Alberto Giacometti, Homme qui marche II, 1960 Fondation Giacometti Succession Alberto Giacometti Adagp 2020
Qu’est-ce qui fait qu’une oeuvre réalisée dans le plus grand dénuement devient un chef d’oeuvre intemporel ? C’est l’objet de la passionnante étude et exposition proposées par l’Institut Giacometti. Motif devenu iconique et qui a traversé toute l’histoire du XXème siècle, « l’Homme qui marche » réalisé par Giacometti entre 1947 et 1960 reste une énigme par bien des aspects. Sa postérité fascine toujours par cette quête essentialiste qu’elle représente. C’est pourquoi l’Institut Giacometti dirigé par Catherine Grenier se penche sur cette sculpture à l’allure à la fois décidée et tournée vers l’avenir mais comme retenue par le poids de l’histoire et du destin, à partir d’en ensemble unique de modèles grandeur nature et dessins préparatoires réunis pour la première fois.
Nous redécouvrons dès l’entrée, l’atelier de la rue Hippolyte-Maindron de 23m² conservé intact par sa veuve Annette, avec les deux plâtres originaux de « l’Homme qui marche », le premier conçu en 1947 et le second entre 1959-60. Un témoignage unique qui permet de mesurer la précarité dans laquelle se trouvait l’artiste.
Bonne nouvelle : l’Homme qui marche est une Femme ! Liée à sa période surréaliste cette silhouette androgyne sans bras ni tête est inspirée de l’art égyptien. Elle s’inscrit dans la fascination de Dali pour La Gradiva. « La Femme qui marche » (1932) sera présentée à la galerie Pierre Matisse à New York. Autre figure féminine avec « L’objet invisible », avant que Giacometti ne prenne ses distances avec le groupe surréaliste. Il s’engage alors vers une quête du mouvement dans le sillage de Rodin qu’il va pousser à son paroxysme à partir d’un laboratoire de formes sans cesse simplifié. De visions fugitives du quotidien : « La Place », « Moi me hâtant dans la rue sous la pluie » et « Trois hommes qui marchent » il imagine des socles intégrés à la sculpture comme des fragments du réel. Comme si l’on croisait ces personnages dans la rue. La très poétique « Figure entre deux maisons » (1950) dans son aspect horizontal rejoue le motif de « La Nuit », cette femme nue aux allures de funambule, même si réapparait le motif de la cage, cher à l’artiste.
Mais c’est avec le projet pour la Chase Manhattan Bank de New York (1959-1960) qu’il va résoudre des problématiques majeures et même si le projet après de multiples essais n’est finalement pas réalisé, l’artiste renonçant à la commande, ces sculptures qu’il juge ratées, vont vite devenir des icônes. Face à l’échelle d’une ville qu’il ne connait pas, il se base sur les proportions des passants et non sur les immeubles gigantesques et travaille d’arrache-pied autour de 3 sculptures qu’il veut faire dialoguer : une grande femme immobile, un homme qui marche et une grande tête. Au final il fait tirer en bronze quatre modèles de figures féminines géantes, deux modèles d’homme qui marche et deux Grande Tête, comme le souligne Catherine Grenier dans le catalogue de l’exposition. Il expose finalement ces œuvres qui acquièrent un statut à part et reçoit le Carnegie Prize en 1961 pour « l’Homme qui Marche » et l’adoubement du public. Quatre modèles de cette sculpture sont réunis pour la première fois dans l’exposition. Cette figure en mouvement synthétise l’ensemble de ses recherches autour du corps en marche (développements de la chronophotographie de Marrey), qu’il dépasse dans une logique de simplification à l’extrême. Sorte d’anti-héros comme on le dirait à notre époque ces êtres à la fois fragiles et conquérants, dignes héritiers de l’Homme de Vitruve, s’ils s’inscrivent dans les archétypes, les dépassent dans une sorte d’arrêt sur image. Leur buste est incliné vers l’avant, leurs bras en balancier, leur regard droit leur confèrent un dynamisme du mouvement immédiat, même si leurs pieds restent prisonniers dans la glaise et leurs silhouettes filiformes quasi squelettiques renvoient aux traumatismes de l’histoire.
Humain trop humain, résolument moderne et affranchi du des conventions, cet homme nous scrute et nous défie. Cette quête formelle constante qui ne cesse de tourmenter Giacometti n’aura pas été vaine. Cette exposition vous permet ainsi, en plus d’une leçon magistrale d’histoire de l’art, de découvrir les coulisses d’un monument du modernisme qui continue d’inspirer de très nombreux créateurs.
Catalogue co-édition Fondation Giacometti et FAGE bilingue français-anglais, 160 pages, 24 €
Infos pratiques :
Alberto Giacometti
L’homme qui marche
Jusqu’au 29 novembre
Artiste en résidence : Douglas Gordon jusqu’en avril 2021