Bicentenaire Gustave Flaubert en Seine-Maritime : « Madame Rêve en Bovary », « Voyage(s) en Orient », Flaubert et la photographie : Juliette Agnel

Croquis de Jean Oddes, scénographe Madame Rêve en Bovary © Jean Oddes

Né à Rouen le 1er décembre 1821, Gustave Flaubert n’a jamais complètement quitté sa Normandie natale, source inépuisable d’inspiration. Il est l’épicentre de l’année 2021 en Seine-Maritime à travers une vingtaine d’initiatives : expositions mais aussi parcours dans les jardins ou les sites remarquables, conférences, dégustations gastronomiques…  d’avril à décembre sous l’apostrophe « Flaubert encré en Seine-Maritime » (affiche générale). Isabelle Hupert est présidente d’honneur de Flaubert 21 pour son inoubliable prestation dans le rôle d’Emma Bovary par Claude Chabrol.

Le temps d’une journée, petit voyage et aperçu de l’évènement avec comme proposition la plus convaincante, l’évocation de son roman emblématique Madame Bovary. Je commence donc par cette exposition proposée par le Musée des Traditions et Arts Normands Château de Martinville à la Maison Marrou et à l’Opéra de Rouen dont le titre emprunté à Alain Bashung « Madame Rêve… » donne le ton de ce qui va suivre. C’est principalement à la Maison Marrou que se joue l’acmé de l’intrigue. Derrière la façade classée monument historique du célèbre ferronnier Ferdinand Marrou, se cache le petit théâtre recréé de la vie de cette femme que l’on est invité à reconsidérer chacun.e selon ses impressions au fil d’un parcours totalement immersif. La commissaire générale Sandra Predine-Ballerie a fait appel au scénographe Jean Oddes, qui en véritable magicien, nous transporte dans la psyché de cette paysanne du pays de Caux qui a cru en son rêve et va finir par se perdre dans ses chimères et son éternelle insatisfaction. Dans un habile système de flash-back, sa vie défile sous nos yeux alors que la maison, son mobilier et ses souvenirs vont être bientôt vendus aux enchères. Après un préambule sous le signe d’un parfum entêtant, nous pénétrons dans la salle à manger du mariage de Charles et Emma, le début pour elle d’une possible émancipation. La table est dressée tandis que défile en toile de fond des films d’archives de mariages normands. Au 1er étage est évoqué l’ennui des premières années de son mariage à Totes avant qu’ils ne déménagent à Yonville, tandis que le 2ème étage évoque Rouen, lieu de ses frasques sentimentales. Alors qu’elle cherche à s’échapper de ce quotidien évoqué par la pluie, les lectures, la religion avant que la fameuse scène du bal et sa rencontre avec le Vicomte ne la fasse basculer dans un ailleurs traduit par ses nombreuses toilettes, gazettes de mode, tapisseries qu’elle commence sans jamais les achever. Au 2ème étage, il est alors question de confusion des sentiments et des sens au fur et à mesure de ses aventures galantes qui la révèle en tant que femme. Le fameux trajet en calèche dans les rues de Rouen sans fin est transposé de façon très créative avec une vidéo qui reprend les titres des différentes rues de Rouen que les amants traversent.

Globe de mariage Normandie, vers 1860. Collection Musée des Arts et Traditions Normands photo Véronique Hénon

Comme le souligne Sandra Predine-Ballerie, si Emma rêve d’un ailleurs social à travers une image qu’elle se fabrique elle-même, elle ressemble en cela à beaucoup d’autres jeunes femmes et en devient très contemporaine à travers cette puissante évocation qui se poursuit à travers la publication inédite par Gallimard et la Fondation Pierre Bergé Yves Saint-Laurent à partir des dessins inédits du jeune Yves Saint-Laurent évoqués dans la scène du Bal (collection Hors Série littérature).

En écoute : visite par la commissaire et le scénographe 🎧 Fomo-Podcast

Croquis préparatoire de Jean Oddes

L’autre volet de l’exposition à l’Opéra de Rouen (dont le théâtre des arts est par ailleurs toujours occupé) a été imaginée à partir de malles de voyages au nombre de 7 et un piano customisé. L’application audio Musair peut de nouveau ici accompagner le visiteur. Le point de départ est la musique intime de la jeunesse d’Emma, puis le Bal à travers l’évocation de spectacles des années 1840 avec des costumes mais aussi livrets d’opéra, photographies des films, maquettes anciennes de décors…un panorama qui plaira aux connaisseurs.

Yves Saint-Laurent, page de garde du livre en partie recopié et illustré Madame Bovary d’après le roman éponyme de Gustave Flaubert © Fondation Pierre Bergé Yves-Laurent

En ce qui concerne l’exposition Voyage(s) en Orient au Musée Victor Hugo-Maison Vacquerie elle évoque ces écrivains normands voyageurs qui se sont nourris d’un Orient réel ou fantasmé et ont contribué à la naissance de l’archéologie orientale. L’essor de l’orientalisme est favorisé par le Romantisme français et Victor Hugo même s’il n’a pas fait le voyage, s’en fait le chantre dans Les Orientales qui auront une influence notable sur de nombreux artistes et écrivains. C’est le voyage de Flaubert avec Maxime Du Camp qui va être une expérience significative, après l’échec de La Tentation de Saint Antoine.  Flaubert en rapportera des Carnets, prémisses du Voyage en Orient et de son célèbre Salammbô et Du Camp des clichés qui représentent de véritables avancées photographiques et archéologiques. D’autres voyageurs sont évoqués comme Camille Saint-Saëns, Paul-Emile Botta, le Père Delattre ou Henri de Genouillac, aumônier archéologue dont plusieurs objets en terre cuite mésopotamiens de sa collection sont présentés. Enfin l’expédition de Félix-Archimède Pouchet sur l’île de Philae va avoir un retentissement certain avant que n’ouvre le musée égyptien au Louvre en décembre 1827.

Claudio Sabatino Pompéi, la maison de l’Ancienne Chasse 2001 courtesy l’artiste

A l’Abbaye de Jumièges, l’exposition Pompéi proposée par Gabriel Bauret à partir des photographies de Claudio Sabatino est une déception. Après la remarquable proposition de Victoria Jonathan à l’occasion de Normandie Impressionniste, la soi-disant confrontation entre Flaubert qui est passé par Pompéi et l’ancien assistant de Gabriele Basilico ne prend pas dans ce lieu pourtant unique. Ses vues du site ne dégagent pas d’émotion particulière ni de portée formelle dans des tirages dont la qualité laisse à désirer. Gabriel Bauret nous avait habitué à beaucoup mieux notamment à l’occasion de sa très belle saison nordique conçue pour le musée des Beaux-Arts de Rouen.

Juliette Agnel Taharqa la nuit courtesy l’artiste

Tous les espoirs se tournent donc en faveur de Juliette Agnel qui transportera le visiteur aux confins du Soudan sur le site mythique de Méroé, chargé pour elle d’une énergie particulière. Un ravissement qu’elle capture de nuit et qui rejoint cette quête de sacré et de sens qui l’anime. « Voyage dans le temps et Nocturnes-Soudan » se veut un hommage à Du Camp et Flaubert.

Abbaye Saint-Georges de Boscherville

Autre volet : la botanique qui vient compléter cette évocation de l’ailleurs flaubertien dans les Jardins de l’abbaye de Saint-Georges de Boscherville  avec les paysagistes Michel Racine et Béatrice Saurel ou l’herbier contemporain de Pascal Levaillant et le voyage en Orient par les plantes proposé dans l’ensemble des jardins des sites et musée du Département.

Last but not least, A table avec Flaubert imaginé avec l’Union des Métiers de l’Hôtellerie et restaurateurs en Seine-Maritime devrait réjouir les papilles !

Nombreuses publications en résonnance.

Bonnes balades sur les sentiers de la Seine !

Infos pratiques :

 « Madame Rêve en Bovary »

Dès l’ouverture des lieux culturels et

Jusqu’au 14 novembre

Maison Marrou (Rouen)

« Au fil du Nil » Juliette Agnel sur les traces de Flaubert de Du Camp

Du 4 septembre au 30 novembre

Abbaye de Jumièges

« Voyage(s) en Orient »

Du 1er août au 31 octobre

Musée Victor Hugo-Maison Vacquerie

Calendrier général des manifestations du département de la Seine-Maritime 

Bicentenaire Flaubert | Région Normandie