« end and », vue d’exposition Koen Taselaar au CCC OD, 2025 © Aurélien Mole
L’artiste néerlandais Koen Taselaar (né en 1986 à Rotterdam) pour sa première exposition en France au CCC OD déroule un vaste récit tissé autour des Apocalypses et de la tapisserie d’Angers qu’il a eu l’occasion d’approfondir à l’occasion de ses visites de travail dans la région Val de Loire. Entre croyances et prophéties de fin du monde, se succèdent différentes séquences autour d’un univers flamboyant et très éclectique, l’artiste se définissant volontiers comme un omnivore visuel. Entre science-fiction, BD, littérature, cinéma, et dessin, la matrice originelle, nous passons des Chevaliers de l’Apocalypse au bombardement d’Hiroshima, du Frankenstein de Mary Shelley au spectre de Metropolis de Fritz Lang, des menaces technologiques aux catastrophes climatiques actuelles sans jamais renoncer à l’humour par un habile système de bulles et de répétitions formelles. De multiples strates de lecture sont à l’œuvre comme le souligne Delphine Masson, commissaire de cette exposition qui revient sur la genèse de cet ambitieux projet soutenu par le Fonds Mondrian et réunissant plusieurs tapisseries, des sculptures, céramiques et des dessins. Elle prépare prochainement une exposition de l’artiste Nils Alix-Tabeling dans le cadre d’un dispositif territorial avec les centres d’art du Garage à Amboise et de l’ar(T)senal à Dreux, tandis qu’une mise en lumière des décors de théâtre d’Olivier Debré est proposée à partir du mois d’avril. Delphine a répondu à mes questions.
Le contexte
Suite à l’invitation du fonds Mondrian à des directeurs de structures ou curateurs de découvrir des artistes néerlandais et plus spécialement de la ville Rotterdam, Isabelle Reiher a pu rencontrer Koen Taselaar et apprécier son travail. Ils ont échangé sur la tapisserie et l’environnement patrimonial de la Région du Val de Loire, tout un univers qui l’inspirait.
Il avait une première connaissance de la Tapisserie d’Angers dans le cadre de ses recherches qu’il a pu approfondir lors de ses visites autour du projet et qui a donné lieu à une réflexion commune avec l’équipe du CCC OD autour d’une réponse contemporaine aux préoccupations de l’apocalypse. Koen a travaillé depuis Rotterdam, son atelier de production étant aux Pays Bas. C’est grâce au soutien du fonds qu’il a pu mener cette réalisation de grande ampleur pour la nef.

« end and », vue d’exposition Koen Taselaar au CCC OD, 2025 © Aurélien Mole
Quelle technique ?
C’est une technique automatisée inspirée par les métiers à tisser Jacquard du 19 -ème siècle et considérés comme les pionniers de l’informatique, les premières stylisations programmées.
Quelle narration et séquençage de ce grand récit ?
Il y a tout un jeu de narrateurs (lecteurs) qui donnent lieu à un une structuration du récit principal. L’univers est proche de la BD car chacun parle à travers une bulle. L’enchâssement des bulles donne lieu à plusieurs sous-récits. Le récit s’ouvre en lien direct avec la tapisserie de l’Apocalypse par un lecteur situé dans un baldaquin gothique. Il prend les traits d’un organisme vivant sous-marin, l’Hexactinellida (éponge de verre), considéré le plus ancien sur terre et pouvant vivre jusqu’à 10 000 ans. Un témoin idéal pour ce grand récit de l’humanité.
Ces chapitres nous font passer par la multiplicité de ces récits eschatologiques qui sont un point de convergence à de nombreuses civilisations (à travers les religions, les mythologies) …autour de leur propre disparition. Un premier chapitre ouvre sur un univers médiéval le plus proche de la Tapisserie de l’Apocalypse avec ces démons, dragons, flammes de l’enfer qui traduisent ces angoisses chrétiennes millénaristes pour aller ensuite vers une époque moderne dont les peurs sont induites de la science et non plus de la religion, ce qui engendre un nouveau visage à ces menaces. L’on assiste alors à l’évènement d’une nouvelle ère avec la science-fiction, le cinéma avec notamment cette triade de robots et les innovations technologiques aux effets dévastateurs comme la bombe d’Hiroshima qui pour la première fois dote l’humanité de son autodestruction. Le dernier chapitre correspond à la période actuelle entre les menaces de l’Intelligence artificielle et du changement climatique qui s’additionnent mutuellement plus qu’elles ne se neutralisent.

« end and », vue d’exposition Koen Taselaar au CCC OD, 2025 © Aurélien Mole
L’artiste joue sur beaucoup de registres, de cultures
A l’image de son univers esthétique plus général, il s’inspire de nombreuses références culturelles et jeux formels, entre l’esthétique médiévale, le Bauhaus, l’abstraction, le fanzine, le jeu vidéo, la BD…et se définie comme un omnivore visuel. Un univers foisonnant de détails à la fois éclectique et kaléidoscopique, que l’on trouve au départ dans ces dessin qui sont la matrice de tout cet univers qui se déploie sous différentes formes, tapisserie, sérigraphie, céramiques et d’autres à venir comme le vitrail qu’il est en train de travailler. Il est toujours à l’affut de nouvelles expérimentations et savoir-faire.

« end and », vue d’exposition Koen Taselaar au CCC OD, 2025 © Aurélien Mole
La question du revers
Sur le revers l’artiste a imaginé pour les tapisseries de petit format, des cadres sur roulettes pour rappeler la mobilité potentielle de ces tapisseries et offrant un point de vue circulaire et une découverte de l’envers qui est aussi intéressant et important pour lui. Comme une version un peu fantôme, en négatif des œuvres. Que ce soit la très grande tapisserie ou celles de plus petit format qui disposent d’un cadre métallique adapté, le public peut circuler autour.
Autres éléments de décor
Tout autour de cette grande fresque centrale, d’autres œuvres entrent en résonance ce qui donne une dimension immersive, voire saturée avec les dessins et cet ensemble de sculptures qui juxtapose un socle travaillé comme un élément de mobilier, et une œuvre en céramique liée à un bestiaire d’éléments sinueux (serpent) qui s’oppose à la rigidité architecturale ou à l’abstraction. Deux registres formels très différents et complémentaires.
Pourquoi une telle fascination mêlée à de l’effroi face à ces grands récits de fin des temps, selon vous ?
C’est une question très métaphysique et existentielle à laquelle l’auteur britannique Dorian Lynskey se confronte dans ses essais et dans un texte commandé autour de l’exposition. Le fait que cette tapisserie soit toute en longueur renforce cette dimension cyclique qui est au fondement de ces croyances qu’il traite avec une bonne dose d’humour à commencer par le titre « end and » : une fin qui n’en finit pas d’être annoncée. Le fait de réunir tous ces récits de fin du monde qui se succèdent sans jamais advenir cela ouvre une voie plus optimiste pour envisager les peurs actuelles qui sont multi factorielles. C’est aussi une façon de traiter de cette fascination.
Quelle est la prochaine exposition ?
Notre prochaine exposition est consacrée à Olivier Debré et ses travaux préparatoires autour de 4 rideaux de scène monumentaux pour : la Comédie française, le théâtre des Abbesses, l’opéra de Hong Kong et l’opéra de Shangaï. L’exposition présente 70 « esquisses » préparatoires considérées comme des toiles à part entière dont certaines restaurées pour l’occasion.
La commissaire est Marine Rochard qui gère le catalogue raisonné d’Olivier Debré.
Sur quelle exposition travaillez-vous en particulier ?
Je prépare pour les galeries supérieures une exposition de l’artiste Nils Alix-Tabeling en collaboration avec le centre d’art Le Garage à Amboise et l’ar(T)senal de Dreux, trois centres d’art de la région Centre au sein du dispositif du ministère de la culture « mieux produire, mieux diffuser ». Il évolue dans un univers symboliste et fantastique autour de créatures chimériques inspirées de certaines figures queer comme la chanteuse folk des années 70, Judee Sill, dont le destin tragique donne lieu à un nouveau un film et des sculptures. Début 2026, nous mettrons en lumière l’artiste Éléonore False actuellement exposée au Frac Sud (Marseille).
Egalement à découvrir l’exposition collective « Presi per incantamento » dont Isabelle Reiher m’avait décrypté la poésie lors d’un précédent entretien (lien vers).
Infos pratiques :
Koen Taselaar
End and
Jusqu’au 21/09/2025
A venir :
Olivier Debré, la peinture en scène : du 4 avril au 2 novembre 2025
Nils Alix-Tabeling : du 25 avril au 2 novembre 2025