design d’espaces, des mondes plus feutrés qui privilégient l’exclusif et le tourisme de luxe. Ils ont dû certainement à un moment donné soupeser et décidé de maintenir leur décision alors que peut-être d’autres ont au contraire tout arrêté. Certaines enseignes gardent leur espace dans le Marais comme Nathalie Obadia qui va ouvrir rue du Faubourg Saint-Honoré, Almine Reich ou Perrotin. C’est une stratégie qui n’est pas du tout la mienne. J’aime être vraiment présente dans mon espace et cela ne m’intéresse pas de passer de l’un à l’autre en permanence. J’ai besoin de m’enraciner plutôt dans un lieu et de le transformer à mon image plutôt qu’un modèle existant, quand bien même il serait efficace.

Quelle est votre stratégie pour les foires en présentiel et en distanciel ?

Nous avons participé à beaucoup de foires online pendant cette période dont la foire de Bâle depuis le début avec des résultats irréguliers mais globalement à la hauteur de notre investissement. Nous participons à une autre foire de Bâle qui ouvre le 16 juin, avec une exposition curatée intitulée Portals dans une couleur très politique autour des routes commerciales et corporate, avec Gaëlle Choisne pour la route des fruits qui fera une discussion en zoom avec l’écrivaine féministe Emilie Notéris, Bruno Serralongue pour la route du pétrole et Liam Gillick pour le langage corporate.

En juillet, nous retournons à artmontecarlo.

En septembre nous avions postulé pour Bâle même si j’espère que cela ne va pas voir lieu. Puis la FIAC arrive juste après, avec un coût financier lourd. Faisant partie du comité j’ai pu observer que ce nouvel espace du Grand Palais éphémère n’est pas un frein ou une limite finalement car il a été possible d’ajouter une extension de l’espace éphémère, les galeries participantes s’étant engagées à réduire la taille de leur stand. Nous verrons alors si des galeries qui ont postulé il y a longtemps, confirment leur participation.

Artissima se profile ensuite en novembre avec notre participation régulière à la section « Back to the Future » autour d’artistes redécouverts. Nous avons renoncé à Independant New York à laquelle nous participons d’habitude.

Il nous faut en effet veiller à tout concilier avec des charges au quotidien impactantes : un loyer qui s’élève ici à 11000 euros/mois et deux storages extérieurs, alors que nous n’avons pas encore un véritable horizon de reprise.

Infos pratiques :

Gaëlle Choisne, Mondes subtiles

Jusqu’au 24 juillet

Cinéma : Le Klingon

Ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h.
Jauge : 10 personnes dans les étages.

www.airdeparis.com

Komunuma : Air de Paris, Galerie Sator, Galerie Jocelyn Wolff, In Situ Fabienne Leclerc, Jeune Création & Frac Ile de France Les réserves

43 rue de la Commune de Paris, Romainville

www.komunuma.com

Paris Gallery Week-end : les parcours, les galeries, le programme

du 3 au 6 juin

www.parisgalleryweekend.com