Cyrus Cornut, Chongqing, sur les quatre rives du temps qui passe. courtesy l’artiste
Retenu parmi 12 dossiers finalistes sur 650 candidatures, Cyrus Cornut est lauréat avec Aassmaa Akhannouch du Prix HSBC 2021. Sa série « Chongqing, sur les quatre rives du temps qui passe » autour de la mutation galopante de la métropole chinoise a demandé un véritable engagement physique et mental autour du travail à la chambre grand format, comme le souligne Sylvie Hughes consultante, conseillère artistique du prix 2021. Je l’avais rencontré cet été à l’occasion des Promenades photographiques de Vendôme où il présentait deux autres séries. Il a répondu à mes questions.
Que représente pour vous le Prix HSBC ?
Le prix HSBC est avant tout pour moi l’occasion de pourvoir enfin publier une monographie. Malgré de nombreuses années de pratique, je n’en ai jamais eu l’occasion, et c’est d’ailleurs la condition première pour participer au prix. Mais c’est bien sûr l’opportunité d’une très belle visibilité, avec la production d’une exposition qui sera présentée dans des galeries et institutions renommées. L’acquisition d’œuvres pour le fonds de collection ainsi que l’aide à la production va me permettre de continuer les nombreux projets présents et futurs.
Point de départ de vos recherches ?
Je suis architecte de formation, sensibilisé au paysage, à la forme et à l’évolution des villes.
Je me suis pris de fascination pour les paysages de logement de masses. Il y a quelque chose de surréaliste dans le fait d’empiler les humains dans des boites. Les raisons sont évidemment uniquement économiques. Quant au paysage induit, même s’il peut susciter chez le spectateur ou le visiteur un certain effroi, il a pour moi quelque chose de cinématographique, de photogénique, de puissant, finalement de poétique.
Il y a le regret certes des villes et villages qui ont précédés ces formes urbaines. Ils étaient plus en symbiose avec le paysage naturel, et l’échelle humaine. Les paysages urbains contemporains représentent quant à eux plutôt un défi au monde naturel, presque un affront, mais ils révèlent paradoxalement l’aspect fourmilière organisée de l’homme urbain.
Quel est votre processus de création ?
Je travaille souvent sur court terme, comme pour ce projet sur Chongqing, c’est là que je suis le plus efficace, mais dans un processus très intense et obsessionnel. Une fois la décision prise de faire un travail, je commence par une analyse de la ville en cartographie. Le cas de Chongqing s’est avéré difficile car Google est décalé en chine, la photo satellite et les tracés ne sont pas superposés, car les chinois utilisent leur propre système, Baïdu.
Je cherche à comprendre la structure de la ville, ses tracés, ses districts, sa topographie, ses points de vue, son potentiel en somme. La présence sur place dans un temps limité m’oblige à chercher un maximum d’informations avant de me rendre sur place. Je place des gommettes sur des cartes, là où je repère des choses qui peuvent m’intéresser.
Une fois sur place c’est un marathon, un engagement mental mais aussi physique. Je vais me rendre sur chacun de ces points, mais aussi laisser place au hasard, à l’oeil et à l’instinct. Je parcours toutes les lignes de métro de la ville, d’un bout à l’autre, prenant l’avantage de la visibilité du métro aérien.
Travailler à la chambre grand format (4×5’’) implique pour moi un processus de l’ordre du cérémonial. Le soir, il faut décharger, et charger les plans films dans les châssis sans oublier toutes les annotations nécessaires car tout se faire dans l’obscurité d’au manchon. On a vite fait de mettre en l’air un travail par inattention. Le matin, je pars pour une dizaine d’heure d’arpentage de la métropole, ou je ne ferais finalement que 5 à 10 photographies. Mais chaque clic est comme la capture d’un coffre au trésor. Il doit se faire sans place au doute. C’est grisant. Impossible de retrouver pour moi ce plaisir en numérique. Je garde ces « coffres », jusqu’à la fin du travail, les transportent sur dix mille kilomètres et les confie à un laboratoire dans un état allant de l’anxiété à la jubilation. Tout cela fait réellement parti du processus, car sans ces sentiments, les états d’âmes subis sur place, les doutes, la fatigue finiraient vite par prendre le dessus. C’est un moment vraiment épuisant. Ce n’est pas toujours le cas, ça dépend bien sur des sujets. Mais à Chongqing çà l’était.
Récupérer ses plans films au labo, c’est pour moi l’équivalent d’un matin de Noël ou enfant on ouvre les cadeaux…
Et puis vient l’épreuve du scanner, du nettoyage laborieux des fichiers, jusqu’au résultat final.
Bilan de la période
Cette période a été pour moi une chance d’un côté, et une frustration bien sûr aussi. Chance car elle m’a laissé du temps pour pousser le traitement de certains travaux en dehors de ma zone de confort. Ça a été le cas par exemple pour ma série « Le refuge », produite à Montpellier et expos aux Promenades photographiques de Vendôme. Frustration car certains projets ont dû être reporté, des expositions annulées, les voyages ajournés.
C’est finalement le ralentissement du temps qui a été le plus grand des bénéfices, mais aussi le renforcement des liens humains qui se créent dans l’adversité.
Quelles sont vos envies à plus long terme ?
Je partage mon temps entre la production de mes travaux personnels, et mes travaux de commandes. Les travaux personnels, la raison d’être du métier, sont mentalement énergivores. J’en ai plein, trop, ils sont obsédants, il faudrait plusieurs vies pour les mener à terme, pour expérimenter les idées annotées sur des post-it, des bouts de carnets, pour comme je disais précédemment sortir de ma zone de confort. J’ai déjà plusieurs projets réalisés mais que je n’ai finalement pas le temps de traiter à cause du travail de commande pour l’instant économiquement nécessaire.
Aussi j’ai très envie d’aller re-travailler en Chine sur un projet qui met en confrontation une infrastructure impressionnante et des villages paysans. Deux mondes qui se côtoient et s’oppose en tout, tout cela dans un cadre paysager impressionnant.
J’aime aussi expérimenter d’autres médias indépendamment ou alliés à la photographie, tel que le dessin, la gravure, la peinture. Si dans un monde idéal, toutes les conditions sont réunies !
Calendrier :
Exposition à la galerie Esther Woerdehoff le 3 mai
Prix HSBC pour la Photographie
Site de Cyrus Cornut :