Nouveau chapitre pour les 15 ans de 22,48 m² : Interview Rosario Caltabiano 

Vue de l’exposition XV, courtesy 22,48 m²

A l’occasion de la semaine de l’art, cap sur KOMUNUMA à Romainville autour des 15 ans de la galerie 22,48 qui investit un nouvel espace au sein de cet écosystème unique (Fiminco, Frac Île-de-France, galeries…) offrant plus de potentiel. Rosario Caltabiano, fondateur de 22,48 m² (sa taille de départ à Belleville), nous décrit ce que représente cet élargissement des possibles et l’articulation pensée pour les différentes salles avec au cœur du réacteur le STUDIO, capsule temporelle de la galerie et laboratoire, entre son histoire et sa projection dans l’avenir au sein même de l’écosystème KOMUNUMA entre régime de production et espace de diffusion. L’exposition rétrospective XV propose une réflexion sur l’univers de la fête et ce qu’il véhicule entre réjouissance, célébration, excès et possible désenchantement. Chacun des artistes de la galerie : Pauline Bastard, Cécile Beau, Jérôme Boccia, Alix Boillot, Nicolas Boulard, Émilie Brout & Maxime Marion, Jean-Baptiste Caron, Paola Ciarska, Caroline Delieutraz, Marco Emmanuele, Ellande Jaureguiberry, Claudia Larcher, Jonathan Monaghan, Liddy Scheffknecht et Mayura Torii apporte une réponse autour de variantes aussi variées que l’album de famille, les augures, le festin, les masques et les rituels, le tumulte, la danse…Rosario revient sur les fondamentaux du métier de galeriste, son rôle, son évolution, la place des foires. Plus qu’une ligne qui se dégage, il s’agit selon lui d’une cohérence qui relie les différentes actions d’une galerie et èn fait la singularité, en prise avec la création en train de se faire, KOMUNUMA étant inscrit dans le vaste pôle culturel impulsé par la Fondation Fiminco entre art contemporain et spectacle vivant. Prochainement la galerie proposera un solo show de Vincent Mauger avec en parallèle un focus sur Etienne François (le studio). 

Rosario Caltabiano crédit François Doury

Vous fêtez les 15 ans de la galerie avec l’inauguration d’un nouvel espace à Komunuma : quels adjectifs vous viennent à l’esprit de façon spontanée en pensant à toutes ces années ?

Je dirais : travail, passion, persévérance et amour. Ce sont vraiment les mots qui résument ces quinze années. Le travail, parce qu’une galerie se construit jour après jour, souvent dans l’ombre, avec beaucoup d’engagement. La passion, parce que sans elle, rien ne tiendrait — c’est ce qui donne le rythme, ce qui pousse à continuer, à croire aux artistes et à leurs œuvres. La persévérance, parce qu’il y a forcément des moments plus durs, des remises en question, mais aussi cette volonté d’avancer malgré tout. Et enfin, l’amour — pour l’art, pour les artistes, pour le public, et pour tout ce qui relie ces mondes. C’est ce fil-là qui traverse tout.

Vue de l’exposition XV, courtesy 22,48 m²

Comment allez-vous organiser le nouvel espace de la galerie ?

Le nouvel espace, plus vaste que le précédent, nous offre une vraie liberté : celle de pouvoir mener des projets très variés, de nature et de formats différents. Nous l’avons pensé comme un lieu modulable, avec plusieurs typologies de salles qui répondent chacune à des usages spécifiques.

Il y a d’abord une grande salle, très lumineuse, en vitrine — un espace d’ouverture, de visibilité, presque d’accueil. Puis une salle plus exiguë, idéale pour les petits formats ou les propositions plus intimes. Enfin, une pièce sans lumière naturelle, que nous pourrons utiliser pour des projets nécessitant le noir, comme des projections ou des installations immersives.

Ce dernier espace, nous l’avons baptisé le STUDIO. Il est aménagé au cœur même de la galerie et pensé comme un geste symbolique, une mise en abyme de l’histoire du lieu. Sa surface — précisément 22,48 m² — reproduit fidèlement celle du tout premier espace de la galerie à Belleville, ouvert il y a quinze ans.

Le STUDIO agit comme une capsule temporelle et un laboratoire : un espace de réflexion sur l’identité et l’évolution de la galerie. À la fois hommage aux débuts et projection vers l’avenir, il restera en place pendant un an. Durant cette période, il accueillera une programmation parallèle — expositions, résidences, expérimentations — qui viendra dialoguer avec la programmation principale, ouvrant ainsi un nouvel espace de liberté, d’intimité et d’exploration artistique.

Ce nouvel espace a également l’avantage de se trouver au milieu de la cour du quartier culturel intégrant le projet collectif KOMUNUMA, aux côtés d’autres belles galeries et structures artistiques, accueillant aussi les Réserves du FRAC Île-de-France, la Fondation Fiminco et des résidences artistiques, dans un écosystème dédié à l’art contemporain et au spectacle vivant.

Cette organisation reflète notre envie d’un lieu vivant, évolutif, à l’image de la création contemporaine.

Nicolas Boulard, Nuancier – Rose et Safran, 2025 courtesy de l’artiste et 22,48 m²

Votre ligne a-t-elle évolué depuis vos débuts à Belleville ?

Je crois que oui, mais je n’ai pas encore assez de recul pour le dire avec certitude ! Peut-être il me faudra encore 15 ans pour répondre plus clairement ? Certains des artistes que nous représentons sont avec nous depuis le tout début de la galerie, et d’autres nous ont quitté pour des raisons très variées. Avec chacun d’entre eux, j’ai un vrai sentiment de gratitude pour la confiance qu’ils nous ont accordée et pour leur volonté de collaborer.

Je dirais que la ligne de la galerie ne se lit pas forcément dans l’apparence très diverse des œuvres que nous montrons, mais plutôt dans les propos et les recherches des artistes derrière chaque création. Toutes ces œuvres, à leur manière, explorent notre monde actuel et les nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Nos projets cherchent à nous questionner sur notre vie d’aujourd’hui, sur ce que signifie vivre et créer dans le contexte contemporain. C’est cette cohérence, subtile mais essentielle, qui guide la galerie depuis ses débuts et qui continue de définir sa singularité.

Cécile Beau, After Party, 2025 courtesy de l’artiste et 22,48 m²

Quelle place les foires tiennent-elles dans votre programmation ?

J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les foires jouent un peu sur le registre du spectaculaire : il s’agit souvent d’organiser l’événement le plus grandiose possible pour attirer l’attention dd’un nombre considérable de visiteurs. Tout cela peut aller au détriment de lieux plus discrets, comme peut l’être une galerie, où l’on peut montrer l’art de manière plus simple, intime et authentique.

Je crois que le public est surtout attiré par ces grands événements qui semblent incontournables, le “place to be” du moment. Personnellement, j’adore rencontrer les visiteurs que l’on peut croiser sur un stand de foire, ces échanges sont toujours précieux. Mais je regrette qu’ils ne se déplacent pas forcément jusqu’à la galerie pour découvrir nos projets, que je trouve plus riches et plus exhaustifs que ce que l’on peut montrer sur un stand.

Pour nous, les foires restent un outil important pour créer des rencontres et donner de la visibilité aux artistes, mais elles ne remplacent jamais le temps et l’attention que l’on peut offrir dans un espace de galerie, où l’art peut se déployer pleinement et se raconter dans toutes ses nuances.

Vue de l’exposition XV, courtesy 22,48 m²

Quelles évolutions du marché et du métier de galeriste avez-vous remarqué depuis le départ de la galerie ?

C’est difficile de se projeter dans l’avenir, et on se préoccupe surtout de survivre dans un contexte qui change très vite. Le métier de galeriste a énormément évolué ces dernières années. Malheureusement, je pense qu’aujourd’hui, la passion, le goût, le bon œil et l’envie de partager ne suffisent plus.

Pour garder la tête hors de l’eau dans un marché de plus en plus compétitif et mouvant, il faut aussi des compétences commerciales solides, une capacité à gérer la galerie comme une entreprise, à comprendre le marché et à s’adapter rapidement aux nouvelles tendances et attentes. Cela transforme profondément le rôle de galeriste : il ne s’agit plus seulement d’accompagner les artistes et de montrer des œuvres, mais aussi de naviguer dans un système complexe, où visibilité, communication et stratégie deviennent aussi essentielles que le projet artistique lui-même.

Vincent Mauger, Logique systémique, (detail) 2025, courtesy l’artiste, 22,48 m²

Quels sont les points communs ou les différences entre les scènes artistiques françaises et italiennes, étant donné que vous êtes italien ?

J’ai toujours remarqué une différence entre la jeune création italienne et française, qui tient sûrement à l’histoire différente de l’art dans chacun des pays, malgré la proximité et les influences réciproques depuis des siècles.

Par exemple, certains mouvements comme l’Arte Povera en Italie continuent à marquer profondément la jeune création italienne : il y a un intérêt pour les matériaux bruts, la mémoire historique et la dimension conceptuelle des œuvres. En France, la jeune création me semble souvent plus centrée sur la réflexion sociale et politique contemporaine, sur les questions d’identité, de territoire et de corps, avec un lien fort à la scène institutionnelle et à la critique.

Malgré ces différences, il y a aussi des points communs : dans les deux pays, les jeunes artistes cherchent à questionner notre monde, à expérimenter et à inventer de nouveaux langages, et les galeries jouent un rôle crucial pour les soutenir et les faire connaître, même si les modes et les sensibilités diffèrent.

Etienne François, Airbag 2025, courtesy de l’artiste, 22,48 m²

Comment voyez-vous 22,48 m² dans les 15 prochaines années ?

Je vois avant tout de l’espoir. J’espère que la galerie pourra continuer à se développer comme un lieu et une référence culturelle, capable d’accompagner les artistes et de proposer des projets qui font sens.

Je souhaite également que 22,48 m² reste ouverte au changement, qu’elle sache s’adapter à l’évolution du monde de l’art tout en trouvant, d’une manière ou d’une autre, la liberté de montrer des projets qui nous passionnent. Cette liberté — pour nous comme pour les artistes — est ce qui rend le travail de galeriste vivant et stimulant, et ce qui permet à un lieu de rester authentique et singulier au fil des années. 

Si c’est difficile de se projeter dans les prochaines quinze années, on peut en tout cas se projeter plus clairement dans 15 jours lors de nos nouvelles expositions : Vincent Mauger, Structures et décadences, exposition personnelle et Étienne François, Natures fragmentées, exposition personnelle au Studio. Vernissage dimanche 9 novembre de 15h à 19h avec les autres galeries. 

Vous êtes d’ores et déjà tous et toutes invité.e.s !

Infos pratiques :

Exposition collective XV

jusqu’au 25/10/2025

à venir :

Vincent Mauger, Structures et décadences

Etienne François, Natures fragmentées

vernissage le 9/11

22, 48 m²

43 rue de la Commune de Paris / KOMUNUMA, 93230 Romainville

https://www.2248m2.com/shows