« Notre monde brûle » au Palais de Tokyo, au delà de la polémique et Ulla von Brandenburg

Amal Kenawy, The Silent Multitudes, 2010
Acier, bonbonnes de gaz (GPL), video, 300 x 600 x 400 cm
Courtesy : Mathaf, Arab Museum of Modern Art (Doha)

Organisée avec le Mathaf (Arab Museum of Modern Art) de Doha à partir de la collection privée du Sheikh Hassan Bin Mohamed bin Ali Al Thani, la saison nouvelle du Palais de Tokyo « Notre monde brûle » (volet 1 de Fragmenter le monde) met l’accent sur le dynamisme culturel de cette région du globe à l’heure de la globalisation et du réchauffement climatique. Mais un tel partenariat n’est pas du goût de tous dans un pays où les libertés individuelles ne sont pas acquises. Au delà de la question de plus en plus prégnante du financement de nos institutions culturelles et leur prétendue indépendance, le résultat est plutôt convaincant. Ce panorama permet à ceux qui n’ont pas eu la chance de voyager dans ces zones géographiques à l’occasion de foires ou biennales, de découvrir des artistes engagés et pertinents. Plusieurs d’entre eux avaient dejà été exposés au Palais de Tokyo à l’occasion de la remarquable Triennale de Paris en 2012 pilotée par Okwui Enwezor et Abdellah Karroum, actuel commissaire.

Monira Al Qadiri OR-BIT 1, 2016, impression plastique 3D, peinture
automobile, lévitation magnétique, 20 x 30 x 20 cm
Crédit photo : GJ Van Rooij, Courtesy de l’artiste

Au delà de Francis Alÿs, Kader Attia, Yto Barrada ou Shirin Neshat bien connus ici d’autres noms sont des découvertes pour moi comme l’égyptienne Amal Kenawy dont l’installation de bonbonnes de gaz « The Silent Multitudes » volontiers anxiogène, est l’une des pièces les plus frappantes du parcours. La koweïtienne Monira Al Qadiri et ses têtes foreuses de pétroles converties en Tour de Babel miniatures fait aussi mouche. Les sacs poubelles du marocain Younes Rahmoun ou l’esthétique du chantier de l’installation « Histoires plus que parfaites » de son compatriote Mustapha Akrim sont également incontournables. La réflexion de l’artiste turque Aslı Çavuşoğlu autour du cheminement du lapis lazuli ou du Qatari Faraj Daham sur le sort des ouvriers des chantiers de Doha sont de véritables manifestes. Les artefacts recréés par l’américain Michael Rakowitz à partir d’objets disparus du musée national d’Irak à Bagdad à la suite de la présence des troupes américaines en 2003 soulèvent également des questionnements. On glisse ensuite dans les contes des Mille et Une nuits dans les entrailles du Palais de Tokyo avec l’égyptien Wael Shawky et sa dérive imaginaire les pieds dans le sable du désert !

Liste des artistes :

John Akomfrah, Mustapha Akrim, Francis Alÿs, Kader Attia, Mounira Al Solh, Bouthayna Al Muftah, Monira Al Qadiri, Sophia Al Maria, Sammy Baloji, Yto Barrada, Aslı Çavuşoğlu, Faraj Daham, Bady Dalloul, Inji Efflatoun, Khalil El Ghrib, Mounir Fatmi, Fabrice Hyber, Dominique Hurth, Amal Kenawy, Amina Menia, Shirin Neshat, Otobong Nkanga, Sara Ouhaddou, Michael Rakowitz, Younes Rahmoun, Wael Shawky, Oriol Vilanova, Danh Vo, Raqs Media Collective

Wael Shawky, Al Araba Al Madfuna III, 2016
Photogramme, flm HD, son, sous-titres, 27’02’’
Courtesy de l’artiste & Mathaf : Arab Museum of Modern Art (Doha)

Quant à Ulla von Brandenburg je partais assez dubitative malgré de nombreux articles et échos ayant noté que les chroniqueurs radio de la Dispute n’étaient pas tous du même avis sur la réussite de l’ensemble. « Le milieu est bleu » se veut une partition en plusieurs chapitres animée par des danseurs performeurs où l’on croise une meule de foin, des cannes à pêche, des morceaux de craie géants, des cordes, un film tourné dans un théâtre des Vosges, et finalement des visions subaquatiques. Sans oublier bien sûr ce jeu de rideaux qui est sa marque de fabrique véritable.

Ulla von Brandenburg, Palais de Tokyo 2020

Cette forme d’art total m’avait séduit véritablement au MRAC Sérignan qui lui avait offert une exposition en 2019 intitulée « L’hier de demain » sorte de machination onirique à activer où les tentures, couleurs, films, objets se répondaient avec une grande subtilité. Cette magie est moins présente ici sans doute étouffée par les espaces du Palais qui n’ont pas été apprivoisés complètement. Un peu dommage. La préfiguration en 2012 avait été plus réussie dans l’Agora entièrement magnifiée.

Kevin Rouillard (prix SAM pour l’art contemporain 2018) a su saisir pleinement l’espace, comme le souligne Thomas Bernard son galeriste à Paris. Avec « Le grand mur » réalisé suite à son voyage au Mexique la question politique est sous-jacente comme souvent chez lui dans un engagement qui va au delà d’une histoire familiale (son lien avec le Cap vert). Ainsi son univers de gestes à partir de bidons démantelés utilisés par des expatriés ou de tôles monochromes récupérées qu’il met en tension donne un récit alternatif à une réalité géo-politique brutale et violente.

Kevin Rouillard

Nicolas Daubannes, prix des Amis du Palais de Tokyo avec « l’huile et l’eau » s’attache à différentes révoltes populaires pour dessiner avec du béton et de la limaille de fer une structure en déliquescence. Tout comme récemment au Frac Paca un dessin à la limaille de fer évoquait des acteurs d’une révolte ou de sinistres camps de concentration.

A venir : partie 2 Fragmenter le monde

-Ubuntu, un rêve lucide (commissaire Marie Ann Yemsi)

-Aïda Bruyère, grand prix du 64ème Salon de Montrouge

-Maxwell Alexandre, résidence SAM Art Projects

-Libia Posada, résidence SAM Art Projects

Infos pratiques :

Saison «Fragmenter le monde» (Partie 1)

21 fév. – 17 mai 2020

13, avenue du Président Wilson,
75 116 Paris

Plein tarif : 12 €

https://www.palaisdetokyo.com/