Catherine Chevillot, musée Rodin : «Le réseau des musées de France est un fer de lance de la politique culturelle de la France, notamment en matière d’éducation artistique et culturelle, que les pays étrangers nous envient »

Nous poursuivons notre tour des acteurs de l’art brusquement impactés par la crise avec Catherine Chevillot, directrice du Musée Rodin qui insiste sur des pertes à venir de l’ordre de 4 M €. L’exposition consacrée à la sculptrice britannique Barbara Hepworth qui avait été un de mes coups de coeur, a du fermer ses portes plus tôt que prévu.

Comment vous organisez-vous au sein du musée Rodin pour faire face à cette situation si particulière ?

Le musée a pu mettre en place dans les temps impartis de bonnes conditions de travail à
distance pour tous les agents pour lesquels c’était nécessaire, soit une soixantaine de
personnes. La cellule de crise du musée a joué son rôle et nous avons bien sûr hiérarchisé les tâches : assurer la protection des agents et organiser la sécurité du musée, ces équipes étant présentes in situ 24h/24 ; garantir un bon fonctionnement de nos systèmes d’information ; et assurer le service de la paye, ce qui mobilise en priorité les Ressources humaines, les Affaires financières et l’Agence comptable. Certains emplois postés ont été dirigés vers des formations en ligne.
Ensuite, dès la mise en place du confinement, notre souci a été de mettre en place un
management adapté, de donner des bonnes pratiques, et de lutter contre l’effet d’isolement que peut amener cette situation. Les personnes sont dans des positions très hétérogènes selon qu’elles soient seules ou non, en studio ou dans un appartement avec balcon, etc. L’encadrement doit veiller à maintenir le lien et s’investir dans l’animation beaucoup plus que d’habitude. Grâce au dialogue avec les représentants du personnel, nous sommes en train d’adapter notre stratégie de communication avec les équipes.

crédit agence photo du musée Rodin

En cette période de confinement nombreuses sont les propositions digitales des musées et institutions au risque parfois d’aller vers une surenchère, le message de Rodin n’est-il pas plutôt de laisser place à la contemplation ? Quelles sont vos priorités ?

Nous avons mobilisé comme les autres établissements nos ressources pour mettre à
disposition des contenus, qui peuvent être visuels ou textuels. Il en faut pour tous les goûts : par exemple, un feuilleton racontant la vie de Rodin sur un ton un peu léger a amené une vague d’abonnement à nos réseaux sociaux. Un agent de surveillance est assez doué pour la photo, et est sur place pour la sécurité : nous avons choisi de publier en ce moment ces images sur les réseaux en intitulant la série Contemplation, justement. C’est aussi l’occasion de faire découvrir les ressources cachées du musée, comme les collections de Rodin : 6 500 pièces !!! Le fonds Egyptien est proposé à l’exploration dans #Culturechezvous.

« Rodin, dessiner, découper » © musée Rodin, ph. Jean de Calan

Quels impacts selon vous cette crise va générer au niveau du monde de l’art et son écosystème parfois fragile ?

Les répercutions vont être énormes économiquement, et déjà les nouvelles de certains
collègues américains sont préoccupantes. Le système français est très protecteur, une très grande partie des musées étant public. Mais parmi les musées publics, la plus grande part sont municipaux, et ma crainte est que les communes remettent en cause l’existence et le fonctionnement des petites institutions si elles doivent réduire la voilure. La culture est souvent ce qui saute en premier, surtout la culture sur le temps long, au profit de l’événementiel. Ce sont déjà des structures fragilisées, qui peuvent être emportées par la tempête. Or le réseau des musées de France est un fer de lance de la politique culturelle de la France, notamment en matière d’Education artistique et culturelle, que les pays étrangers nous envient. Je suis sûre que le ministère sera très vigilant quant à son devenir.

« Rodin, dessiner, découper » © musée Rodin, ph. Jean de Calan

Quels scénarii de reprise sont possibles selon vous et à quel horizon ?

Les conséquences de cette crise ne seront pas limitées à 2020 : les scénarios étudiés
actuellement par l’Office du tourisme de Paris évaluent la reprise en années. Après la plus
grosse crise précédente, qui certes était certes d’une nature très différente (les attentats de 2015), le secteur culturel a mis trois ans à retrouver un fonctionnement à peu près normal. Personne ne peut dire comment se passera 2021, mais il est acquis en revanche qu’il serait présomptueux de prétendre relancer rapidement l’année touristique 2020.
Le musée Rodin, lui, est autofinancé en totalité, et va subir de plein fouet l’impact économique de la crise. Nos dernières estimations fondées sur une reprise du travail le 11 mai et une réouverture à l’été chiffrent les pertes à plus de 4 millions… sur un budget de 11 millions, c’est colossal.
Mais bien sûr, les bouleversements ne sont pas seulement économiques : toute la
programmation culturelle va devoir être bouleversée, à commencer par l’agenda des
expositions in situ et hors-les-murs. Le calendrier des événements doit être reconstruit.

Vulcain, crayon graphite (trait et estompe), aquarelle et gouache sur papier vélin, © musée Rodin, ph. Jean de Calan

Cette prise de conscience globale d’un nécessaire rééquilibrage de notre système et ressources, conduira-t-elle selon vous à de nouvelles manières d’appréhender l’art, de le montrer et le partager ?


Si une chose a été mise en évidence à l’occasion du confinement, c’est que dans les situations de crise, on se tourne naturellement vers la culture pour consolider, voire retrouver, le lien et le sens. Par ailleurs, il est assez spectaculaire de voir la masse de ressources numériques que les institutions culturelles, de la musique aux archives, des musées à la lecture, ont rassemblée et mis en valeur dans les premières semaines ! Cela montre qu’un tournant a été pris grâce aux politiques publiques fortes en matière de numérisation, dématérialisation, etc. Les communautés sur Facebook (223 000 fans) et Instagram (206 000 abonnés) suivent assidûment les posts du musée et apprécient la diversité de ce qui est proposé.
Une collègue disait récemment que cela allait peut-être nous amener à revoir certaines
frontières dans nos organisations : le lien avec le « tout public », l’image du musée à l’extérieur est portée par les services de communication ; mais la demande de médiation est tellement forte qu’elle conduit presque à un changement de nature et de la communication, et de la médiation ; une sorte de « commédiation » ? Cela va peut-être nous faire faire un bon dans la façon de diffuser la culture, de dialoguer avec les publics.

Relire mon interview avec Catherine Chevillot à l’occasion de l’exposition de Barbara Hepworth en décembre 2019.

Prochainement : Une exposition, deux lieux Picasso – Rodin
15 septembre 2020 – 21 mars 2021 (sous réserve)


www.musee-rodin.fr