Charlotte Perriand, architecte d’un ordre nouveau

Ses créations annoncent le design mondialisé et rythment nos intérieurs alors que son talent immense reste encore trop souvent mal perçu.La Fondation Louis Vuitton comble cette lacune.


« Architecte, urbaniste, designer, photographe, directrice artistique, propagandiste de
l’art pour tous .. je ne me définis pas, ce serait une limitation. »
Cette citation de Charlotte Perriand reprise par sa fille Pernette Perriand-Barsac co
commissaire (avec Jacques Barsac et Sébastien Cherruet) de l’impressionnante
rétrospective orchestrée par la Fondation Louis Vuitton traduit bien l’état d’esprit de
cette pionnière trop souvent occultée par son mentor Le Corbusier. Si elle évolue
dans un monde d’hommes, Charlotte Perriand doit se battre pour conquérir son
indépendance et signer ses propres œuvres. Surtout connue pour la « Chaise longue
basculante », la « Bibliothèque nuage » ou les « modules combinables », on
découvre bien d’autres facettes de ses créations à travers de véritables
reconstitutions d’intérieurs (beaucoup de pièces ayant disparu), qui nous font
traverser la vie de cette femme libre aux côtés de ses amis, artistes et compagnons
de route. C’est là l’une des réussites de l’entreprise d’avoir su réunir en dialogue des
grands noms de l’art moderne, tels Fernand Léger, Picasso, Le Corbusier avec un
« fauteuil grand confort » comme dans la première salle du parcours (Salon
d’automne 1929, appartement idéal), des amis qu’elle reçoit chez elle dans son « Bar
sous le toit » qu’elle a imaginé selon une vision collective et modulaire de l’espace
restreint.

Charlotte Perriand sur la « Chaise longue basculante, B306 », (1928-1929) – Le Corbusier, P. Jeanneret, C. Perriand, vers 1928 © F.L.C. / ADAGP, Paris 2019 © ADAGP, Paris 2019 © AChP


Formée à l’Union Centrale des Arts décoratifs, Charlotte Perriand a une approche de
l’architecture avant tout fonctionnelle en rapport avec son propre corps et la
perception de l’espace. Sa salle à manger place Saint Sulpice à ses débuts tout en
acier rappelle que l’époque est frénétique et mécanique. Elle arbore d’ailleurs
fièrement un fascinant collier en forme de roulement à billes. Mais cette
industrialisation triomphante ne l’empêche pas de convoquer régulièrement la
puissance de la nature. Charlotte est une savoyarde et bourguignonne qui apprécie
les balades à la campagne et pratique régulièrement les randonnées en montagne.
Elle ramasse des galets dans la forêt de Fontainebleau et s’inspire de souches de
bois pour des tables en bois massif.« La maison du jeune homme » (1935) engage un dialogue entre les dessins de Fernard Léger, une collection d’objets de toutes provenances, ses photographies d’art brut et une chaise dont le dossier est en paille. Le corps et l’esprit.


En 1940 Charlotte Perriand part au Japon, seule en tant que conseillère en art
industriel du gouvernement japonais. Elle est fascinée par les savoirs-faire et
l’artisanat nippons et intègre le bambou dans sa chaise longue métallique. Ce
dialogue des cultures l’a conduit à concevoir l’exposition « Proposition d’une
synthèse des arts » en 1955 à Tokyo, véritable manifeste où elle dépasse les
catégories habituelles entre œuvres d’art et objets à vivre.

« Charlotte Perriand – Maison de la Tunisie, chambre d’étudiant – Cité universitaire internationale de Paris, 1952″ Reconstitution 2019, vue de l’installation Fondation Louis Vuitton, Paris – 2 Octobre 2019 – 20 Février 2020. Crédits artistes : © Adagp, Paris, 2019 Crédit photo : © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage


Au moment de la Reconstruction, Charlotte Perriand poursuit cette synthèse des arts
avec les chambres d’étudiants pour la cité universitaire de la Maison du Mexique et
Maison de la Tunisie dont la polychromie des bibliothèques la conduit à une
collaboration inédite avec Sonia Delaunay. Le magazine Elle imagine un « 1 er
ministère des femmes » et la consacre le temps d’une photographie, Ministre de la
Reconstruction. Elle entend participer à cet élan à travers des espaces décloisonnés
et l’intégration totale de la cuisine dans la salle à manger (Unité d’habitation de
Marseille) pour que les femmes ne soient pas toujours reléguées en second plan.
Féministe et engagée (souvenons-nous de sa fresque en images « la grande misère
de paris » de 1936), Charlotte Perriand souhaite transformer le quotidien par l’art et
faire une synthèse entre technologies d’avant-garde et savoir-faires séculaires, ces
« formes utiles » qu’elle rejoue au Brésil pour une résidence à Rio fidèlement
reconstituée. 

Charlotte Perriand. Bibliothèque Nuage, vers 1956. François Laffanour – Galerie Downtown © Adagp, Paris, 2019 ; © Studio Shapiro / Galerie Downtown – François Laffanour

Le dernier volet du parcours s’attache à ses réalisations pour les
institutions muséales et collectionneurs suscitant les sens et le dialogue avec les
œuvres ; l’équipement du musée d’art moderne de Paris, l’appartement de Maurice
Jardot et la conception de la galerie Louise Leiris, comme elle l’avais fait pour la
galerie Steph Simon jouant sur la transparence des lampes d’Isamu Noguchi. 

« Charlotte Perriand, René Herbst, Louis Sognot – Maison du Jeune Homme, Exposition universelle de Bruxelles, 1935» Reconstitution 2019 avec la participation de Cassina &Sice Previt ainsi que le conseil scientifique de Arthur Ruegg – Vue de l’installation, Fondation Louis Vuitton, Paris – 2 Octobre 2019 – 20 Février 2020. Crédits artistes : © F.L.C. / Adagp, Paris, 2019 ; © Adagp, Paris, 2019 Crédit photo : © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage

Enfin c’est l’appel de la montagne avec tout d’abord le « Refuge tonneau » et la station de
ski les Arcs (1967-1989) qui cristallise ses recherches d’harmonie avec les éléments
offrant à chaque appartement une vue sur les spectaculaires cimes enneigées et destoits terrasses végétalisées extrèmement avant-gardistes. Un art de vivre où même
les plus modestes studios jouissent du soleil et de tous les détails fonctionnels qu’elle
a envisagés. « Le métier d’architecture c’est travailler pour l’homme afin de « bâtir un
monde nouveau » déclare t-elle. La reconstitution de la Maison de Thé pour l’Unesco
(1993) réalisée en dialogue avec des artistes japonais nous invite à la méditation,
tandis que sa « Maison au bord de l’eau » jamais créée de son vivant, d’une pensée
toute minimale se fond avec la surface miroitante de la pièce d’eau de la Fondation.


« Charlotte Perriand – La Maison au bord de l’eau, 1934 » Reproduction 2019 avec la participation de Sice Previt, vue de l’installation, Fondation Louis Vuitton, Paris – 2 Octobre 2019 – 20 Février 2020. Crédit artiste : © Adagp, Paris, 2019 Crédit photo : © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage


Catalogue 400 pages, 49 € publié par la Fondation Louis Vuitton et Gallimard


Infos pratiques :

Le monde nouveau de Charlotte Perriand
Jusqu’au 24 février 2020
Fondation Louis Vuitton

Living with Charlotte PERRIAND  
Jusqu’au 2 novembre 2019

Laffanour Galerie Downtown / Paris
18, rue de Seine – 75006 Paris