Portrait de Chantal Colleu-Dumond photo E. Sander
« Il est essentiel pour moi de créer l’émotion et l’émerveillement du visiteur » nous déclare Chantal Colleu-Dumond, en cette chaude journée d’avril où nous découvrons avec bonheur la nouvelle Saison d’art de Chaumont-sur-Loire. Malgré le contexte et l’incertitude qui pèse sur les lieux culturels, la directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire a maintenu l’exigence, entourée d’une équipe soudée et ultra motivée. Cela se ressent dans les moindres détails de l’accueil et du parcours. En une seule journée, le visiteur est invité à traverser les époques et les continents, autour d’artistes inscrits dans l’ADN de Chaumont ou d’autres nouveaux arrivants. Que l’on soit amateur de parcs et jardins, d’art contemporain ou de patrimoine historique, chacun y trouve une oxygénation bienvenue ! Une utopie à vivre où l’étonnement le dispute à la magie face aux cristallisations alchimiques de Pascal Convert (château et parc), aux arborescences de milliers de plumes de Carole Solvay (Asinerie), aux nuages atmosphériques de François Réau (galeries cour Agnès Varda), aux accumulations matiéristes de Paul Rebeyrolle (château), aux nuages d’épines et de lichen de Chris Drury (grange aux abeilles), aux rhizomes tissés de Chiharu Shiota (galerie du Fenil) ou à la grande tapisserie de verdure de Joël Andrianomearisoa (cour Agnès Varda). La promenade se poursuit dans le parc où l’on découvre les nids de fils de fer barbelé d’Abdul Rahman Katanani « Renaissance », les souches échappées de Verdun de Pascal Convert « Ceux de 14 », matrices de la mimesis chère à Georges Didi-Huberman, compagnon de pensée de l’artiste, et bientôt la conque de céramique colorée de Miquel Barceló. Autant de fabriques, terme consacré au XVIIIème siècle, rendues possibles par la volonté de Chantal Colleu-Dumond, qui se dit animée d’une force de résilience. Elle a répondu à mes questions avec la conviction qu’on lui connaît, alors que l’hôtel du Domaine sera ouvert l’année prochaine, si tout va bien.
Comment avez-vous réussi à maintenir de tels élan et exigence en cette période ?
Pour les équipes, il était très important qu’il y ait un cap dans une période où les gens sont perdus face à ce « trauma » général. Quand bien même nous ne sommes pas directement concernés, le malheur non identifiable qui plane autour de nous, nous atteint profondément. Le travail au quotidien, l’objectif que l’on se fixe, les délais sont essentiels, et Chaumont-sur-Loire est un lieu très particulier en ce sens. Nous sommes une petite équipe de gens passionnés qui aiment relever les défis. Comme un chef d’orchestre, je dois discerner et capitaliser les énergies de chacun. L’année dernière, nous avons pu maintenir le cap dans des conditions encore plus difficiles, car nous étions peu nombreux, alors que cette année, ceux qui n’avaient pu être présents sont très heureux de contribuer à une œuvre qui va apporter du bien-être aux visiteurs. Ils en ont pleinement conscience : Chaumont-sur-Loire est bel et bien un lieu de démocratisation culturelle extraordinaire.
Ayant été frappée jeune par des malheurs personnels comme la perte d’un frère, je suis quelqu’un de résolument positif. Dans ce cas, deux attitudes sont possibles : soit l’on bascule dans la mort ou l’angoisse, et je la ressens toujours, soit l’on se dit que l’on profite du fait d’être en vie pour la partager avec un maximum de personnes !
L’invitation multiple à Pascal Convert
Je trouvais important que l’on puisse continuer à raconter ce qu’il avait commencé ici en 2020 avec cette fabuleuse bibliothèque qui s’inscrit à l’endroit même où les livres de la princesse de Broglie avaient disparus dans un incendie en 1957. Cette transformation quasi alchimique de livres pétrifiés par le feu me semblait extraordinaire. De même, la chambre d’enfant cristallisée dans les appartements des invités conjure la mémoire des fantômes du château par de nouvelles expérimentations. J’aime le travail de Pascal Convert, car la poésie qui en émane, son souci de l’émotion, est ce qui me guide au plus profond. Que l’on soit face aux souches de tranchées de 1914 fossilisées dans le parc, ou face aux visages des enfants atteints de folie répertoriés par Charcot (vitraux de l’Abbatiale St Gildas des Bois en Loire-Atlantique), son pouvoir de transsubstantiation laisse une empreinte étrange et déroutante.
Place donnée à l’émergence
Il est important que l’on présente à la fois des artistes seniors comme Sheila Hicks, des artistes qui ne sont plus avec nous comme Dubuffet et Rebeyrolle, dont je voulais montrer le travail depuis longtemps et des artistes très jeunes. Chaque année, j’accueille des artistes émergents. et Je me souviens, par exemple, de l’artiste Duy Anh Nhan Duc d’origine vietnamienne, qui avait su transformer l’espace de l’Asinerie en un vaste champ éphémère de milliers de pissenlits, une œuvre à la fois fragile et au pouvoir de réminiscence très fort. Cette année, la jeune génération est représentée par Fabien Mérelle, François Réau et Min Jung-Yeon (Galeries de la cour Agnès Varda), dont les dessins multiples nous entrainent dans des fictions sensibles et immersives.
Une thématique sous-jacente autour du fil
Que ce soit, en effet, les fils de laine et de soie de Sheila Hicks, les fils tissés de Chiharu Shiota, les fils de fer barbelé d’Abdul Rahman Katanani (parc), les fils qui soutiennent les œuvres de Chris Drury ou de Carole Solvay, je me suis aperçue a posteriori de ces liens inconscients, comme pour chaque saison. Ces résonances, ces ramifications souterraines, quand elles se matérialisent, sont toujours fabuleuses.
Certaines invitations plus lointaines ont-elles été empêchées par ce contexte ?
Cela ne concerne qu’un seul artiste américain qui aurait dû s’ajouter à cette programmation. Par manque de certitude, nous avons dû reporter la réalisation de son œuvre à l’année prochaine. Son installation nécessite en effet 3 ou 4 semaines sur place.
Rétrospectivement, je réalise que j’aurais pu prévoir plus d’œuvres en extérieur. Je n’avais pas imaginé, comme beaucoup, que le Covid durerait si longtemps.
Quel est l’impact économique de la crise sur le Domaine de Chaumont ?
Nous sommes à un taux de 75% d’autofinancement. L’année dernière, nous avons beaucoup perdu et reçu fort heureusement une aide compensatoire de la Région qui nous a permis de surmonter cette épreuve. Il ne faudrait pas cependant que cela se prolonge trop longtemps.
Si jusqu’au 1er avril mon inquiétude était relative, les mois d’hiver étant traditionnellement moins fréquentés, cette période va être plus lourde à assumer avec la perte du week-end de Pâques, des vacances scolaires. Le printemps coïncide avec la Saison d’art qui attire toujours beaucoup de visiteurs. A Chaumont-sur-Loire, tout est lié : nous sommes à la fois un lieu financé par les visiteurs mais aussi par nos restaurants (au nombre de 4), qui sont bloqués et dont les règles sanitaires ne permettent pas l’ouverture, de même pour les boutiques (au nombre de 2) et les offres de formation pour adultes.
Le Festival des Jardins 2021
La préparation des jardins suit son cours et nous serons prêts à temps. Malgré le contexte, nous avons tenu à accueillir des équipes européennes, comme actuellement des paysagistes tchèques, néerlandais et britanniques. La thématique, cette année, est « Biomimétisme au Jardin, la nature source infinie d’inspiration ». Si le biomimétisme a beaucoup à nous apprendre, l’objectif est bien de remettre la nature au cœur de la réalisation des projets humains.
Infos pratiques :
Date de réouverture du Domaine à confirmer selon l’évolution de la crise sanitaire
Saison d’art 2021
Jusqu’au 1er novembre 2021
Festival International des Jardins
Jusqu’au 7 novembre 2021