Rencontre Evelyne Deret, ART [ ] COLLECTOR

Vue de l’exposition Caroline Corbasson, Poèmes, CBW Paris, ART [ ] COLLECTOR photo Nicolas Brasseur

A l’occasion de l’exposition de Caroline Corbasson, 20ème lauréate du Prix ART [ ] COLLECTOR, Evelyne Deret co-fondatrice du prix et mécène revient sur sa rencontre avec l’univers de Caroline et les étapes fondatrices qui ont jalonné toutes ces années d’engagement. Couple de collectionneurs atypique, Evelyne et Jacques Deret ont la particularité de développer chacun leur collection. A l’heure du bilan et afin de pérenniser leur initiative, ils ont décidé d’opter pour un fonds de dotation à partir de 2026. Entretien sans fard avec une passionnée qui fonctionne à l’instinct face à une œuvre et ne cesse de déplacer le curseur avec une curiosité et un goût pour les rencontres et la stimulation intellectuelle. Evelyne qui n’hésite pas à aborder la question du #metoo de l’art a répondu à mes questions. 

Evelyne Deret, co-fondatrice et directrice ART [ ] COLLECTOR

Comment avez-vous découvert le travail de Caroline Corbasson ?

J’avais vu son travail il y a quelques années déjà et j’étais intéressée par cette pratique artistique qui associait science, technologie à partir d’une large variété de mediums. A côté de ce que je collectionne habituellement qui est beaucoup plus figuratif, j’ai toujours eu un faible pour les femmes qui s’attaquent à des vrais sujets. J’ai beaucoup travaillé à l’université sur les femmes et leur rapport aux objets techniques et pourquoi elles étaient exclues de certaines filières ou sous représentées dans certains métiers. Pour revenir à Caroline, j’avais repéré cet aspect de sa recherche autour de l’infiniment grand à partir d’éléments qu’elle met en scène comme le vent, les étoiles, le cosmos… avec une coloration plus poétique à partir de ses écrits présentés dans l’exposition POEMS pour la première fois. 

J’ai vu à Paréidolie il y a deux ans des œuvres de Caroline chez Dilecta que j’ai acquises et j’ai continué à suivre son travail jusqu’à la présenter au comité de sélection d’art collector, chacun de nous présentant le dossier d’un artiste qu’il collectionne dans l’esprit d’un compagnonnage sur le long terme.

Ce qui m’a également intéressé aussi chez elle, c’est la façon dont elle refuse le cloisonnement pour favoriser l’interdisciplinarité. 

Les artistes ont selon moi dans leur processus de création souvent un lien avec une personne, un lieu ou une ambiance, et en l’occurrence Caroline est en lien avec son grand-père ingénieur à la NASA, ce qui encouragé son intérêt pour l’astrophysique, la cosmologie, la botanique. 

Vue de l’exposition Caroline Corbasson, Poèmes, CBW Paris, ART [ ] COLLECTOR photo Nicolas Brasseur

Le comité de sélection : fonctionnement, principes… 

Nous sommes 6 ou 7, et avons changé d’un tiers les membres depuis le lancement. Nous avons en général un. e critique, commissaire (Léa Bismuth, Philippe Piguet, Amélie Adamo…), des collectionneurs et plus récemment la directrice du Centre Wallonie-Bruxelles, Stéphanie Pécourt. Nous n’avions pas de quota autour de questions de genre même si cela s’est fait naturellement. Notre mode de calcul de voix ne favorise pas l’aléatoire ou la discussion. 

Le 20ème catalogue : 

L’idée du catalogue a été présente dès le départ dans la mesure où ces éditions devaient s’inscrire dans un temps long autour d’un même format (32 pages) et d’une présentation assez sobre. Les illustrations d’œuvres sont choisies par l’artiste pour mettre en avant l’exposition, qu’elle soit à valeur de rétrospective ou non. Caroline après avoir choisi la commissaire, a décidé des œuvres qu’elle souhaitait mettre en dialogue avec sa série et a pris contact avec les collectionneurs qui prêtent des œuvres pour son exposition puisque le principe d’art collector est d’associer des collectionneurs au soutien des artistes. 

Si l’idée du catalogue était pertinente au début, certains artistes n’ayant pas encore de publication, c’est moins vrai à présent, Caroline par exemple ayant déjà plusieurs ouvrages.

Le catalogue représente tout un travail de suivi avec le graphiste et l’imprimeur, l’aspect communication étant pris en charge par notre fils, Julien Deret dont c’est le métier. C’est la même équipe depuis le début. 

Vue de l’exposition Caroline Corbasson, Poèmes, CBW Paris, ART [ ] COLLECTOR photo Nicolas Brasseur

Quel bilan de toutes ces années ?

Nous avons alterné expositions et aides à la production donc nous nous repérons plus en termes de nombre de lauréat.es que d’années. L’engagement de départ reste fort à savoir soutenir des artistes de la scène française de moins de 45 ans à un moment de leur parcours pour accroître leur visibilité. Plusieurs artistes ne retiennent pas l’idée d’un commissariat préférant bénéficier d’une réelle liberté. Nous trouvons que les choix que nous avons réalisé, opérants ou pas, ont été l’occasion d’un réel accompagnement et soutien dans un environnement stimulant intellectuellement et artistiquement. Nous avons intégré tout un écosystème et restons au cœur de la création et ses évolutions. Une véritable ouverture et un enrichissement au quotidien. 

Si je songe aux aspects plus négatifs, ils rejoignent les méthodes de travail que nous avons développé au cours de notre carrière professionnelle et qui sont parfois perçues comme contraignantes pour les artistes. 

J’ai travaillé dans le milieu de la psychanalyse, de l’université, de l’entreprise et du bénévolat : une expérience très différente de celle du milieu de l’art qui a ses propres règles et réserve bien des surprises. 

Qu’est ce qui a rendu l’expérience pérenne selon vous ?

Notre engagement vis-à-vis des artistes, de la scène française, et la perdurance. 

Vue de l’exposition Caroline Corbasson, Poèmes, CBW Paris, ART [ ] COLLECTOR photo Nicolas Brasseur

Quel réflexe avez-vous face à une œuvre ?

Quand je vois une œuvre je n’ai pas envie qu’on me l’explique ou que l’on me présente l’artiste. Je dis souvent laissez-moi ma lune de miel avec l’œuvre. Je peux ainsi me projeter sans en savoir plus, au-delà de certaines considérations de genre par exemple. J’aime me décider rapidement contrairement à mon mari. 

Cependant si je sens que cela pourrait conduire à des rapports moins faciles avec l’artiste, je protège d’abord l’œuvre. Je ne veux pas que la relation vienne parasiter ou entacher l’œuvre. Je reste toujours assez prudente et garde de la distance. 

Une prudence qui s’est révélée nécessaire pour passer du statut de collectionneur à mécène avec le risque de tomber dans ce qui pourrait être un triangle compliqué entre commissaire-artiste-galerie. Nous nous partageons avec mon mari tout le travail qui ressemble à celui d’un galeriste à savoir le planning de production, le rédactionnel, la communication et la diffusion… et d’un autre côté le transport et les assurances, les questions d’accrochage. 

Est-ce-que vous vivez au quotidien avec les œuvres ?

On essaie de voir installe en priorité les œuvres que l’on achète avec un principe de rotation trois fois par an, principe que l’on ne respecte pas vraiment car en fonction des prêts des œuvres (une cinquantaine par an), je laisse souvent la place vide dans l’attente du retour de l’œuvre. Je connais les emplacements de chacune des œuvres comme une galerie mentale. Je négocie l’accrochage avec mon mari ayant ma propre collection, ce qui est assez atypique dans le milieu des collectionneurs. C’est le prix de ma liberté ! Nous aimons faire un jeu de devinette entre nous sur ce que l’autre a acheté lors de salons ou de visites de galeries ! 

Vue de l’exposition Caroline Corbasson, Poèmes, CBW Paris, ART [ ] COLLECTOR photo Nicolas Brasseur

Pourquoi le choix du fonds de dotation ?

Au bout de ces 20 éditions et compte tenu de notre âge, nous avons cherché à pérenniser l’initiative. Nous allons vers un fonds de dotation dès l’année prochaine qui permettra de renouveler nos membres et la gouvernance et d’ouvrir sur de nouvelles perspectives. C’est pourquoi en 2026 nous ne présenterons pas de candidat mais organiserons une édition anniversaire en annonçant le fonds de dotation autour des 20 lauréats et d’œuvres de nos collections respectives qui seront à vendre pour abonder le fonds de dotation. 

Que nos enfants soient intéressés ou non par nos collections , toutes les œuvres de la collection forment un même patrimoine selon moi. Par rapport à une association, le fonds de dotation permet de maintenir l’Adn de départ et la gouvernance, assurant une réelle stabilité.

Votre expérience aux côtés de Stéphanie Pécourt au CWB :

Ce sont de multiples pas de côté qui m’empêchent de m’enfermer dans une certaines façons de penser. D’autre part il y a toute une dimension intellectuelle, stimulante en termes de lectures, d’échanges qui me permet de contribuer à des documents de références, des entretiens. Stéphanie favorise également des échanges internationaux, ce qui ouvre les horizons. 

Le #metoo de l’art : pourquoi on en parle peu ? 

Étant donné mon expérience professionnelle j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet et la protection de l’enfance. J’ai fait quatre signalements dans ma vie et je prône un devoir de vigilance. Si l’on en parle peu dans le milieu c’est parce que tout le monde est pieds et poings liés. La liste publiée au moment d’Art Basel n’est qu’un début. 

Infos pratiques :

Caroline Corbasson

Poèmes

Centre Wallonie-Bruxelles, Paris 

Entrée libre 

127-129 rue Saint-Martin Paris 

https://cwb.fr/agenda

En savoir plus sur ART [ ] COLLECTOR : 

Art [ ] Collector — Des Collectionneurs Invitent Un Artiste 

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