Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Thameur Mejri Photo : Lionel Rault © Adagp, Paris, 2025
Le macLYON a été précurseur en 1986 en invitant Marina Abramovic et son compagnon Ulay à dévoiler et à achever le cycle de performances emblématiques Nightsea Crossing, par la suite acquis, et qui vont influencer de manière décisive le profil de ses collections. Avec la double exposition à Lyon et à Belgrade des collections du mac et du MoCAB, ces liens avec la scène Yougoslave et serbe se voient réactivés à l’initiative de Matthieu Lelièvre responsable de la collection du macLYON, co-commissaire avec Maja Koralic, directrice du MoCAB.
Si la parité des œuvres des deux collections se fait plus à l’avantage du MoCAB pour ce volet, l’enjeu pour ces artistes est l’ouverture à l’international plus qu’une véritable découverte d’une scène dite française. La démarche n’est pas tout à fait la même que celle qui avait présidé à l’exposition Friends in Love and Warautour des collections du British Council et du macLYON et le dialogue d’artistes français et britanniques. Il s’agit ici d’engager des regards croisés autour de dynamiques d’inclusion et de réécriture de récits dominants ou de voix invisbiliisées. Parmi les questionnements soulevés, il y celui du solf power de l’art dans un contexte géopolitique donné, du caractère politique de l’œuvre qui ne doit pas occulter sa force et son impact esthétique et la question du contexte qui influence ou non sa capacité de réception et de conviction si l’on se réfère au titre « Histoires personnelles/Réalités politiques ». Matthieu Lelièvre retrace les différents jalons de ce projet, comment il a été amené à découvrir toute cette scène et les surprises qui se sont dessinées au fur et à mesure des échanges avec de nombreux points de convergence. Il avait déjà exposé au macLYON l’artiste Jasmina Cibic et le film The Gift autour de symboles de pouvoir dans l’Europe de l’Ouest à travers ce que l’architecture véhicule. Une autre œuvre clé qu’il nous décrypte est celle de l’artiste Marina Markovic qui se sent suffisamment libre pour la révéler au public français et a décidé d’en faire don au musée, de même avec l’artiste Mihael Milunovic. Des histoires très positives qui témoignent de l’impact du projet. Matthieu a répondu à mes questions.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Randolpho Lamonier, collection macLYON
Photo : Lionel Rault
Marie de la Fresnaye. A quand remonte les liens du macLYON avec le MoCAB Belgrade ?
Matthieu Lelièvre. Cela remonte à des liens personnels tissés avec cette scène à travers des expositions que j’ai découvert depuis plusieurs années et l’invitation qui m’a été faite en 2024 à l’occasion du 60ème Salon d’octobre qui est la Biennale de Belgrade. Entre temps j’ai été nommé responsable de la collection d’art contemporain du macLYON, avec une mission de valorisation et de diffusion, ce qui expliquait ma volonté d’inviter Maja Kolaric à être co-commissaire de l’évènement. Il y avait spontanément des deux côtés une démarche de commissaire mais aussi de conservateur autour de la valorisation de la collection. Notre projet répondant plus à une logique de méthode qu’à un statement artistique. L’idée était de connecter des thèmes, des artistes, des structures, des institutions, des écoles d’art, des résidences d’artistes, y compris nos Biennales. Le volet qui suivait cette dynamique de collaboration consistait donc à ce que les deux musées dialoguent à travers une exposition qui mettrait en valeur les collections avec à terme une exposition dans les deux lieux et un catalogue. Nous voulions raconter et dérouler une histoire qui s’inscrive aussi dans une création contemporaine.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Damir Radović (Collection macLYON) Photo : Lionel Rault
MdF. Quels ont été vos partis pris avec les commissaires serbes en termes de choix d’artistes et de mise en dialogue ?
ML. Il s’agissait de proposer un ensemble équilibré et qui soit représentatif des collections, ce qui englobait plusieurs paramètres.
D’une part les lieux dictent la sélection avec à Lyon un espace très modulable alors que le musée de Belgrade est au contraire une boite en verre très moderniste, des espaces très ouverts et peu de murs.
De plus en termes de méthode nous avons croisé nos regards et avons appris les uns des autres l’histoire de nos musées respectifs. Nous avons expliqué les liens avec la Biennale en matière de production et eux nous ont expliqué la genèse de ce musée sous la Yougoslavie de Tito au milieu des années 1950 avec une prise de distance vis-à-vis de l’URSS dans une volonté de mise en avant de toute cette région Yougoslave. L’angle international est inhérent à la fondation de ce musée mais avec un prisme Yougoslave ce qui lui donne un caractère spécifique.
Nous souhaitions mettre en avant les qualités de chacune des collections mais aussi ce qu’elles racontent en creux à travers une diversité, une ouverture et des découvertes potentielles pour nos visiteurs en ce qui concerne le volet lyonnais.
Nous ne voulions pas montrer des stars ou des évidences mais des artistes qui allaient nous raconter des choses singulières et se révéler des découvertes tout en étant inscrits dans le propos scientifique. Je songe notamment à Goranka Matic ou Tomislav Peternek, des photographes que l’on ne connait pas beaucoup en France et qui se révèlent être des témoins fascinants de leur monde, qui est aussi le nôtre. C’est cette prise de conscience que nous voulions susciter.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Marina Marković (Collection macLYON) Photo : Lionel Rault
MdF. Qu’est ce qui ressort et caractérise la collection du MoCAB ?
ML. Un ancrage territorial spécifique comme évoqué précédemment et une collection qui s’est constituée et poursuivi malgré les aléas géopolitiques parfois très violents notamment avec la montée des nationalismes dans les années 1990 qui ont accompagné le délitement de la Yougoslavie. Chaque pays a cherché à redéfinir sa propre identité, phénomène qui n’est pas uniquement serbe mais touche les voisins comme à Skopje ou Zagreb. Ensuitela guerre va entrainer la fermeture du musée pendant 15 ans. Le musée à présent sous la direction de Maja Kolaric cherche à comprendre la nature même de cette collection qui dépasse largement les frontières de la Serbie. Nous avons accompagné modestement la directrice et les conservateurs dans cet exercice par cette exposition à Lyon avec notre regard extérieur et sans aucune forme de préjugé.
Au-delà de cet ancrage régional, la collection se caractérise par son aspect international. Une ouverture qui se voit encouragée par ce projet.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Dragan Petrović, collection MoCAB, Belgrade Photo : Lionel Rault
MdF. L’une des questions soulevées par l’exposition concerne la mobilité et les échanges de ces artistes à l’international : quel lien avec la France ?
ML. Ce qui nous a passionné autour de cette question de la mobilité et des échanges internationaux sont les liens très fort entre Belgrade et la France avec des personnalités clés qui ont voyagé très tôt. Pendant l’ère de la Yougoslavie les artistes et intellectuels voyageaient en France sans avoir besoin de visa dans les années 1950, 60 et 70, ce qui s’est refermé complètement dans les années 1990 avec la guerre et l’embargo culturel qui a frappé les Serbes. Nous sommes de la même génération avec les commissaires autour de la quarantaine et les gens de la génération au-dessus ont beaucoup souffert de cet enfermement. Ce désir d’échange était continu mais ne pouvait se manifester les artistes serbes n’étant plus invités et ne pouvaient plus voyager. Cela a duré une décennie. Quand on voit les jeunes artistes d’aujourd’hui ils n’ont pas ce lien naturel avec la France. Le travail que nous avons mené lors du Salon d’Octobre était de faire voyager des artistes tunisiens, brésiliens… partageant les mêmes préoccupations, en créant des liens avec les résidences pour permettre des circulations pour des situation de production et de coproduction afin de recréer des liens entre les artistes serbes et le monde. C’est pourquoi nous avons reçu par exemple Marina Markovic pour une résidence de production au macLYON pendant la préparation de l’exposition. Nous avons voulu réenclencher chez la jeune génération cette idée de mobilité et d’accueil permis par ce genre de projet.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Biljana Đurđević, collection MoCAB, Belgrade Photo : Lionel Rault
MdF. Quelles ont été les découvertes et surprises de ce projet ?
ML. La découverte et la surprise s’est faite dans ces liens qui nous rassemblent. Si l’on prend Marina Abramovic exposée en 1986 avec des acquisitions d’œuvres au moment de la constitution de la collection. Une décision pionnière pour l’identité même d’une collection liée au contexte de l’installation et de la performance. Le travail de Marina et d’Ullay a été décisif pour le profil futur du macLYON. Nous montrons beaucoup ce travail mais c’était l’occasion de le redécouvrir aux côtés d’autres œuvres du MoCAB et de redécouvrir Marina à Belgrade dans les années 1970 et mieux comprendre son lien avec le contexte des pays de l’Est socialistes et le caractère progressiste de la place des artistes femmes dans la société, comparativement à nous en France à la même époque.
Nous avons aussi en commun l’artiste Jasmina Cibic avec le film The Gilt produit en France à partir du palais des Nations Unies à Genève, de l’ancien Siège du parti communiste, d’un palais en Pologne autour d’une joute oratoire. Des éléments de solft power culturel qui se trouvent rejoués avec le film « Tear down and Rebuild » (2015) et selon un même protocole de relecture d’enjeux autour du statut des monuments dans l’espace public et qui raconte directement l’histoire d’une fédération Yougoslave à Belgrade.
De même avec l’artiste Jean Le Gac qui est dans la collection de Belgrade.
Pour conclure, je dirais que la belle surprise est ce qui nous rassemble et nous permet d’être complémentaires.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Louis Jammes, produit pour la Biennale de Lyon 1991, collection macLYON Photo : Lionel Rault
Quelles sont les autres belles histoires de ce projet ?
Au-delà des échanges qui étaient déjà ancrés, ce projet génère de nombreux dons.
Grâce au mac, Damir Radovic va donner une œuvre au MoCAB et dans le contexte de cette exposition Marina Markovic donne une œuvre au macLYON alors qu’elle n’est pas encore dans les collections du MoCAB. De plus Mihael Milunovic a décidé à l’issue du vernissage de donner à son tour une œuvre du macLYON. Dans le principe de ces conversations Vladimir Miladinovic à l’origine de ces dessins incroyables de Unes de journaux va présenter au MoCAB un nouveau dessin issu d’une série en cours réalisée à partir de photographies utilisées lors des procès à la Haye pour témoigner de la présence de charniers dans le paysage bosniaque. Le dessin sera ensuite donné au macLYON.

Vue de l’exposition Histoires personnelles / Réalités politiques, Dialogue entre les collections du macLYON et du MoCAB au macLYON (19 septembre 2025 – 4 janvier 2026) Œuvre de Jasmina Cibic, collection MoCAB, Belgrade Photo : Lionel Rault
En quoi le thème de l’exposition rejoint-il d’autres enjeux qui vous traversent ?
Le thème de l’exposition repose sur la façon dont les artistes à travers leurs œuvres expriment un regard sur la société en ayant recours à leur parcours, leur expérience. Ce regard est très contemporain puisqu’il s’agit de s’intéresser à l’expérience des artistes et à leur voix plutôt que d’illustrer des propos abstraits avec des œuvres dont on détournerait le sens. C’est une approche très actuelle du commissariat d’exposition et c’est ce à quoi s’engage le macLYON depuis quelques années en s’intéressant à des voix diverses telles qu’un artiste des favelas de Rio (Maxwell Alexandre), un artiste autodidacte qui est aussi une personne trans (Edi Dubien)…
Cette approche a eu un vrai impact dans la mesure où nos expositions sont suivies d’acquisitions et le profil de la collection s’est beaucoup enrichi de ces voix et d’artistes femmes également telle que Marilou Poncin, présente dans le parcours.
Faire une exposition de la collection pour nous veut dire à la fois relire des œuvres du passé comme Terry Allen ou Ed Ruscha mais aussi de valoriser ces voix actuelles qui résonnent pour notre public. C’est pourquoi nous avons raconté cette histoire récente de la collection tout en allant chercher du côté de Danielle Valet Kleiner, Louis Jammes des œuvres des années 1980-90 qui s’intéressait déjà à ce qui se passait dans cette région du monde. D’où le côté un peu magique de ces coïncidences.
En ce qui concerne le volet qui se déroulera à Belgrade au printemps 2026 : y aura-t-il des variantes ?
Nous sommes en train de faire la sélection et l’idée est de garder le même chapitrage. Comme les deux expositions seront réunies dans un livre, nous trouvons intéressant de renouveler cette sélection. Les lieux comme je l’ai dit sont très différents, de fait, naturellement les œuvres ne peuvent pas être les mêmes. Il y a moins de place à Belgrade pour des œuvres fragiles en papier ou textile. Au macLYON nous souhaitions que les 2/3 des œuvres soient issues du MoCAB pour pouvoir mettre en valeur nos œuvres de cette région. Au MoCAB nous aurons plus d’artistes de notre collection pour permettre aux visiteurs de faire plus de découvertes.
Quelle serait votre œuvre coup de cœur ?
Il est toujours très difficile de répondre. L’une des révélations pour moi est la redécouverte du cinéma de Danielle Vallet Kleiner. Nous allons d’ailleurs la recevoir autour d’une conférence en octobre. Mon bonheur est de pouvoir valoriser à travers ce dialogue des artistes que le musée soutient comme Thameur Mejri un travail si politique qui trouve toute sa place dans cet environnement où l’on assume ces sujets. Ou une artiste qui s’est sentie suffisamment bien accueillie au au macLYON pour pouvoir montrer pour la première fois une oeuvre aussi personnelle que puissante : Marina Markovic et son travail sur l’anorexie qu’elle attendait de pouvoir montrer depuis 20 ans. Des conditions d’accueil si favorables qu’elle a décidé de la donner à cette collection publique. C’est je pense, l’œuvre qui me touche le plus.
Infos pratiques :
Histoires personnelles/Réalités politiques
Jusqu’au 4 janvier
https://www.mac-lyon.com/fr/programmation/histoires-personnelles-realites-politiques
En complément : Interview à suivre de Marilou Laneuville, co-commissaire de l’exposition « Efflorescence/ Tel est notre éveil » des artistes Rajni Perera & Marigold Santos