Sylvain Lizon photo : Hubert Crabières
Sylvain Lizon dirige la Villa Arson depuis 2019. Directeur de l’Ecole nationale supérieure d’Arts de Paris-Cergy depuis 2010 et de l’école supérieure d’art de Clermont de 2005 à 2010, son expérience au sein du Fonds national d’art contemporain, à la direction du Centre photographique d’Ile-de-France à Pontault-Combault et à la présidence du réseau Tram, lui permettent d’envisager pour la Villa Arson un positionnement à la fois international et en prise avec les questionnements et bouleversements de la société. Il revendique de faire des étudiants proactifs et agiles, capables de rebondir face au contexte de la crise et d’agir sur le monde à travers des engagements sociaux et politiques forts, quitte à revoir modes et natures d’enseignements qui leur sont dispensés. Sylvain Lizon revient sur la série de mesures exceptionnelles de soutien prises par l’école en réponse à cette crise et prépare pour la rentrée dans le cadre de Manifesta, une exposition Slavs and Tatars dont il nous dévoile les contours.
L’impact de la crise : l’accompagnement des étudiants
La première chose importante pour nous était de garantir nos engagements vis-à-vis des artistes, ceux de la programmation en cours et de la programmation à venir. Il n’y a donc pas eu d’interruptions dans le financement des productions qui étaient lancées ni d’annulations. Le principe a été de prolonger les expositions qui devaient s’arrêter au moment du printemps qui seront celles que les publics rencontreront jusqu’à la fin de l’été et de décaler celles prévues cet été, à l’automne.
Le deuxième point a été de garantir la rémunération des étudiants que nous recrutons tout au long de l’année pour s’occuper de différentes fonctions au sein de l’établissement (régie, médiation..) dans les différents pôles et ateliers de production.
Parallèlement dans le cadre d’un ensemble plus large qui s’intitule Université Côte d’Azur, dont la Villa Arson est membre, nous avons pu avoir recours à un certain nombre de dispositifs déployés par l’université et le Crous, comme des aides d’urgence ponctuelles auxquelles les étudiants sans distinction de nationalité ou d’âge pouvaient prétendre, sous forme d’enveloppes forfaitaires ou de bons alimentaires. Egalement, l’université avec l’aide de sa fondation a prêté des ordinateurs portables pour lutter contre la précarité numérique car cette crise n’a fait qu’aggraver des difficultés déjà existantes. L’université a également prise en charge l’augmentation de forfait pour permettre aux étudiants de se réajuster sur la partie accès des données.
Nous avons aussi gelé les loyers pour les étudiants de notre internat (20 chambres) et pour celles et ceux en extérieur. Tous ces dispositifs mis bout à bout ont permis de pallier aux situations les plus urgentes.
De plus les enseignants, coordinateurs ou responsables de promotion ont été particulièrement vigilants et attentifs à différentes situations individuelles qui se présentaient. Dans ce cadre nous avons aussi accompagné le rapatriement des étudiants qui se trouvaient à l’étranger en stages ou séjours Erasmus et la région Paca a pris en charge une somme forfaitaire pour soulager les étudiants qui ont dû faire face à des frais supplémentaires dans le cadre de ce rapatriement.
Nous sommes en train de mettre en place un 2 ème dispositif de soutien car une fois passée cette étape arrive la suivante, liée à l’emploi de nos étudiants notamment dans l’industrie touristique importante ici et fortement impactée par la crise.
Cette question de la professionnalisation et son accompagnement a été mise en évidence par la crise soulignant la très grande fragilité de nos étudiants et plus globalement des artistes. Elle a mise en évidence que le monde de l’art vit sur l’écume de l’économie, ce qui nous engage à une réflexion de fond pour revoir aussi nos modes et la nature de nos enseignements et doter les étudiants et diplômés d’une véritable capacité de rebond. L’enjeu est de ne surtout pas contribuer à faire des diplômés ou jeunes artistes des belles au bois dormant qui attendent au fond de leur atelier la venue du prince charmant collectionneur ou institutionnel ! Il faut en faire des acteurs et actrices agiles et capables d’être proactifs, ce qui implique peut-être de faire évoluer nos modes d’enseignements, nos apprentissages et les doter de compétences transversales. Ce constat n’est pas nouveau mais la crise met à l’agenda cet enjeu de manière accrue.
La programmation : impact de la crise et axes prioritaires
La crise Covid a permis un rapport plus riche et construit dans l’usage des réseaux sociaux en matière de programmation et de diffusion artistique.
D’une part pendant cet épisode l’occasion nous était donnée de développer une programmation à distance en ligne sur les réseaux, ce qui a permis de donner à voir au public les expositions actuellement présentées à la Villa Arson mais également de faire émerger une relation nouvelle en suscitant des interactions autour des projets ou des expositions sous la forme d’invitations à dessiner ou réinterpréter les expositions, ce qui est moins souvent exploité à distance et a permis de davantage valoriser les productions des étudiants et diplômés, le tout s’inscrivant dans une démarche de plus grande visibilité. Nous avons vu aussi se mettre en place des programmations spécifiques comme notamment le festival de performances lancé par Laurent Prexl avec ses étudiants sur facebooklive et élargi à d’autres écoles.
D’autre part, la programmation qui devait avoir lieu au printemps était le fruit de deux résidences permettant de mettre en avant le nouvel accent donné à l’international.
D’abord un premier duo d’un artiste indien, Shailesh BR et son commissaire Vitarka Samuh (galerie Carrée) devait être présent pour activer les œuvres pendant le confinement. Shailesh est un artiste qui vient de la tradition brahmanique et développe un travail mêlant une forme d’affection et de discours critique sur ce que produit aussi cette tradition dans les logiques de l’Inde d’aujourd’hui.
Cela n’a évidemment pas été possible et Shailesh et son commissaire se sont trouvés bloqués dans les jardins de la villa Arson pendant cette période dans une situation relativement anxiogène face aux nouvelles qu’ils recevaient de leurs proches. Ce moment a été particulièrement intense pour eux. Ce sont mis en place des séminaires improvisés avec les étudiants de nos internats qui eux-mêmes n’avaient pas pu partir. Ils ont également mis en place une situation de production pour ne pas se laisser envahir totalement par l’angoisse. Nous avons réussi parallèlement à les mettre dans les deux seuls avions que l’Inde avait affrétée au départ de Paris.
Dans l’autre partie (galeries du Patio et des Cyprès) nous exposons deux autres artistes : Sol Calero et Zora Mann qui présentent deux relations différentes et complémentaires avec le champ de la peinture. Sol Calero vénézuélienne s’inscrit dans une tradition de la peintre volontiers lumineuse et festive en lien avec l’iconographie sud-américaine et Zora Mann, anglaise, dont la peinture plus obsessionnelle et envahissante couvre différents supports notamment une série de boucliers qui renvoient à son enfance africaine, lors de nombreux séjours avec son père qui ont imprégné son imaginaire, ces boucliers ayant aussi potentiellement une vocation protectrice.
Ces deux projets permettent aussi de déployer un nouvel accent que nous donnons à la
programmation pour faire de la Villa Arson un lieu d’ouverture à l’international et nous connecter avec des scènes artistiques assez peu exposées, notamment la scène indienne et d’Amérique du sud et créer des ouvertures articulées avec le champ de la pédagogie dans le cadre de nos relations internationales.
Ces programmations permettent également d’ouvrir la curiosité du spectateur vers des
positionnements artistiques liés à notre volonté de présenter des œuvres qui interrogent le présent social et politique à partir des contextes dans lesquels elles se déploient comme précédemment avec l’artiste polonais Daniel Rycharski porteur d’un engagement très fort au sein de la communauté LGBT et lui-même menacé dans son pays, ce qui rejoint la prise de position de Shailesh BR par rapport à la crise nationaliste que connait l’Inde actuellement. Cet engagement artistique pour nous est très important dans cette volonté évoquée précédemment de ne pas faire des artistes inscrit dans une relation passive par rapport à leur travail. Notre ambition est de faire de la Villa Arson un endroit habité par des débats politiques, des débats citoyens pour faire de nos étudiants des acteurs capables de penser et d’agir sur le monde à travers des engagements forts dans le champ social et politique, et réinvestir leur pratique sous l’angle politique. L’enjeu pour nous est de faire système et penser les différentes composantes internes de cet établissement d’une incroyable richesse et potentiel sans équivalent, comme un ensemble global où les différentes parties se répondent et s’articulent les unes aux autres de manière à produire une réponse qui va bien au-delà de la simple juxtaposition.
Synergies sur le territoire : Manifesta, Plein Sud..
Elles sont déterminantes et il faut penser la présence de la Villa dans un écosystème beaucoup plus large, notamment au sein du nouveau réseau Plein Sud qui couvre un territoire très large allant de Montpellier à Monaco et offre depuis Paris, Los Angeles, Berlin ou Santiago du Chili un espace de création contemporain sans comparaison ailleurs en Europe. Pour nous il est très important de jouer cette carte territoriale et capacité de mise en résonance et rayonnement.
Il était donc assez logique d’être donc partie prenante du programme Manifesta/Parallèles du Sud et je suis heureux de constater son maintien et prolongement pour pouvoir garantir au public et aux artistes les engagements prévus. Cela nous permet de travailler avec les autres lieux partenaires sur Nice une séquence spécifique pour la rentrée autour de Slavs and Tatars.
Slavs and Tatars, une première en France
Le projet de Slavs and Tatars s’inscrit de nouveau dans le prolongement des projets précédemment cités. Ils déploient un travail articulé entre esthétique, politique, interculturel autour des métissages et hybridations entre la culture et l’histoire de l’Europe de l’Est et celle du Moyen Orient. C’est déterminant d’accueillir ces artistes dans un contexte nouveau que l’on va dessiner ensemble avec Manifesta et nos partenaires à l’automne.
Infos pratiques :
Prolongation de : Sol Calero, Zora Mann, Shailesh BR, Kristof Everart
Jusqu’au 20 septembre
Prochainement :
Slavs and Tatars à partir du 17 octobre
Régions d’être, à partir du 17 octobre 2020 et jusqu’au 31 janvier 2021
Moving Things / Improvisées et indéterminées, à partir du 17 octobre 2020 et jusqu’au 28 décembre 2020
VILLA ARSON NICE
20 av. Stephen Liégeard
06105 Nice