Katalog, Barbara Iweins
Il est difficile de finaliser une short-list d’une offre pléthorique et de très haut vol, alternant les têtes d’affiches (Arthur Jaffa, James Barnor, Lee Miller..) ou les révélations (Katrien de Blauwer, Bettina Grossman..) autour du féminisme, de la performance, des enjeux climatiques. On va faire un pas de côté pour nous concentrer sur de vraies découvertes, beaucoup ayant été déjà écrit.
Katalog, Barbara Iweins (galerie Photosynthèses)
« Absolument tout y est passé : de la chaussette trouée de ma fille aux Lego de mon fils en passant par mon vibromasseur, mes anxiolytiques, tout, absolument tout.»
Barbara Iweins
La photographe belge au cours de ses 11 déménagements à ce jour a réalisé sa relation ambiguë aux choses accumulées. Après son divorce et retour en Belgique, elle décide de faire l’inventaire de ses possessions en partant de sa garde-robe, sa bibliothèque, les jouets des enfants…dessinant un autoportrait en creux au-delà de ses compulsions à valeur sentimentale. Pendant 4 ans et suivant un rigoureux protocole elle a ainsi pris 12 795 photos de 12 795 objets.
Que cachent les objets qui nous ressemblent et que l’on met en scène sur les plages glacées des magazines ? Ces témoins d’une gratification narcissique et d’un bonheur instagrammable ? Ces classements et ces listes que l’on passe son temps à échafauder au quotidien ? Un confinement volontaire et inventaire à valeur de thérapie alors que l’injonction du vide et du rangement n’a jamais été si forte dans la société à en croire les coachs qui fleurissent sur les réseaux sociaux comme Marie Kondo, la nouvelle papesse de la méthode KonMari. Une fois triés, ces objets dessinent des cartographies sensibles et originales, absurdes et dont la logique nous échappe. Le livre chez delpire & co retrace cet incroyable défi !
WORK IN PROGRESS WIP#22 : L’exposition annuelle de l’Association des étudiant·e·s de l’École nationale supérieure de la photographie (AEENSP)
Il faut un peu marcher et après les Alyscamps –sublimés par la proposition de Lee Ufan- quitter les sentiers battus de la Fondation Luma pour aborder un territoire encore vierge de toute emprise de marchandisation et formatage dans un lieu improbable, ancien bar-hôtel-restaurant « Le Printemps ». Le lieu resté dans son jus, outre l’exposition des 70 étudiant·e·s propose des workshops, concerts, projections…L’ancienne piscine est même investie !
Chants du ciel, La photographie, Le nuage et Le cloud – Monoprix
L’une des expositions les plus formellement réussies et brillantes intellectuellement qui joue de la polyphonie de sens du mot nuage, désignant le phénomène atmosphérique mais aussi le cloud computing, le stockage de données. Si le nuage a été une source d’inspiration majeure dans l’histoire de la photographique et l’on songe à la fameuse série de Steiglitz, ce motif projeté à l’ère d’aujourd’hui en devient une projection technologique liée à une vision capitaliste de la surveillance et de la captation des données.
Mention spéciale pour le court métrage de l’artiste Louis Henderson « All That is solid ». Mise en abyme et plongée dans les méandres de l’obsolescence de nos produits électroniques dont le recyclage est assuré en Afrique de l’Ouest par de jeunes gens qui brûlent le plastique sur des terrains vagues pour en récupérer le précieux métal, vendu et refondu de nouveau. Un étrange système dans lequel des africains cherchent des ressources minérales dans des matériaux venus d’Europe. Une vision sombre et critique sur la soi-disant immatérialité des nouvelles technologies.
Bettina Grossman « Poème du renouvellement permanent » Salle Henri Comte
Sous le commissariat Yto Barrada et Gregor Hubert, première exposition en France de l’artiste américaine connue pour s’être retranchée au Chelsea Hotel dans les années 1970 jusqu’à sa mort. Photographies, dessins, vidéos, objets elle se nourrit de ce qui l’entoure dans des expérimentations aux confins de l’abstraction.
Frida Orupado – Mécanique Générale
« A quelle vitesse chanterons-nous ? »
En parallèle de l’impressionnant panorama Une avant-garde féministe qui vaut à lui seul le voyage, l’artiste et sociologue norvégienne-nigériane Frida Orupado déconstruit les stéréotypes liés à la représentation du corps de la femme noire, son objectivation et ses violences à partir d’imagerie populaire puisée dans des plateformes numériques et archives familiales liées au colonialisme. De grands collages où les corps, parsemés de cicatrices invitent à voir autrement qu’à travers les prismes dominants.
Babette Mangolte – Eglise Sainte Anne
Prix Women in Motion 2022 (Kering), la New Yorkaise d’adoption fait l’objet d’une importante exposition « Capter le mouvement dans l’Espace » Ayant côtoyé toute la scène de la modern danse autour de figures emblématiques telles que Trisha Brown, Yvonne Rainer, Simone Forti, Lucinda Childs, Philip Glass, Joan Jonas, Robert Whitman… au Judson Dance Theater, à la Sonnabend Gallery ou à la Judson Memorial Church, elle entame une archive de la performance entre cinéma expérimental, installation et photographie. Le temps, le déplacement des corps, les temporalités, les improvisations…sont des paramètres qu’elle interroge dans ce qu’elle appelle « la camera subjective ». Babette Mangolte a également été directrice de la photographie pour Chantal Akerman. Il faut prendre le temps de se plonger dans cette masse d’archives qui peut paraître très spécialisée de prime abord.
Arash Hanaei et Morad Montazam « Hantologie suburbaine » -Cloître Saint-Trophime.
L’exposition Hantologie suburbaine de l’artiste Arash Hanaei et du curateur Morad Montazami, premier duo lauréat du programme BMW Art Makrs, propose de repenser notre rapport aux architectures utopiques des années 1960-1970 et à l’écosystème périphérique de la banlieue qui les accueille, en le plongeant dans l’univers virtuel du métavers et de la réalité augmentée. Il s’agit, selon le duo, d’« un projet d’installation innovant, proposant une poétique et une politique visuelle à même de penser l’émancipation du spectateur, à l’heure de la capture d’images, du big data et d’autres guerres d’algorithmes »
Rahim Fortune, lauréat du Prix Découverte Louis Roederer 2022
Dans cette belle église des Frères Prêcheurs, les 10 projets internationaux retenus prennent une forte vibration.
Le Prix Découverte Louis Roederer 2022 a été décerné à Rahim Fortune pour son exposition Je ne supporte pas de te voir pleurer.
Né en 1994 à Austin aux Etats-Unis, Rahim Fortune vit et à travaille à New York. Son projet intitulé Je ne supporte pas de te voir pleurer débute avec son retour au chevet de son père malade et se poursuit, malgré le poids du deuil, en même temps que le monde fait l’expérience de la pandémie, et les États-Unis celle du meurtre de George Floyd. Il s’agit d’un récit familial nourri d’histoire, où se jouent la cicatrisation des blessures de l’auteur, et la réduction des fractures du pays. S’il s’inscrit dans la tradition documentaire, c’est dans le souci d’une redéfinition et d’une actualisation de l’image.
Le Prix du Jury consiste en une dotation de 15 000 euros pour l’acquisition d’œuvres qui vont intégrer la collection des Rencontres d’Arles.
De plus mention spéciale du Jury en faveur de : Olga Grotova pour son exposition Les jardins de nos grand-mères.
La Fondation Lee Ufan et Requiem aux Alyscamps
Pour se remettre de ces bouillonnantes visions, place à la méditation dans l’élégant Hôtel de Vernon investi par Lee Ufan et requalfié par l’architecte et ami Tadao Ando pour y installer sa fondation. Ce 3ème lieu arlésien accueillera des actvités artistiques en plus des peintures et installations de l’artiste coréen. Pour les Alyscamps, lieu patrimonial emblématique, il imagine avec le commissaire Alfred Pacquement un cheminement en 14 stations autour de l’au-delà, du sacré, de l’invisible à partir de ses matériaux de prédilection en tension.
Relative déception à la Fondation Van Gogh qui d’habitude voit juste. L’exposition de Nicole Einseman et les Modernes ne m’ a pas touchée malgré le nombre et la qualité d’oeuvres rassemblées pour l’occasion.
Arles Books : mes recommandations
UNE AVANT-GARDE FÉMINISTE – GABRIELE SCHOR, Delpire, 496p, 62 €
BETTINA – YTO BARRADA ET BETTINA GROSSMAN, Editions Xavier Barral, 300p, 42€
Catalogue des Rencontres 2022, Actes Sud, 48€
Infos pratiques :
Arles Les Rencontres
Visible ou invisible, un été révélé
jusqu’au 25 septembre
https://www.rencontres-arles.com/fr/
Arthur Jaffa et James Barnor :
réservation préalable obligatoire, entrée gratuite