KMSKA, Anvers : Marthe Donas au cœur de l’avant-garde européenne et Magritte théoricien, incontournables !

Marthe Donas, Construction 1920, Royal Museum of Fine Arts Belgium, Bruxelles

Avec les expositions « Donas, Archipenko & La Section d’Or » et « Magritte, La ligne de vie », le Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers, KMSKA révéle une fois encore sa capacité à donner à voir des pans oubliés ou inconnus de l’histoire de l’art et d’ouvrir de nouvelles perspectives, en l’occurence autour des avant-gardes européennes. Entre cubisme, art abstrait et surréalisme, une véritable saison est déclinée au KMSKA avec d’une part le Cercle d’or et les artistes Marthe Donas (1885‑1967) et Alexandre Archipenko (1887‑1964) et René Magritte, influencé par les expérimentations cubistes, autre révélation. Adriaan Gonnissen, co-commissaire et conservateur du département d’art moderne du KMSKA, y voit la réelle articulation du musée dans une dimension internationale et globale tout en restant fidèle à ses fondamentaux flamands.

S’il est toujours délicat d’exposer un couple, le récit officiel donnant en général la primauté à l’élément masculin, ce n’est pas le cas ici avec Donas et Archipenko.

Alors qu’une première rétrospective a levé le voile sur le rôle de l’anversoise Marthe Donas au musée des Beaux-arts de Gand, MSK, en 2016, cet opus en est le prolongement comme le souligne en préambule de sa visite, Adriaan Gonnissen qui porte ce projet depuis la réouverture du musée d’Anvers. Marthe Donas de par son profil et ses qualités diplomatiques va favoriser la diffusion et la revtalisation de la Section d’Or en Belgique mais aussi à Paris, Berlin, Genève, Rome à travers des expositions itinérantes et des projets noués avec toute l’avant-garde européenne : Amadeao Modigliano, Fernand Léger, František Kupka, Leopold Survage mais aussi Marie Vassilieff, Natalia Goncharova ou la baronne d’Oettingen. Archipenko lui est également au cœur de nombreux réseaux à Paris, en Allemagne ou New York.

Mais qui est celle qui se cache derrière les pseudonymes « tour d’Onasky » puis « tour Donas » ? et pourquoi avoir pris cette décision ? Comme le développe l’historienne Charlotte Greenaway dans le précieux catalogue, à l’époque des cercles d’artistes très masculins dans le Paris de l’entre-deux guerres, il était compliqué de négocier ces questions de genre et l’on pourrait citer d’autres couples influents tels que Robert et Sonia Delaunay ou Nathalia Goncharova et Mikhail Larionov. Marthe se justifie dans ses mémoires à partir des remarques de ses collègues prétextant qu’elle était « trop artiste » pour travailler sous une signature féminine… entretenant un certain mystère autour de sa personne. 

Autre question essentielle soulevée par Greenaway autour d’un cubisme féminin chez Donas selon la déclaration faite par la mécène américaine Katherine Dreier, fondatrice avec Duchamp de la Société Anonyme à New York en 1920 qui cite Marthe Donas comme la première « artiste femme cubiste ». Si la palette volontiers nacrée de Donas (rose, gris pâle) donne un contrepoint au chromatisme cubiste dominant, peut-on qualifier sa touche d’uniquement fémine ? Son usage de textiles mais également de sable et de papier de verre en réponse aux sculpto-peintures d’Archipenko, participent de collages expérimentaux qui vont bien au-delà d’une approche dite féminine. 

C’est d’ailleurs parce que Dreier achête 4 de ses toiles lors de l’exposition de Marthe à la galerie berlinoise Der Sturm que la diffusion de son œuvre aux Etats-Unis va être possible.

Mais revenons à la chronologie des évènements et la rencontre fondatrice de Marthe avec son ainé de deux ans et mentor, le sculpteur Alexandre Archipenko à Nice en 1917, après avoir audacieusement fait le choix de Paris et s’être formée auprès d’André Lhote, la Côte d’Azur étant très cosmopolite à cette époque. Ces années de compagnonge amoureux et artistique à l’atelier du château de Valrose donnent naissance à des avancées très fructueuses pour les deux artistes, Une parenthèse heureuse à l’écart du conflit qui permet à Donas de mettre au point ses shaped paintings, en réponse aux « vides » d’Archipenko et à la place de la danse dans ses nus féminins, selon la thèse défendue par Adriaan Gonissen. Une lecture renouvellée du rôle pionnier de Donas également offerte par cette exposition. Comme l’explicite le co-commissaire dans un chapitre passionnant du catalogue, l’invention des shapped paintings revient bien à Donas si l’on en juge avec les toiles The Picture Book et Music, exposées chez Der Sturm même si Katherine Drier affirme que c’est le constructiviste hongrois Peter László Péri qui en est à l’origine. Visiblement Péri a été influencé par l’exposition de Der Sturm et sa réponse aux « sculpto-peintures » d’Archipenko est différente et se situe plutôt du côté de ses « shaped space constructions ». Deux conceptions qui vont avoir une influence considérable sur les artistes du Pop Art. 

L’autre force de l’exposition est de tordre le coup à l’idée répandue selon laquelle le relatif oubli dans lequel est tombé Marthe Donas s’expliquerait par sa rupture avec Archipenkdo qui part en Allemagne et épouse la sculptrice Angelica Forster. En réalité il s’avère que c’est elle qui a pris l’initiative de cette rupture tout comme elle le fera avec son 3èmecompagnon, le philosophe Harry Franke, avec qui elle s’installe à Ittre en Brabant Wallon, véritable refuge pour elle (actuel musée Marthe Donas). Ayant toujours mené la vie qu’elle voulait bravant les carcans de son milieu bourgeois d’origine, arborant une coupe à la garçonne, elle reste consciente de son talent et n’hésite pas à se lancer dans de nouvelles directions , selon le dernier chapitre de l’exposition avec la voie de l’abstraction aux côtés de Theo Van Doesburg, Piet Modrian et De Stijl. Un évènement important reste la participation de la Belgique à l’Exposition Internationale d’art monderne organisée à Genève sous l’impulsion de deux artistes français : Abel Gerbaud et Marcel Bouraine. Marthe même si elle est présente en tant que membre de la Section d’Or, apparait dans le  catalogue en lien avec son pays d’origine. Quelques 369 artistes sont réunis dans la Nouvelle Société des Nations, notamment Magritte, ce qui fait le lien avec l’autre exposition proposée par le KMSKA. 

Autre évènement de taille à la même période, décembre 1920 : l’itinérance de l’exposition La Section d’Or en Belgique sous l’impulsion notamment de Theo van Doesbourg, membre du comité à la galerie Sélection de Bruxelles réunissant des œuvres d’Archipenko, de Donas, Leopold Survage, Marie Vassilieff, Albert Gleizes – avec qui Marthe va se rapprocher – Gustave Louis Buchet. 

Adriaan, insiste pour conclure sur la liste des prêts exceptionnels du monde entier obtenus pour cette exposition et notamment la redécouverte au Japon de la toile « La Danse » considérée jusqu’alors comme perdue. 

Cette traversée brillante d’un modernisme envoûtant et cosmopololite réactualise les fondamenteux de la Section d’Or, ce collectif d’artistes parisiens qui organise la première expositon cubiste en 1912 à la Galerie La Boétie. Une avant-garde européenne qui au sortir dela guerre, vit un véritable tourbillon dans lequel Marthe Donas est l’une des pierres angulaires. Exposée auprès de ses pairs, elle acquiert toute sa dimension grâce à cette relecture plurielle et ouverte. 

Magritte

Plus inattendu, Magritte à Anvers après le Centenaire du mouvement fêté à Bruxelles, même si le surréalisme a eu un véritable écho à Anvers à partir de la Conférence que prononce l’artiste dans les salles du KMSKA en 1938 comme l’atteste la photo prise le 20 novembre 1938 de Magritte au bord de l’Escault avec l’écrivain anversois Marcel Mariën.  

Le co-commissaire, Xavier Canonne, incontournable sur la question Magrittienne que j’avais interviewé en 2024 au musée de Charleroi qu’il dirige au moment où il préparait l’exposition du Surréalisme à Bozar (lien vers), a réunit 85 œuvres qui déclinent les différentes problématiques soulevées par cette conférence décisive, commençant par : « Mesdames, Messieurs, camarades ».

« La ligne de vie » s’organise en un parcours chronologique autour de ses obsessions et sa quête à partir de motifs récurrents tels que la porte, la fenêtre, la femme, les nuages… Tout commence par une nuit de 1936 confie Magritte « je m’éveillais dans une chambre où l’on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnigique erreur me fit voir dans la cage l’oiseau disparu remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant… ».

La conférence initiale est à écouter grâce à l’intervention de l’IA dans une des salles du parcours. 

Ce panorama beaucoup plus abouti que la version de Bozar, révèle à la fois des incontournables comme le film interdit à l’époque de Mariën « Limitation du cinéma » et des détails plus inattendus.

Highlights 2026 :

Adriaan Gonnissen sera le commissaire de l’exposition « Rouge chantant » autour du langage visuel coloriste belge avec des chefs d’œuvre d’Ensor, Wouters et Schmalzigaug. Una approche synesthésiste au cœur même du projet moderniste. 

De plus, Antony Gormley sera également à l’honneur sous le commissarait de Carolyn Christov-Bakargiev. Un solo show exceptionnel qui sortira du cadre habituel du musée ! 

Catalogues

Donas. Archipenko & La Section d’Or, Hannibal Books, 352 pages, 59,50 euros

Magritte, La ligne de vie, Ludion éditions, 224 pages, 39,50 euros

(disponibles à la librairie-boutique du musée)

Infos pratiques :

Donas. Archipenko & La Section d’Or

Jusqu’au 11 janvier 2026 

Magritte, La ligne de vie

Jusqu’au 22 février 2026 

KMSKA Anvers

Tickets (link) 

https://kmska.be/en/homepage

Organiser votre venue :

https://www.eurostar.com/fr-fr/train

https://visit.antwerpen.be/fr

https://www.visitflanders.com/fr