Chaumont-Photo-sur-Loire, 8ème édition : Interview Chantal Colleu-Dumond 

Tamás Dezsö, Tout se met à flotter (Spring), 2025 Chaumont-Photo-sur-Loire 2025 © Tamás Dezsö

A l’occasion de la 8ème édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, Chantal Colleu-Dumond, commissaire et directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire, nous dessine les composantes de ces propositions autour du vivant et ses nombreuses déclinaisons à la fois oniriques, sensibles ou plus engagées. Les artistes réunis, français et internationaux, s’inscrivent dans le projet que défend Chantal Colleu-Dumond autour d’une célébration de la beauté comme acte de résistance à un monde saturé de flux et de tensions. Cette saison photographique hivernale désomais pleinement identifiée comme un rendez-vous en région, s’accompagne d’une collection dévoilée spécialement à l’occasion, Chaumont-Photo-sur-Loire devenant ainsi un véritable prolongement de la Saison d’art. Chantal Colleu-Dumond revient sur l’identité de cette collection qui réunit plus de 130 œuvres de 50 photographes et une volonté durable qui l’anime de mise en avant auprès du public de ce qui constitue à présent l’un des points d’orgue du projet global du Domaine.  Elle nous partage ses critères en matière de regard, de « coups de foudre » et revient sur les étapes décisives de l’évolution de cette saison photographique. Elle a répondu à mes questions. 

Chantal Colleu-Dumond photo François Christophe

Qu’est ce qui se dégage de cette 8ème édition de Chaumont-Photo-sur-Loire ? 

Pour cette huitième édition, les artistes invités interrogent le lien à la nature à travers les notions de temps et de contemplation. Plusieurs d’entre eux explorent le monde végétal, en se concentrant notamment sur la flore : fleurs et feuillages, comme motifs sensibles et symboliques.

L’artiste finlandais Santeri Tuori s’intéresse quant à lui aux nuages et au ciel, envisagés comme des espaces de mutation permanente. À la marge de ces approches, le travail de Guillaume Barth questionne l’infini du paysage et ses possibles prolongements. Les artistes Santeri Tuori et Kim Boske partagent une démarche commune fondée sur la stratification et la superposition : à partir d’un même paysage, ils développent un travail systématique, sériel, parfois proche de l’obsession.

Vincent Fournier, Cryoflora nebularis [Nimbara-7e], 2025 Chaumont-Photo-sur-Loire 2025© Vincent Fournier. Courtesy Galerie Rabouan Moussion

La superposition des nuages d’un côté et du végétal de l’autre donne naissance à des images oscillant entre impressionnisme et surréalisme. Ces œuvres cherchent à rendre perceptible la complexité infinie du réel et de la nature, en perpétuelle évolution. Vibrations, mouvements, feuillages, fleurs ou formations nuageuses deviennent les vecteurs d’une composition visuelle qui suggère, par accumulation et transparence, la vibration même de la vie.

Santeri Tuori Sky#27, 2015 Chaumont-Photo-sur-Loire 2025 © Santeri Tuori

Le parcours se prolonge avec le travail de l’artiste hongrois Tamás Dezsö, qui présente quatre grands diptyques installés dans l’écrin des galeries hautes du château. Son regard singulier, profondément poétique, propose une nature recomposée par la juxtaposition de fleurs, de feuilles, de brindilles et d’éléments organiques variés. Deux de ces œuvres se distinguent par une dominante mauve et violette, conférant à l’ensemble une atmosphère à la fois énigmatique et fascinante. Photographe, mais aussi philosophe et grand lecteur, Tamás Dezsö développe une œuvre nourrie de références intellectuelles et sensibles.

À travers ces propositions, il apparaît clairement que la photographie ne se limite jamais à la simple captation d’un instant. Chez ces artistes, elle s’inscrit dans une démarche élargie, dépassant le registre documentaire pour explorer une temporalité étendue et une dimension plus méditative. Les quatre saisons y sont convoquées – le printemps, l’été, l’automne et l’hiver – ce dernier étant traité dans une tonalité plus sombre, ponctuée de formes évoquant des graines suspendues dans l’obscurité. L’ensemble compose une narration visuelle forte et cohérente, dont la puissance esthétique touche profondément les visiteurs.

Kim Boske devant « Untitled #4 (Flower) », 2024 Chaumont-Photo-sur-Loire 2025 photo Eric Sander

Dans l’aile ouest du château, le travail de Vincent Fournier s’impose par sa position à la croisée de l’art et de la science. L’artiste collabore étroitement avec des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle, notamment le botaniste Marc Jeanson, ainsi qu’avec Jean-Sébastien Steyer, scientifique et auteur de science-fiction. Ensemble, ils élaborent un récit spéculatif dans lequel des fleurs seraient transposées sur une autre planète et soumises à de multiples transformations. Une œuvre hybride, mêlant rigueur scientifique et imagination, qui interroge les possibles évolutions du vivant.

La démarche de Guillaume Barth s’inscrit dans une pensée écologique à partir des communautés Aymaras de Bolivie et des enjeux liés à l’accès à l’eau : quelle est l’origine du projet ? 

Le travail de Guillaume Barth trouve son origine dans une vision onirique. Inspiré par les rêves et les récits visionnaires de certains peuples, l’artiste a souhaité se rendre sur le Salar d’Uyuni, en Bolivie, le plus grand désert de sel au monde. De cette expérience est née l’idée d’une planète de sel, qu’il a choisi de transposer dans cet espace hors norme.

La survenue presque miraculeuse de pluies a alors métamorphosé le désert en un miroir monumental, révélant une sphère semblant flotter en apesanteur. Cette planète imaginaire, baptisée Elina par l’artiste, apparaît comme un monde éphémère, voué à disparaître. Elle constitue le cœur de l’installation, à la fois visionnaire et mélancolique.

Guillaume Barth, Elina, 2015 Photographie de la sculpture en sel et eau, 300 cm de diamètre, Bolivie, projet Elina, 2013-2015  © Guillaume Barth, Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris-Lisbonne

Au-delà de sa dimension poétique, le projet revêt une portée artistique et écologique. Le Salar d’Uyuni abrite en effet la plus grande réserve de lithium au monde. L’exploitation de ces ressources, cédées à des intérêts chinois, a entraîné l’assèchement progressif des eaux du site. L’œuvre devient ainsi une évocation politique et symbolique de la disparition d’un écosytème  fragile et menacé.

À un niveau plus intime, le lithium traverse également l’histoire personnelle de l’artiste, ajoutant à l’installation une dimension autobiographique discrète mais essentielle, où se croisent expérience individuelle et enjeux planétaires.

Autre temps fort de la saison : « Les Reflets de la collection » dévoilés pour la première fois. Quel est le point de départ de cette collection et qu’est-ce qui la caractérise ?

L’ensemble des œuvres réunies au sin de cette collection entretient un lien étroit avec la nature. Elle compte aujourd’hui plus de 130 œuvres réalisées par 50 photographes, dessinant un panorama riche et cohérent. Plusieurs lignes de force s’en dégagent : une topographie du temps à travers le paysage, notamment avec Juliette Agnel ; une vision sublimée du végétal portée par Luzia Simons ; le rôle du fragment comme seuil de perception chez Jacques du Sordet ; ou encore l’analyse de l’impact de l’activité humaine sur les milieux naturels, explorée par Nicolas Floc’h.

Darren Almond, Fullmoon @paranaplateau, 128 x 128 cm © Darren Almond

Cette collection met en lumière la pertinence de la Saison photographiqueen résonance avec la Saison d’art, dont elle constitue le prolongement naturel. Une articulation que l’institution souhaite désormais valoriser davantage, convaincue de l’importance de faire connaître et de montrer cet ensemble au public.

À l’issue de chaque saison, les artistes repartent avec leurs œuvres, tout en laissant une image en contrepartie de l’investissement conséquent consenti par l’organisation. Ce principe permet de constituer, au fil des éditions, une mémoire vivante et évolutive, tout en garantissant une grande diversité d’approches artistiques.

En terme de bilan depuis que vous avez lancé cette saison photographique, quels sont les éléments, les événements qui ressortent ?

Il apparaissait essentiel d’instaurer un véritable rendez-vous dédié à la photographie. Si le médium a toujours été présent, il restait jusqu’alors quelque peu dilué au sein de la Saison d’art. Un tournant s’est opéré lorsque la photographie a été pleinement affirmée, notamment à travers cinq expositions monographiques annuelles consacrées à des figures majeures telles que Raymond DepardonTania Mouraud, ou encore Andreas Gursky dès les premières éditions.

Cette structuration a permis d’installer durablement l’événement comme un temps fort de la photographie à l’échelle régionale. Une reconnaissance qui s’accompagne d’une volonté curatoriale claire : surprendre le public, le séduire par des œuvres d’une grande beauté plastique, tout en l’amenant à prendre conscience de problématiques plus profondes. Certaines pièces, comme celles de Guillaume Barth, conjuguent ainsi puissance esthétique et dénonciation des atteintes portées à l’environnement.

Tamás Dezsö, Tout se met à flotter (Summer), 2024 © Tamás Dezsö

Par rapport au visitorat de la saison de photo par rapport à l’ensemble de la proposition, quel est le pourcentage ?

La fréquentation reste naturellement plus modérée en période hivernale. Toutefois, une hausse notable des visites a été observée depuis la mise en place de cet événement, qui se déploie désormais de la fin novembre à la fin février.

En s’installant dans la durée, la manifestation a su créer un nouveau rendez-vous culturel. La programmation de nombreux solo shows d’artistes majeurs constitue un véritable moteur d’attractivité, incitant le public à se déplacer, qu’il soit local ou venu de plus loin.

Comment est-ce que vous, vous repérez les artistes, les photographes ?

Très présente sur la scène artistique, je multiplie les sorties et revendique une approche fondée sur les coups de cœur. Habituée de Paris Photo, j’y fais régulièrement des découvertes, s’attachant parfois à des artistes moins exposés ou moins médiatisés. Une démarche guidée par la curiosité et une recherche permanente de nouvelles voix.

FLORE, « L’Odeur de la nuit était celle du jasmin », exposition Chaumont-Photo-sur-Loire 2022, 2023 © FLORE

La question de la nationalité française est-elle un critère pour vous ? 

Cette année, la programmation réunit deux artistes français parmi cinq invités internationaux, aux côtés d’une artiste néerlandaise, d’un hongrois et d’un finlandais. Un choix qui répond avant tout à un critère essentiel : la capacité d’une œuvre à émouvoir par sa force et sa beauté. Les considérations de nationalité, de génération ou de genre n’interviennent qu’ensuite, de manière secondaire.

Des œuvres doivent être en cohérence avec l’ADN que vous défendez ?

L’ADN du projet que je défends repose sur un lien étroit avec la nature, le paysage, le végétal et sur une attention particulière portée à la notion de beauté. Dans un monde traversé par les tensions où la laideur semble parfois s’imposer avec arrogance, l’ambition est d’insuffler du beau, comme une nécessité vitale et un acte de résistance.

Et pour vous, qu’est-ce qui fait la différence en matière de photographie ? 

Ce qui retient avant tout mon attention, c’est le travail plastique, auquel peut s’ajouter, lorsqu’elle est présente, une dimension écologique. Je m’intéresse également aux approches empreintes de picturalité ou nourries par la recherche scientifique, revendiquant un goût marqué pour les œuvres qui s’éloignent du simple acte photographique.

Vincent Fournier, Digitalis pulsaris [Primat sidera], 2025 © Vincent Fournier. Courtesy Galerie Rabouan Moussion

Dernière question par rapport aux problématiques de restriction de budget dans plusieurs régions : est-ce que cela vous affecte ? et comment réagisez-vous ?

Non car la Région Centre-Val de Loire est une région qui a maintenu ses budgets culturels, ce qui mérite d’être souligné, contrairement à d’autres régions où les structures culturelles ont été affectées par des restrictions drastiques. La Région considère que la culture est un élément essentiel et non une variable d’ajustement.

Et pour finir avec Paris Photo, comment vous avez vous jugé cette édition ?

Cette édition s’est révélée particulièrement intéressante. Très fidèle à cette foire majeure, je considère cet événement, comme extrêmement sérieux et professionnel, offrant une grande diversité de galeries et d’artistes. C’est aussi pour moi une grande source d’inspiration. 

Infos pratiques :

Chaumont-Photo-Sur-Loire, 8ème édition 

Jusqu’au 22 février 2026

Tarifs (hiver)

Plein tarif : 16 €
Tarif réduit  : 9 €

En ce moment : Féérie de Noël au Château

« Rêves d’antan »

Domaine de Chaumont-sur-Loire 

Établissement public de coopération culturelle 

Domaine de Chaumont-sur-Loire, 41150 Chaumont-sur-Loire 

Possibilité de passer une nuit sur place :

« Le Bois des Chambres  » Hôtel art & nature

https://leboisdeschambres.fr/hotel-arts-et-nature

https://domaine-chaumont.fr/fr/programmation-culturelle-et-evenements/chaumont-photo-sur-loire-20252026