Linda Sanchez, dessins.formes complémentaires avril 2020
Aux questions que je lui pose : Comment vivez-vous ce confinement ? Cette période est-elle inspirante, anxiogène, stimulante ou tout à la fois ? Comment imaginez-vous le monde d’après et à quel prix ?..Linda Sanchez me livre cette chronique tranchante et singulière, entre angoisses et épiphanies, évidences et inconnu, au-delà de toutes les injonctions et compromis possibles.
Il m’est difficile de répondre à l’ensemble de ces questions. Les mots pèsent. De cette situation, de la manière dont la crise est gérée, de ce qu’il en adviendra et de la manière dont nous en tirerons les conséquences.. qui a assez de recul pour y répondre ?
Depuis quatre semaines de confinement, en écoutant autour de moi (collègues, amis ) et mon ressenti, il y a une injonction implicite à poursuivre l’activité coûte que coûte, et donc par les moyens interposés, de mails, visio-conférence, restitutions virtuelles, téléphone, compte-rendus pédagogiques…par ailleurs, nous sommes submergés de propositions audio-visuelles, de plateformes et d’interfaces, de dessins d’artistes, de formats de remplacement. Ceci produit pour moi un sentiment de frustration et presque d’ angoisse supplémentaire. Cette demande qui nous est faite de traduire, vite, tirer des conclusions, recueillir des partis-pris, s’avancer déjà pour l’avenir, produit un décalage désarmant, qui reflète bien nos mécanismes, notre acharnement, notre peur du vide.
Mais pour une fois, on ne peut plus prétendre à une singularité. L’originalité d’un parti-pris ou d’un positionnement, n’a pas de sens. Dans ce monde-ci, où nous sommes tous des vecteurs potentiels ou avérés du virus, nous ne sommes rien sans les autres, et inversement (notre précaution, notre prudence, notre civisme, notre courage, notre reconnaissance..)
La planète souffle, mais juste un fragment de seconde à l’échelle de son temps. Un chaos
fantasmagorique se produit de même que le cinéma avait déjà posé tant d’images et de
représentations sur ce type de situation. La complète et intemporelle saturation des hôpitaux, des masques rachetés comptant sur le tarmac, le réquisitionnement des réfugiées dans les champs, des chiffres qui ne comptent pas les morts dans les Ehpad, l’information perlée et disparate, la gestion du service funéraire, l’incivisme dans les supermarchés,…
Cette crise révèle bien la fragilité de notre système de globalisation (industriel, social et
économique), notre anthropocentrisme millénaire.
Le temps se dilate, nous faisons l’expérience du silence, de l’arrêt du monde qu’on connaît, et ce présent est étrange, surréaliste. C’est une trêve.
Disparaître (dans l’atelier) est un usage et des laps de temps que je protège et auxquels je tiens beaucoup. Travailler entre plusieurs temporalités, celle de son travail et celles qu’il convoque en même temps que le reste des vitesses du monde. Déplier un temps qu’à soi, avec ses propres règles et ses systèmes pluriels.
Mais là, le décalage de réalité change tout. C’est une question de coexistences (naturelle et culturelle). On peut se demander ce qu’il reste et ce qui tient, dans sa structure et son contenu, après ça, dans l’art.
En changeant de paradigme, des pans de certitudes sont sensés tomber, l’avenir et le
mouvement n’est fait que de ces choses relatives les unes par rapport aux autres.
Linda Sanchez est représentée par la galerie Papillon, Paris. Elle est lauréate du Prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo et de la 4ème Bourse Révélations Emerige en 2017. Je l’avais rencontrée à cette occasion.