Wim Delvoye, Untitled (Icon) 2014 Villa Empain exposition Icons
Puisque 24 heures est la durée autorisée pour les voyageurs français allant à Bruxelles, j’en ai profité dans la perspective de la Art Brussels Week (3 – 6 juin) qui se décline dans les galeries cette année et d’une riche actualité culturelle avec des musées et centres d’art ouverts. C’est assez dense, vous allez voir !
Les Musées Royaux des Beaux-Arts et l’on peut relire mon interview confiné avec Michel Draguet le directeur (lien vers) proposent pas moins de 4 expositions : Pierre Alechinsky, Thomas Houseago, Arboriginalités et Bill Viola. On entre dans le vaste atrium accueilli par l’installation participative et solidaire Origami For Live du designer belge Charles Kaisin récemment présenté au Palais de Tokyo, une sculpture emblématique de Thomas Houseago et des toiles majestueuses de Pierre Alechinsky, comme un avant-goût de ce qui va suivre.
En ce qui concerne Alechinsky « Carta canta » il s’agit principalement de son œuvre gravée autour de 200 dessins, aquarelles, eaux-fortes et lithographies. L’occasion de se plonger dans la matrice de la pensée de l’artiste, animé d’un véritable sens de l’expérimentation technique. Il convient de souligner les liens d’amitié entre Alechinsky et le musée et plusieurs donations importantes.
Le parcours est découpé en différentes parties autour d’un film projeté au centre. Artiste polymorphe, une trilogie autour de l’encre-papier-pinceau se détache et des thèmes récurrents tels que : le serpent, le volcan, la mort, l’astre solaire ou la roue. Dada, les surréalistes belges et français, Ensor et Magritte, CoBrA sont parmi les influences qui parcourent cette matière « qui chante ». Son expérience à New York est fondatrice, et l’on peut dire qu’il y a un avant et un après « Central Park » de 1965, cette vision fantasmagorique qui le hante et qui donne naissance aux premières remarques marginales sur marouflage qui vont devenir sa marque de fabrique, ces « cases par cases » d’abord marginalisées qui prennent peu à peu toute leur place. Puis l’on redécouvre les idéotraces : dessins spontanés, les eaux-fortes, les spirales, les « oranges scalpées » , les « Gilles éruptifs » à partir du carnaval de Binche qu’Alechinsly découvre avec Pol Bury et ces vieux papiers, rescapés de la paperasse qu’il récupère et collecte avec soin auxquels il redonne une seconde vie. Un témoigne précieux sur sa vie également (Hôtel Chelsea). Si toutes ces strates sont passionnantes entre hachures, coulées, visions fluides, cosmogonies… il convient de souligner que le parcours s’adresse à un public assez connaisseur en dessin.
Pour les amateurs de peinture : Thomas Houseago avec ses Vision Paintings est l’un des temps forts de la visite rehaussé par le soutien de son ami Brad Pitt. Réalisées pendant le confinement de l’artiste à Malibu, ville de sa jeunesse, elles sont une ode à une nature vibrante dans le sillage de Munch, Kirchner, Van Gogh ou David Hockney. Le pouvoir réparateur des éléments est également souligné à travers ces personnages énigmatiques qui émergent d’un fond noir comme pour souligner notre vulnérabilité face à un isolement contraint. Cycle de la vie et de la mort qui habite son écho à la Mort de Marat de David, pièce maitresse des collections du musée. Cet ambitieux projet a été mené avec la galerie Xavier Hufkens qui m’a réservé un interview à suivre.
Arboriginalités est une vraie découverte, un art puissant ancré dans un territoire, le désert, le bush dans l’approche collective relève du rituel. La politique d’assimilation forcée des gouvernements australiens a conduit à une marginalisation de ces peuples dont on reconnait enfin l’héritage et la culture propre. L’exposition s’est construite à partir de l’importante collection réunie par Marie Philippson et cette notion d’arboriginilité entre aspiration primitiviste et dialogue contemporain occidental, sans tomber pour autant dans une forme d’essentialisme réducteur. Un croisement des regards qui se traduit dans le parcours à travers des échos formels avec des œuvres emblématiques du musée : Magritte ou une sublime spirale de Richard Long qui ouvre le parcours avec Le Grand crocodile de Sally Gabori. Last but not least, Bill Viola et son installation Purification imaginée pour la mise en scène de Tristan et Isolde par Peter Sellars en 2005. Une méditation, assez peu montrée, qui vous habite longtemps après avoir quitté le musée.
Restons dans le quartier du Sablon pour découvrir les galeries qui ont fait le choix de cet épicentre des antiquaires. A l’occasion de la Art Brussels Week, nouvelle version (cf mon article général), elles se mobilisent et nombreuses sont les étrangères à avoir favorisé la capitale belge pour leur implantation européenne. Dans le sillage de la puissante Gladstone Gallery, la très pointue Mendes Wood fondée en 2010 à Sao Paolo, après New York a jeté son dévolu sur un hôtel Art Déco historique signé du belge Adrien Blomme au 13 de la rue des Sablons. Elle y présente le premier solo show bruxellois de l’artiste brésilien Antonio Obà dans le prolongement de la présentation lors de la FIAC 2019. Contraint à l’exil après menaces de mort, son œuvre graphique et picturale investissant l’ensemble des espaces, mêle syncrétisme religieux et dénonciation politique. Autre galerie brésilienne, la galeria Jacqueline Martins qui a ouvert en pleine crise sanitaire un élégant espace rue des Laines donnant sur un jardin, avec une programmation faisant le pont entre le Brésil et l’Europe.
Nino Mier fondateur de la galerie américaine dont j’ai interviewé la directrice Alexia van Eyll a également fait ce choix. On y découvre l’artiste Mindy Shapero.
Le dernier arrivé et pas des moindres est Sorry We Are Closed, Sébastien Janssen qui m’a fait une visite en avant-première de son incroyable hôtel particulier néoclassique qu’il ouvre au 39 rue des Minimes avec l’exposition de l’artiste française Anastasia Bay. Son frère Rodolphe Janssen qui a ouvert un nouvel espace à Knokke en plein confinement m’a également accordé un passionnant interview (lien vers) autour du projet avec Jacqueline de Jong et de l’exposition de l’artiste flamande Lisa Vlaemminck.
Tout proche, le musée Juif de Belgique propose deux expositions contemporaines : Mathieu Pernot Something is happening autour de son travail réalisé sur l’île des Lesbos et l’exposition collective Ellis Island qui m’a beaucoup interpellée à partir du récit de Perec, lieu utopique synonyme d’errance et de fuite autour d’artistes de l’intime tels que Alina Szapocznikow, Miriam Cahn, Sigalit Landau ou Latifa Echakhch.
Cap ensuite sur La Centrale qui fête son 15ème anniversaire autour du 2ème volet de BXL UNIVERSEL dont Carine Fol m’avait esquissé les contours lors de son interview confiné. Exposition polyphonique autour d’artistes établis à Bruxelles mais aussi d’organisations citoyennes qui incite au dialogue à travers un forum. L’œuvre textile géante de Stephan Goldrajch (Bruxelles, diplômé de La Cambre) et ses multiples ramifications placée au centre en est le symbole. Cet arbre à palabres réalisé en tricot et en crochet par de nombreuses personnes est spectaculaire. Autre proposition emblématique la Zone de troc imaginée par Pélagie Gbaguidi (Dakar), ancien salon de coiffure transformé en espace d’interactions et d’échanges de bien et de paroles (KFDA). Mon coup de cœur va à l’artiste et cinéaste vénézuélienne Sabrina Montiel-Soto (Paris 8 et Le Fresnoy) et sa cartographie d’objets glanés lors de ses déplacements. Enfin la collection de sonnettes qui constituent l’installation sonore d’Oussama Tabiti (Algérie) « Parlophones » retrace cette identité métissée bruxelloise aux multiples langages.
Avant de quitter le quartier de Sainte-Catherine et ses jolies terrasses, stop à la Alice Gallery qui présente l’artiste français Tommy Lhomme que l’on avait repéré lors de l’édition 2020 de Jeune Création chez Thaddaeus Ropac. Aux confins du design et de l’art and craft son mobilier, tapisseries, pratique du tufting, tatouages, vidéos et musique ouvrent grand les possibles.
Puis on s’extraie du centre pour aller à la Fondation Boghossian, Villa Empain où Henry Loyrette, ancien président du Louvre, à concoctée l’exposition Icons dans cette icone architecturale en soi. De cette image vénérée dans les monastères reculés de l’Orient chrétien, une résurgence continue subsiste chez les artistes selon le fil rouge choisit et exploré dans tous les espaces privés de la demeure du riche industriel, amateur d’art. Que ce soit Andy Warhol, Pierre et Gilles qui ouvrent le parcours, Yan Pei-Ming, Sarkis (sublimes), Wim Delvoye, Douglas Gordon et l’étonnant vestige de notre modernité aseptisée, l’homme de ménage de Duane Hanson placé devant la pergola et piscine de la Villa.
La Fondation Boghossian dont j’avais interviewée la directrice Louma Salamé a ouvert une résidence d’artistes depuis 2010 dans le jardin. En 2021 les résidents sont Yasmina Benabderrahmane (France), Guillaume Lebelle (France) et Luke James (France).
Le tour serait incomplet sans la visite du WIELS, dirigé par Dirk Snauwaert, dont j’ai déjà chroniquée l’exceptionnelle exposition dédiée à Jacqueline de Jong à travers mon interview avec la commissaire (lien vers). Jacqueline de Jong qui se distingue par sa conquête constante d’autonomie fait partie de l’exposition Women in Abstraction au Centre Pompidou. Regenerate, panorama collectif d’artistes basés à Bruxelles en réaction à l’isolement imposé par la pandémie est l’autre belle surprise. J’y remarque l’artiste Bram Demunter et ses portraits dans la grande tradition anglaise et flamande d’un hommage au commanditaire avec ses animaux préférés, Eva L’Hoest et ses scans réalisés à partir d’archives numérisés du corps humain, Sandrine Morgante et sa récit de notes insomniaques dérivée de sa prise de Mélatonine ou les tableaux intimes de l’artiste d’origine libanaise Marie Zolamian.
Dans le quartier du Châtelain j’ai déjà parlé des nouvelles et formidables expositions de Hangar à travers mon interview avec Delphine Dumont et quelques photographes qui ont retenu mon attention comme France Dubois, Katherine Longly, Téo Becher & Solal Israel. En ce qui concerne les galeries avoisinantes Templon présente l’artiste indienne Anju Dodiya et ses dernières séries réalisées dans le confinement de son atelier-maison de Mumbaï, des matelas à la fois familiers et mystérieux combinés à des motifs issus de son imaginaire puissant et poétique. J’ai été moins convaincue par les expositions de Jean Milo et Gérard Alary à La Patinoire Royale qui nous avait plus séduits avec le minimalisme de François Dusépulcre et son « langage des ombres » (relire mon interview avec Valérie Bach).
A venir à La Verrière Hermès la très attendue exposition du duo d’artistes français Montaincutters résidant à Bruxelles. Leur première dans la capitale belge. Un tout nouveau projet et « salutaire désordre » conçu avec Guillaume Désanges. L’occasion de revenir dans cette ville de cœur vous l’aurez compris !
Infos pratiques :
Art Brussels Week : du 3 au 6 juin avec Sorry We Are Closed, Mendes Wood, Galeria Jacqueline Martins, Nino Mier, Rodolphe Janssen, Alice Gallery…
Musées Royaux des Beaux-Arts : Thomas Houseago, Alechinsky, Arboriginalités, Bill Viola
https://www.fine-arts-museum.be/
Centrale : BXL UNIVERSEL II
Fondation Boghossian-Villa Empain : ICONS
Fondation Boghossian – Fondation Boghossian (villaempain.com)
HANGAR Regarde mon histoire, Lost & Found
WIELS : Jacqueline de Jong et Regenerate
La Verrière-fondation Hermès : Mountaincutters, les indices de la respiration primitive
https://www.fondationdentreprisehermes.org/f
Carnet de route :