MEP : Science/fiction et plantes, une histoire d’émancipation

Alice Pallot, Algues maudites, a sea of tears, limnée, aquarium anoxique au CNRS avec algues filamenteuses et lentilles d’eau, 2022 Jet d’encre sur papier Agave contre-collé sur Dibond, 68 x 45 cm © Alice Pallot Courtesy Hangar, Bruxelles

La MEP Paris propose une ambitieuse exposition intitulée « Science/Fiction — Une non-histoire des Plantes », titre assez ambigu et contradictoire pour un dialogue medium photographique, technologie et flore aussi passionnant que déroutant. En effet courant près de 200 ans de création autour de 40 artistes, comme le rappelle Simon Baker, le parcours intergénérationnel est construit sur le régime de la science-fiction selon le parti pris adopté par la commissaire Clothilde Morette, directrice artistique de la MEP avec des ensembles et sous-ensembles qu’il est parfois difficile de suivre. D’un monde stable et maitrisé nous abordons des rivages plus flous et incertains à partir de phénomènes de pollinisation, de contamination jusqu’à de possibles hybridations. Le dernier volet dépasse les clivages entre la fiction et la réalité pour ouvrir sur des histoires émancipatrices du vivant autour d’enjeux politiques et écologiques, à rebours d’une approche anthropocentriste. Le visiteur peut adopter une posture savante en suivant les cartels ou au contraire se laisser happer par les mystères de la nature sous le prisme de la photographie et du cinéma dont l’histoire rejoint les principes mêmes du vivant.

Dans le premier chapitre les pionniers de la Nouvelle Objectivité et de la photographie moderniste : Imogen Cunningham, Karl Blossfeld, Edward Weston, Laure Albin-Gillot adoptent des comportements scientifiques dans une visée cartographique. De même avec leur héritier Jochen Lempert biologiste de formation et dont le Jardin d’hiver avait été exposé au Crédac. Chez les contemporains : Pierre Joseph, Elspeth Diedrix horticultrice ou Almudena Romero, il s’agit de s’écarter de l’objectivité scientifique. 

Jean Comandon, still from the film La croissance des végétaux, (The Growth of Plants), 1929, 11 min© Musée Albert-Kahn/CD92

Le volet filmique qui suit joue sur les mécanismes invisibles des plantes. Comme avec le pionnier Jean Comandon qui joue des ressors illusionnistes d’un Méllès pour filmer la croissance en accéléré des végétaux en 1929. L’allemand Max Reichmann pour le compte de la société BASF mêle des séquences de ballet avec des plantes filmées dans une vision pédagogique à l’attention des enfants et dont le succès dépasse la commande de départ. Walon green, scénariste dans l’ambiance hippie « flower power » propose une adaptation du livre psychédélique The Secret Life of Plants. 

Ágnes Dénes, Wheatfield – A Confrontation: Battery Park Landfill, Downtown Manhattan – With Ágnes Dénes Standing in the Field, 1982, photography by John McGrailChromogenic print, 40 x 50 cm© Ágnes DénesCourtesy Leslie Tonkonow Artworks + Projects, New York

Dans la section « Matière végétale » il s’agit de rapprocher les phénomènes de photosynthèse et du processus chimique du médium photographique avec des représentants comme la célèbre pionnière botaniste et photographe Anna Atkins qui utilise de nombreux végétaux comme des algues séchées et la technique du cyanotype. Le naturaliste britannique Henry Bradbyury améliore les techniques d’impression végétale avec la galvanoplastie, dépôt par électrolyse d’une couche de cuivre. Autre figure majeure le cinéaste expérimental Stan Brakhage qui utilise des feuilles et éléments naturels qu’il glisse entre deux films créant des images sans caméra.

Dans une veine contemporaine l’artiste Sam Falls combine film, photographie et plus récemment céramique en soumettant ses créations aux éléments extérieurs (soleil, pluie, vent) dont les silhouettes en négatif conservent la mémoire.

Laure Albin-Guillot, Graine[variante de la planche X de l’album Micrographie décorative] (Seed [variant of plate X from the Decorative Micrography album]), ca. 1931Direct carbon print (Fresson process), 50 × 42.5 cm© Laure Albin-Guillot / Roger-Viollet Laure Albin-GuillotCourtesy Private Collection, Paris

Dans le 2ème chapitre il est question de symbiose et de contamination : les champignons (Angelika Loderer), la décomposition (Angelica Mesiti) jusqu’aux impacts de la radioactivité avec Anaïs Tondeur et Rebekka Deubner tandis qu’Alice Palot que j’ai rencontrée à l’occasion de son exposition à Hangar Bruxelles, se penche sur le problème des « Algues maudites » et leur prolifération en Bretagne sous le coup du changement climatique.  

A partir de là, le chapitre III « Au-delà du réel » plonge dans l’imaginaire à l’encontre d’une véracité scientifique. Peter A. Hutchinson botaniste de formation et passionné de science-fiction, propose des photomontages autour de paysages qui seraient comme transformés par le réchauffement climatique.

Joan Fontcuberta questionne la notion d’objectivité du medium dans la série Formes originelles de l’art en hommage à Karl Blossfeldt. Eleonore False coupe et isole des fragments de motifs à partir d’archives botaniques. Des collages qui bousculent la vision traditionnelle de la flore. 

Chapitre le plus flippant « les plantes vous observent » à partir du film fantastique de Steve Sekely « La révolte des Triffids » où des plantes monstrueuses envahissent la Terre après une pluie de météorites. Philip Kaufman avec L’invasion des profanateurs bascule dans une dimension écologique avec ces petites fleurs roses qui digèrent les humains pour créer des clones mutants. Kalev Erikson avec son projet autour des monstruosités de la nature « Where the Wild Things Grow » s’attaque à la fiabilité de l’image documentaire.

S’il vous reste encore un peu d’énergie, dernier chapitre « Les plantes et la fiction politique » avec l’œuvre majeure d’Agnès Dénes qui transforme dans le cœur de New York une décharge de 8000 m2  en champ de blé. Ali Kazma s’est penché sur la réserve mondiale de semences qui se trouve dans les îles Svalbard, près du pôle Nord. Sa vidéo transforme ce réservoir en une sorte de bunker énigmatique. L’iranienne Gohar Dashi relit les traumatismes de son enfance et de la guerre Iran-Irak à son projet Home où les plantes envahissent des anciens lieux d’habitation. Une ode à la résilience, forte et sensible. 

Si-Qin Timur,Untitled, 20233D stereolithography print on LCD screen, 119 x 75 x 75 cm© Sin-Qin TimurCourtesy Société Berlin

L’artiste Agnieszka Polska clot le parcours avec une fable spéculative qui combine intelligence artificielle et musique d’orgue du XIXème pour créer un conte imaginaire, pollinisateur en quelque sorte de nos consciences.

En résonance l’artiste Ludovic Sauvage investit le Studio de la MEP avec une installation sonore immersive « Late Show ». La vidéo est issue de l’intervention de l’IA à partir d’images naturalistes (couchers de soleil, fleurs) et urbaines créant une sensation de flottement aux accents new Age. Un road-movie qui offre une pause méritée après la somme d’images convoquées. 

Catalogue « Science/Fiction — Une non-histoire des Plantes » Spector Books, 45 euros (à la librairie sur place et en ligne)

https://www.mep-fr.org/e-librairie/science-fiction-a-non-history-of-plants-exposition-mep-16-10-24-19-01-25-copie/

Infos pratiques :

Science/Fiction — Une non-histoire des Plantes

Jusqu’au 19 janvier 2025

Visites guidées, prochaines dates (je recommande !)

https://www.mep-fr.org/que-faire-a-la-mep/visites-guidees/

Mercredi et vendredi 11h – 20h
Jeudi 11h – 22h
Le week-end 10h – 20h

Tarifs 

Plein tarif : 17 €

Réduit : 13  €

https://www.mep-fr.org/event/science-fiction-une-non-histoire-des-plantes/