Art Antwerp 2025 : Interview Gallery FIFTY ONE, Roger Szmulewicz, fondateur et directeur

Roger Szmulewicz ©️Charlie De Keersmaecker

Roger Szmulewicz, fondateur et directeur de Gallery FIFTY ONE (Anvers) participe à la 5ème édition d’Art Antwerp qui réunit  79 galeries en provenance de 11 pays. Ayant fait le choix du solo show avec Katrien De Blauwer, « photographe sans camera », il revient sur les atouts de cette foire unique en Europe au sein de la scène anversoise si dynamique. Artiste et photographe lui-même, Roger qui a collaboré avec Panamarenko avant de devenir galeriste, sans trop y réfléchir, s’étonne d’être toujours là, non sans un certain humour et une certaine fierté sur le chemin parcouru. La galerie qui a fêté ses 25 ans en 2024, est devenue prescriptrice autour de représentants majeurs de la photographie belges et internationaux tels que Saul Leiter, Harry Gruyaert, Vivan Maier, William Klein, Malick Sidibé et leurs héritiers : Bruno V .Roels, Stig De Block, Katrien De Blauwer…Roger revient sur la vision qui l’anime et les artistes qu’il défend et réagit face aux évolutions du secteur et du marché. De retour de Paris Photo, sa meilleure foire, comme il le déclare, le bilan s’est révélé très positif malgré un ralentissement général dont il nous décrypte les ressorts. Roger a répondu à mes questions. 

Katrien De Blauwer Blue Bruises (91), 27.02.2025, courtesy de l’artiste, Gallery Fifty One

Vous avez fêté les 25 ans de la galerie en 2024. Quel regard portez-vous sur ces années ?

On ne réalise pas que le temps passe si vite ! C’est surtout cela qui m’interpelle, et je me rends compte, à la faveur de votre question, que tout va aujourd’hui à une vitesse incroyable. J’ai repensé au début de cette aventure en me disant : c’est incroyable d’avoir tenu si longtemps ! Ou peut-être pas.

En tout cas, lorsque j’ai commencé en 1999,  et même quelques années auparavant, en tant que consultant en privé, très jeune,  je ne savais honnêtement pas où j’allais ni ce que j’allais faire. J’ai eu la chance de rencontrer quelques photographes et, étant moi-même photographe à l’origine, l’art m’intéressait profondément. Il y avait, je pense, en moi une envie secrète de devenir artiste, et je menais les deux activités de front.

À partir du moment où j’ai réalisé qu’il n’existait quasiment rien pour la photographie en Belgique, un pays pourtant doté d’une véritable scène photographique, j’ai très naïvement commencé à représenter quelques photographes, d’abord en privé. Puis, à un certain moment, j’ai décidé de poursuivre, de franchir le pas : ouvrir une galerie, alors même que je n’avais aucune expérience en la matière. C’était un peu comme partir au combat. Heureusement que je n’avais pas encore pleinement conscience des défis et des exigences que cela implique ; sinon, je ne l’aurais probablement pas fait.

J’ai commencé avec rien, et je crois que c’était finalement la meilleure façon de faire. Au bout d’un an, on m’a dit : vous allez voir, c’est très compliqué… Et pourtant, chaque fin d’année, vous êtes toujours là, en train de vous demander comment continuer à faire durer cette aventure.

Honnêtement, je me retourne rarement vers le passé, même si ce sont précisément dans ces moments-là que l’on peut ressentir une certaine joie et une certaine fierté.

Katrien De Blauwer, Blue Bruises (42), 01.03.2025 courtesy de l’artiste, Gallery Fifty One

Et qu’est-ce qui fait, selon vous, la clé du succès, le fait que ça dure ?

Je ne sais pas si c’est à moi de le dire… Mais je dirais, en premier lieu : le travail. Faire les bons choix, garder une bonne réputation, et un peu de chance aussi. C’est tout un ensemble de choses.

Vue de l’exposition Bruno V. Roels, Artificial Paradise, courtesy de l’artiste, Gallery Fifty One

Vous avez deux espaces. C’est bien ça ? et pour quelles raisons ? 

Oui, tout à fait, et dans la même rue.

Ce qui s’est passé, c’est qu’au moment de l’ouverture de la galerie, son nom original était Fifty One Fine Art Photography. Après quelques années, j’ai réalisé que c’était beaucoup trop long et que tout le monde, y compris la presse, l’orthographiait mal. J’ai donc retiré Fine Art Photography. C’est ainsi qu’est resté Gallery FIFTY ONE

Au départ, je souhaitais vraiment mettre l’accent sur la photographie, car il n’existait aucun autre espace en Belgique consacré au médium , mis à part le Musée de la Photographie d’Anvers et celui de Charleroi. À l’exception de quelques tentatives dans les années 70 et 80, jamais très durables, il n’y avait pas de galeries dédiées à la photographie. Lorsque j’ai commencé, j’étais la seule galerie photo en Belgique, ce que je regrettais d’ailleurs, même si l’idée n’a jamais été pour moi de tomber dans une hyper-spécialisation, qui peut devenir problématique. Mon intérêt va bien au-delà de la photographie. 

Le second espace n’avait donc pas pour vocation d’être exclusivement consacré à la photo. J’avais déjà ouvert mon programme au dessin et au collage. C’était avant tout une opportunité qui s’est présentée dans un périmètre très proche, et tout s’est imbriqué naturellement, comme un puzzle.

Pour résumer, nous sommes une galerie spécialisée dans les œuvres sur papier, ce qui inclut la photographie. Nous avons effectivement une grande expertise dans le médium photographique.

Pour aller vers Art Antwerp : cela fait combien de temps que vous participez ?

Nous avons manqué un an, donc c’est la quatrième année pour nous.

Vous proposez pour 2025 un solo show de Katrien De Blauwer : pourquoi ce choix qui présente des risques mais offre au regardeur une vision en profondeur du travail d’un artiste ? 

C’est une artiste que nous représentons depuis très longtemps.
Vous formulez d’ailleurs vous-même une partie de la réponse dans votre question. Depuis 25 ans, j’ai participé à un grand nombre de foires , entre New York, Londres, Venise, Cologne… La question de ce que l’on peut ou veut montrer reste toujours complexe.

Le choix des artistes dépend de plusieurs facteurs : les avons-nous exposés durant l’année ? Y a-t-il une actualité autour de leur travail ? De nouvelles œuvres ? Pour les foires plus petites comme Art Antwerp, je me permets de proposer des solo shows. Comme vous le soulignez, c’est beaucoup plus intéressant pour le public, qui peut ainsi s’immerger dans tout un univers. Pour moi, l’idée est également de proposer une scénographie véritablement liée à la pratique de l’artiste.

Concernant Katrien, nous avions présenté son dernier solo à la galerie en 2023 ; cela faisait presque deux ans que nous ne l’avions pas exposée, hormis dans des expositions collectives ou à d’autres foires en dehors de la Belgique, comme Paris Photo. C’était donc le bon moment : un nouveau travail, un nouveau livre que nous publions, et qui sera disponible pendant la foire.

Vue de l’exposition Bruno V. Roels, Artificial Paradise courtesy de l’artiste, Gallery Fifty One

Qu’est-ce qui rend cette foire si attirante et singulière selon vous ?

Chaque foire a sa propre identité, en fonction de la ville où elle se déroule et du moment de l’année auquel elle a lieu. Art Antwerp a eu la chance de pouvoir se tenir pendant la Covid, en 2020, à un moment où aucune autre foire n’était possible. C’était le seul créneau disponible : il n’y avait ni Art Brussels ni Paris Photo… Ils ont réussi à organiser cette édition en décembre, et tout le monde était très enthousiaste de pouvoir y participer. Il y avait un véritable élan. Nous y avons pris part et l’expérience a été très positive.

Les organisateurs ont constaté un intérêt fort et une réception très positive pour ce type de foire à taille humaine, et ils ont donc poursuivi les éditions les années suivantes.

Pour nous, je ne vous cache pas que la période est compliquée : elle arrive juste après Paris Photo et coïncide souvent avec l’ouverture d’une nouvelle exposition à la galerie. Cela crée une fin d’année très chargée. Mais nous y participons parce que, d’une part, nous jouons à domicile, et d’autre part parce que c’est une foire très agréable par sa localisation.

Si je compare avec Paris Photo, qui attire près de 80 000 visiteurs, à Anvers il y en aura entre 15 000 et 20 000, avec des allées larges et spacieuses où l’on respire. En termes de public, nous sommes en Belgique, avec beaucoup de collectionneurs, d’acheteurs et d’amateurs éclairés. À Anvers, il existe un certain dynamisme, différent de celui de Paris ou de Londres. Souvent, c’est la ville elle-même qui déclenche la visite : à Anvers, nous avons une excellente gastronomie, une scène de mode très vivante, et des hôtels branchés…:)

Il faut évidemment souligner le rôle joué par l’organisation d’Art Antwerp. Toute foire ne réussirait pas nécessairement à Anvers. Les organisateurs de cette foire ont une véritable expérience et expertise. Ils ont réussi à créer un rendez-vous chaleureux et agréable, dans des conditions privilégiées, à un moment de l’année , juste avant Noël ,où chacun s’apprête à prendre quelques jours de congé. Tout ce contexte contribue à créer une atmosphère très singulière.

Stig De Block, Shadow Play, Compton, CA ,USA, 2018 courtesy de l’artiste, Gallery Fifty One

Pour revenir à Paris photo, vous avez notamment exposé Stig De Block qui été un vrai coup de cœur pour moi : quel bilan dans un contexte de ralentissement général du marché ? 

Comme pour beaucoup de gens d’ailleurs ! 

Ce ralentissement, je l’ai senti avant Paris Photo.
Depuis le mois de mars, il y a eu un ralentissement à un niveau mondial d’ailleurs. Je parlais avec des collègues à New York et à Paris et tout le monde disait la même chose : les gens prennent beaucoup plus de temps pour se décider à acquérir une pièce. Ce n’est pas vraiment une question d’argent, mais plutôt une question d’envie. Le climat général est assez morose en ce moment, quand on voit ce qui se passe dans le monde. Je pense que cela joue beaucoup.

Cela dit, en ce qui concerne Paris Photo, nous avons ressenti un enthousiasme comme jamais, égal à celui des années précédentes.
Nous avons très bien vendu, comme d’habitude, car Paris Photo est notre meilleure foire. Tout le monde était au rendez-vous. Il y avait, je crois, plus de 200 musées présents. Nous avons vu tous nos collectionneurs étrangers. C’était presque “normal”. Ce qui était très réconfortant après tous ces mois de doute et d’attente.

Maintenant, la vraie question est de savoir si ce retour à la normale va durer, ou s’il ne s’agissait que d’une parenthèse.

Quelles évolutions avez-vous remarqué dans le secteur ces dernières années et notament la place grandissante de l’art contemporain ? 

L’évolution la plus frappante de ces dernières années est la manière dont la photographie a progressivement trouvé sa place au sein du champ de l’art contemporain. Pendant longtemps, elle a occupé une position périphérique : respectée, certes, mais rarement considérée comme un médium central. Aujourd’hui, ce paysage a changé.

Qu’est ce qui rend la photographie unique ? 

Ce qui rend la photographie unique, c’est moins l’évolution du médium lui-même que celle du regard que nous portons sur lui.
Depuis trente ans, le public s’est considérablement ouvert à la photographie. Lorsque j’ai commencé , bien avant d’ouvrir la galerie , il y avait très peu d’intérêt pour ce médium. Aujourd’hui, cet intérêt est plus large, plus profond, plus curieux. Cette transformation du regard est, à mes yeux, l’évolution la plus marquante.

La photographie, comme tout médium artistique, évolue techniquement : du tirage argentique aux procédés numériques, du noir et blanc classique aux explorations les plus expérimentales, jusqu’aux possibilités offertes aujourd’hui par l’intelligence artificielle. Mais sa véritable richesse tient à sa pluralité. Il existe mille manières de « faire » de la photographie, y compris sans appareil photo. L’exemple de Katrien De Blauwer est éclairant : elle ne prend aucune image, elle découpe, collecte et assemble ,  et pourtant son travail est profondément photographique. Cela montre combien le médium s’est ouvert, déplacé, métamorphosé.

Pourtant, malgré ces évolutions, l’essence de la photographie demeure intacte. Une photographie prise il y a cinquante ou soixante ans continue de toucher un public contemporain, continue de trouver du sens. C’est la marque des arts véritables : une forme de permanence, une capacité à traverser le temps.

C’est pour cela que je pense que la vraie question n’est pas tant de savoir comment la photographie évolue, mais comment nous l’accueillons et la comprenons. Peut-être atteindra-t-elle sa pleine reconnaissance le jour où l’on ne se posera plus la question de son évolution , une question que l’on ne pose presque jamais aux autres médiums.

Ce qui rend la photographie unique, au fond, c’est cette tension entre un médium en perpétuel mouvement et une émotion qui, elle, ne change jamais.

Qu’est ce qui rend la photographie unique ? 

Ce qui rend la photographie unique, c’est moins l’évolution du médium lui-même que celle du regard que nous portons sur lui.
Depuis trente ans, le public s’est considérablement ouvert à la photographie. Lorsque j’ai commencé , bien avant d’ouvrir la galerie, il y avait très peu d’intérêt pour ce médium. Aujourd’hui, cet intérêt est plus large, plus profond, plus curieux. Cette transformation du regard est, à mes yeux, l’évolution la plus marquante.

La photographie, comme tout médium artistique, évolue techniquement : du tirage argentique aux procédés numériques, du noir et blanc classique aux explorations les plus expérimentales, jusqu’aux possibilités offertes aujourd’hui par l’intelligence artificielle. Mais sa véritable richesse tient à sa pluralité. Il existe mille manières de « faire » de la photographie, y compris sans appareil photo. L’exemple de Katrien De Blauwer est éclairant : elle ne prend aucune image, elle découpe, collecte et assemble ,  et pourtant son travail est profondément photographique. Cela montre combien le médium s’est ouvert, déplacé, métamorphosé.

Pourtant, malgré ces évolutions, l’essence de la photographie demeure intacte. Une photographie prise il y a cinquante ou soixante ans continue de toucher un public contemporain, continue de trouver du sens. C’est la marque des arts véritables : une forme de permanence, une capacité à traverser le temps.

C’est pour cela que je pense que la vraie question n’est pas tant de savoir comment la photographie évolue, mais comment nous l’accueillons et la comprenons. Peut-être atteindra-t-elle sa pleine reconnaissance le jour où l’on ne se posera plus la question de son évolution , une question que l’on ne pose presque jamais aux autres médiums.

Ce qui rend la photographie unique, au fond, c’est cette tension entre un médium en perpétuel mouvement et une émotion qui, elle, ne change jamais.

Qu’est-ce qui fait la différence selon vous et comment décidez-vous de faire entrer un photographe dans la galerie ? 

Je fonctionne à partir de mon goût, étant le fondateur de la galerie. C’est volontairement subjectif et assumé comme tel. En réalité, je recherche plusieurs choses. D’une part, j’observe si ce que je trouve intéressant aujourd’hui peut évoluer dans le temps, notamment chez les jeunes artistes. Il y a une nécessité de projection, puisque je travaille avec des artistes sur le long terme. Je ne cherche pas du one shot.

J’essaie de comprendre leur démarche, et avant de représenter un photographe à la galerie, il s’écoule généralement un ou deux ans. Nous avons de nombreux échanges, de fréquentes rencontres. Si l’on prend Bruno Roels ou Stig De Block, par exemple : lorsque je les ai vus pour la première fois, j’ai immédiatement senti que c’étaient des personnes intelligentes, qui savaient où elles allaient. C’est très important pour moi.

Ensuite, j’examine aussi la manière dont leur travail pourrait dialoguer avec celui des autres artistes de la galerie, s’il peut “matcher”, comme on dit, avec le programme général.

À priori, c’est toujours une histoire de coups de cœur mais des coups de cœur qui doivent s’inscrire dans l’histoire de la photographie et dans la ligne que je défends. J’aimerais que les personnes qui découvrent les artistes de la galerie perçoivent une cohérence, une continuité dans notre vision.

Maintenant, dernière question, vous avez un peu déjà répondu :  à partir de quel moment avez-vous souhaité devenir galeriste ? 

En réalite, je n’ai jamais décidé.

Ce n’était pas un plan, ni même une volonté affirmée. J’ai fait l’école d’art, j’étais photographe, et j’ai travaillé avec certains artistes comme Panamarenko à la fin de mes études. La photographie m’intéressait profondément. J’ai rencontré des artistes, voyagé, tout en menant des recherches pour comprendre comment fonctionnait le marché, qui en étaient les acteurs principaux… Et cela m’a plu.

J’ai commencé à travailler deux ou trois ans sans galerie, mais j’ai vite réalisé que, pour évoluer, il me fallait un lieu pour exposer. À l’époque, la photographie n’était pas populaire : il fallait un espace pour montrer les œuvres, éduquer le public, créer un contexte.

Ce n’était pas une décision facile à prendre, mais je me suis lancé.
Et aujourd’hui, près de trente ans plus tard l’aventure continue.

Infos pratiques :

Art Antwerp

du 11 au 14 décembre 

Billets lien ICI 

Plein Tarif : 20 euros 

Opening Day : 120 euros 

Jours d’ouverture :

Vernissage 
Thursday 11 December 2025
Preview | 11am – 4pm
Vernissage | 4pm – 9pm

Journées Public  | 11am – 7pm
Friday 12 December 2025
Saturday 13 December 2025
Sunday 14 December 2025

Actuellement à la galerie :

Bruno V. Roels

Artificial Paradise

Jusqu’au 21 février 2026 

Fifty One Too

Fifty One + Fifity One Too

https://www.gallery51.com