30ème Biennale d’Issy : Interview Laure Malherbe, commissaire invitée 

Florian Jayet, Série Les bateaux voguent dans le ciel d’autrefois 2025 courtesy de l’artiste

A l’occasion des 30 ans de la Biennale d’Issy, Sophie Deschamps, présidente Anne Malherbe, critique d’art et commissaire ont conçu une narration autour de l’eau, matière plastique et symbolique, résolument « intranquille ». La soixantaine d’artistes réunis, émergents ou plus confirmés se saisit de cette surface de projection et d’expérimentation autour de questionnements et mediums multiples. Anne Malherbe nous décrypte la méthodologie, les processus et critères de sélection, le parcours qui se dessine dans le musée de la carte à jouer et au-delà. Parmi les révélations : l’œuvre d’Esmeralda Kosmatopoulos sur le destin des migrants de l’île de Lesbos, le projet de Guillaume Barth (affiche de la Biennale) réalisé avec les communautés Aymaras du grand désert de sel de Bolivie, les cartographies d’Elsa Guillaume à la Station Biologique de Roscoff, les détournements de fluides de Dewar et Gicquel, les monochromes immersif de Nicolas Floc’h… entre autres surgissements. Anne Malherbe a répondu à mes questions. 

Guillaume Barth, Elina, 2015, photographie de la sculpture en sel et eau 300 cm de diamètre, Bolivie, projet Elina, 2013-2015 © Guillaume Barth

Comment avez-vous construit cette proposition avec Sophie Deschamps ? 

L’idée de la Biennale d’Issy est de proposer aux artistes un thème qui puisse être abordé par toutes sortes de médiums et à partir de points de vue différents. Le thème de l’eau est à la fois intemporel, il appartient pleinement à l’histoire de l’art, mais c’est aussi évidemment un thème d’actualité. Parler de « l’eau intranquille », c’était une façon de mettre l’accent sur la multiplicité de ce thème, sur ses ambivalences, loin de l’image lisse, de carte postale, qu’on pourrait en avoir.

Marlon Wobst, Purple Sea 2024 courtesy de l’artiste & galerie Maria Lund

Comment les artistes s’emparent-ils du thème de l’eau ? 

Il n’y a pas deux œuvres similaires, en dépit du fait que nous avons cinquante-huit artistes au total. Certains artistes utilisent l’eau comme moyen technique, d’autres cherchent à en capter l’essence, les reflets. Chez beaucoup, l’eau est l’élément central dans une réflexion plus vaste sur les drames des embarcations de migrants et les problématiques écologiques : fonte des glaciers, désertification, pollution, surexploitation de sites naturels, etc. L’eau est aussi souvent envisagée de façon symbolique : elle représente le flux du temps, le passage des civilisations, la mémoire. Et puis, parfois, l’eau est tout simplement une source de bien-être et de sensations, mais aussi de rêves et d’imaginaire. C’est enfin une réalité géographique. 

Renaud Auguste-Dormeuil, When the paper…, 2013, technique mixte © Martin Argyroglo, Courtesy l’artiste & Galerie In Situ-fabienne leclerc, Grand Paris

Quels sont les critères de sélection des artistes ?

La sélection se fait par deux voies différentes. Il y a d’abord l’appel à candidature. Les artistes qui le souhaitent envoient un dossier qui présente une sélection de leurs travaux, en lien avec le thème. Un jury se réunit pour choisir les lauréats. Il se compose d’artistes, de galeristes, d’institutionnels et de l’équipe de la Biennale. Le critère essentiel est la pertinence du dossier par rapport au thème, tout comme la qualité du travail. Les critères d’âge ou de notoriété n’entrent absolument pas en compte. A ce titre, la Biennale est extrêmement variée, comme on peut le constater. Les différents membres du jury notent chacun des dossiers en fonction de leur sensibilité propre. Le classement final est fondé sur celui des notes. 

Ensuite, Sophie Deschamps et moi-même, accompagnées d’Anita Pacquement de Cassin, conseillère artistique de la Biennale, complétons la sélection en invitant des artistes qui enrichissent les grands axes thématiques déjà envisagés par la sélection du jury. Nous faisons en sorte d’inviter quelques artistes dont la notoriété puisse rejaillir sur des artistes moins connus. Il nous importe aussi que des médiums variés soient représentés. Et que la thématique soit abordée avec suffisamment de diversité. 

Alice Gauthier, Oceano Nox IV, 2024 courtesy de l’artiste & Dilecta

Des rebonds visuels et formels se dessinent : comment la scénographie a-t-elle été pensée ? 

La variété des propositions et le grand nombre d’artistes ne rend pas la chose aisée. Nous ne construisons pas la Biennale comme nous le ferions avec une exposition dont nous maîtriserions l’intégralité du corpus. Ici, le fait qu’une grande partie des œuvres soit sélectionnée sur dossier nous oblige à composer avec ce que nous avons. Nous ne pouvons, par exemple, créer de salles thématiques, d’autant que les espaces d’exposition (qui se trouvent en partie dans les collections permanentes du musée) ne nous le permettent pas. Tout tient donc dans l’art du dialogue entre les œuvres. Nous veillons aux harmonies de formes et de couleurs, au rythme de l’accrochage, aux échos thématiques. A la fin, nous parvenons à un équilibre qui paraissait impossible au départ. Heureusement, nous bénéficions des conseils précieux de notre scénographe, Didier Genty. 

Esmeralda Kosmatopoulos, Tout ce qui brille n’est pas de l’or, 2019 caoutchouc feuille d’or © Esmeralda Kosmatopoulos

Parmi les grandes installations, celle d’Esmeralda Kosmatopoulos se détache ? Qu’est ce qui est en jeu ? 

Esmeralda Kosmatopoulos (qui fait partie de la sélection du jury) présente ici les débris d’un zodiaque qu’elle a ramassés sur les côtes de l’île de Lesbos. Ce sont ceux d’une embarcation de migrants. La feuille d’or dont elle les a recouverts symbolise l’espoir fou qui a conduit ces personnes à travers les mers, au péril de leur vie. Elle les a présentés sur un banc de sable, tels qu’elle les a trouvés.

Quelles ont été vos surprises à l’occasion de cette exposition ?

Les dossiers que nous recevons sont toujours une surprise. Nous découvrons de nombreux artistes extrêmement intéressants, ce qui constitue sans doute l’un des grands plaisirs de la Biennale, et nous nous réjouissons aussi de voir que des artistes déjà reconnus postulent au même titre que d’autres moins exposés. Nous avons eu aussi la joie d’associer à notre jury la Fondation François Schneider, qui a découvert et choisi des talents, sur une thématique qu’elle connaît bien. L’autre bonne surprise a été l’engagement des galeries à nos côtés. Enfin nous sommes ravies de l’implication d’artistes de renom, tel Barthélémy Toguo qui a réalisé une œuvre spécifiquement pour la Biennale et qui n’hésite pas à proposer une masterclass à des enfants des écoles de la ville d’Issy.

Adrien Belgrand, Félicité 2025 courtesy de l’artiste

Liste des artistes invités :

ARNOLD Florence (installation) I ASSOU Kossi (textile) I AUBIGNAC Brigitte (peinture) IAUGUSTE-DORMEUIL Renaud (installation) I BARTH Guillaume (sculpture) I BAZIGNAN Pauline (peinture) I BELGRAND Adrien (peinture) I BERTRAND Amélie (peinture) IBORDARIAS Ulysse (peinture) I BORDE Claire (peinture) I BRISSE Joël (peinture) I BRUNET Thibault (sculpture) I COMBAS Robert (peinture) I DABRIOU Daniel (photographie) I DEWAR & GICQUEL (sculpture) I DI ROSA Hervé (peinture) I DURAND Philippe (photographie) I FLOC’H Nicolas (photographie) I GAUTHIER Alice (dessin) I GUILLAUME Elsa (dessin) I GUIRAN Stéphane & KOT Katarzina (photographie & sculpture) I HACHEME Philippe (peinture) I LECCIA Ange (vidéo) I LEJEUNE Pierre-Marien (sculpture) I LESTIBOUDOIS Mathilde (peinture) I LI XIN (peinture) I PAHLAVI Axel (peinture) I REBOTIER Clarisse(photographie) I TADZIO (photographie) I TOGUO Barthélémy (dessin) I WEINTZEM Romain (sculpture) I WOBST Marlon (textile & sculpture).

Liste des artistes sélectionnés par le jury :

ANGELOTTI Mariano (peinture) I BARDOUX César (peinture) I BLONDEAU Bénédicte (photographie) I BOURCIER Charline (dessin) I BUSARELLO Daniela (dessin) I CHALET Claire (peinture) I DE CHIARA Coraline (peinture) I DEMERY Roxane (sculpture) I DENET Sylvie (vidéo) I DUTOUR Benoit (installation) I ESCOBAR Cristina (installation) I FORSTNER Gregory (peinture) I GALLAND Cécile (dessin) I HARTLEY Rouge (peinture) I HATT Cyril(photographie) I JAIME CORTEZ Natalia (sculpture) I JAYET Florian (photographie) IJOURDAIN Aurélie (dessin) I KOSMATOPOULOS Esmeralda (installation) I LANGLOIS Hélène (photographie) I MULLER Tanguy (photographie) I PAPLEKA Orion (peinture) IPASCAL Marianne (peinture) I RIDETI Fab (photographie) I TACHDJIAN Raphaël (dessin) I VILLAND Halveig (vidéo).

Infos pratiques :

Biennale d’Issy 2025 l’Eau intranquille

Jusqu’au 9 novembre 

Musée français de la carte à jouer & hors-les-murs

16, rue Auguste Gervais, 92130 Issy Les Moulineaux 

Entrée : 6€ I 4,50€ I 3€ 

Programmation associée

https://www.biennaledissy.com