Alberta Pane, galeriste : de Paris à Venise, et vice versa

Née à Venise, elle se devait d’y ancrer ses racines. C’est chose faite en 2017 quand Alberta Pane tombe sur une ancienne menuiserie dans le quartier très recherché du Dorsoduro. Un coup de foudre et un nouveau défi pour la parisienne d’adoption qui après 8 ans dans le marais mise sur le potentiel de Venise en dehors des grands rendez-vous attendus pour tisser des liens avec sa programmation parisienne. Elle tisse le bilan de la crise dans les deux villes et souligne la formidable résilience et créativité de ses artistes pendant la période. Les initiatives collectives seront plus que jamais selon elles, le moteur de la reprise comme marais.guide, Paris Gallery Week-end ou Venice Galleries View.

Quel bilan faîtes-vous de cette crise à Paris et à Venise où votre galerie a une deuxième antenne ?

J’ai ouvert ma galerie à Paris en 2008 et à Venise en 2017 pendant la Biennale et c’était fabuleux. Je tiens beaucoup à la galerie parisienne et au pont que je peux créer entre les deux structures et les deux villes, malgré les difficultés que cela comporte la gestion des espaces dans deux différents pays.

J’étais très stressée au départ car en Italie le confinement a commencé avant qu’ailleurs avec des règles de quarantaine très strictes surtout en ce qui concerne les enfants et j’ai trois d’enfants. En plus la première semaine on ne comprenait pas ce qui se passait en Europe car les autres pays ont confiné leur population plus tard. Après cette période d’incompréhension et un peu d’anxiété, je suis passée au moment de la réflexion et, en travaillant dans un milieu privilégié malgré tout et très stimulant, j’ai essayé de penser au sens profond que je voulais donner à ma galerie, à ma programmation et aux projets futurs. J’ai beaucoup parlé avec les collectionneurs, les confrères, les artistes et j’ai évidemment passé beaucoup de temps avec mes enfants et mon mari. Cela m’a fait du bien au final, j’ai envie désormais de me concentrer que sur les projets qui me donnent beaucoup d’élan et qui me passionnent, des projets encore plus pointus et ambitieux intellectuellement. Tout peut s’arrêter d’un moment à l’autre donc il faut taper fort !

Exhibition view, Extended Architectures, 2018, Venise, photo : Irene Fanizza, courtesy Galerie Alberta Pane

La situation en Italie favorise-t-elle une reprise et à quel horizon selon vous ?

Oui à Venise les réouvertures seront totales d’ici 15 jours, il y a une volonté de reprise dans toute l’Italie, je participé à une plateforme le Forum dell’arte Contemporanea italiana ou on discute et on essaie de proposer et de mettre en acte des idées pour favoriser et mettre en valeur l’art contemporain en Italie. Plusieurs projets collectifs et de collaboration sont en train de se créer. A Venise on voit déjà pointer la reprise, de nombreux musées ont déjà réouvert, les gens ont envie de sortir et de pouvoir à nouveau fréquenter les espaces d’art.

On va inaugurer une nouvelle exposition le 13 juin, Share Happinness hommage à Frankenstein, une exposition collective, un projet que j’avais dans le tiroir depuis fort longtemps ou j’ai invité des galeristes vénitiennes à participer avec une ou deux œuvres de leurs artistes, qui fait partie d’une trilogie que je souhaite mettre en place après avec des galeristes italiennes et étrangères.

Romina De Novellis projet #chezMaddalena, projet pendant le confinement.

Comment vos artistes ont-ils réagi et comment les avez-vous accompagnés ?

Les artistes de la galerie ont été comme moi perturbés et stressés au départ, mais ils ont mille ressources et une âme créative prédominante qui leur ont permis de surmonter cette période par la création. Comme le projet #chez Maddalena un projet participatif de Romina De Novellis depuis la chambre de sa fille Maddalena. Une performance de 52 jours, une projection par jour sur le mur d’en face de la chambre, 85 invités et la réalisation d’un long-métrage comme œuvre finale du confinement. #chezmaddalena est un projet spontané, lié à la période de confinement dans la zone COVID-19.Conçu par l’artiste comme une nécessité personnelle, le besoin de continuer sa pratique artistique, une sorte d’exercice du quotidien contre le confinement. Ou le projet encore en cours de Marcos Lutyens @inductival, des séances d’hypnose collective via zoom mais aussi des réflexions et des moments pour reconnecter les synapses perdues des souvenirs passés et futurs, des sentiments vécus et de ces qui sont restés sans fils. Ou encore Marie Denis qui a créé des vidéos très fortes qui ont été projetées dans le projet #chezmaddalena, des œuvres croisées en quelque sorte.

Avec les artistes de la galerie on a constuit un rapport solide, on se soutient mutuellement. Mon accompagnement a été surtout d’essayer de proposer au maximum leurs œuvres aux acquisitions publiques mais aussi aux collectionneurs privés, continuer à travailler et aussi démarrer de nouveaux projets : comme deux expositions online, une direction nouvelle que je vais poursuivre. C’est une sorte d’écriture, une façon de penser les projets, sans attente de vente ou quoi que ce soit, des réflexions qui peut être prendront vie en live dans les espaces de la galerie.

Marie Denis pendant le confinement.

Vous participez à Marais.Guide et Paris Gallery Week-end, pourquoi et en quoi est-ce un signal fort ?

Le week-end dernier on a participé au lancement de Marais.Guide avec beaucoup de monde à la galerie, c’est un signal fort et important, il y a la volonté de recommencer à voir de l’art.  Je suis très contente de participer à cette initiative et je suis ravie aussi de participer au Paris Gallery Week-end avec la nouvelle exposition personnelle de Marie Lelouche I can touch what’s too far away. Je crois beaucoup aux efforts communs et aux collaborations entre galeries, le but étant de refocaliser l’attention sur nous. Les galeries d’art sont des espaces gratuits et ouverts à tout le monde. Oui il s’agît d’un signal fort et j’avoue que je croyais à l’annulation de cet évènement car il me semblait impossible de pouvoir refaire des expositions et des parcours de galeries si tôt. J’ai été pessimiste et maintenant j’en suis ravie, j’ai vu aussi que beaucoup de galeries y participent et c’est très bien.

Exhibition view, Loving imperfectly, Esther Stocker, 2020, Paris, photo : Mami Kiyoshi, courtesy Galerie Alberta Pane

Le monde de l’art saura t-il selon vous tirer les leçons de cette alerte ?

Je ne sais pas. Cette question est très compliquée, certainement c’est une possibilité pour nous de travailler différemment et à chacun de trouver vraiment le sens de ce qui est en train de faire avec ses caractéristiques et ses spécificités. Je pense que pour une galerie la recherche d’une programmation exigeante et intéressante à l’intérieur de nos espaces et assoir la légitimité de nos artistes grâce aux institutions ainsi que leur diffusion au maximum, leur est primordiale.

A chacun de donner sa réponse personnelle à cette question et à contribuer à ce changement, à mon avis nécessaire.

GALERIE ALBERTA PANE

47 rue de Montmorency 
75003 Paris

&

Dorsoduro 2403/h
Calle dei Guardiani
30123 Venezia

https://www.albertapane.com/