Rencontre Salomé Fau, curatrice le Houloc et Art émergence/ Artagon 

Vue de l’exposition « Nymphs Just Wanna Have Fun » le Houloc 2025 photo MdF

Salomé Fau à l’occasion de la dernière exposition du Houloc à Aubervilliers imagine « Nymphs Just Wanna Have Fun » à partir de l’univers de la série Charmed autour de rituels collectifs et de la mémoire d’un lieu après 9 ans d’occupation. Elle est aussi co-commissaire de l’exposition « Double Trouble » aux côtés d’Alexis Hardy et Temitayo Olalekan, qui réunit 42 artistes diplomé.es d’écoles d’art et de design françaises pour Art émergence par Artagon. Elle revient sur les rôles de curatrice et du commissaire, une nuance importante selon elle face à la précarité et à l’invisibilisation d’une partie de l’activité. Salomé a lancé le podcast GLOSE qui réunit des duos de curateur⸱ices et d’artistes et s’apprête à lancer une nouvelle saison. Elle a répondu à mes questions tandis que Célia Coëtte, artiste du Houloc, nous présente son installation. 

Salomé Fau, « Nymphs Just Wanna Have Fun » le Houloc 2025 photo MdF

Comment êtes-vous partie de la série Charmed pour cette proposition au Houloc ?

C’est une série générationnelle qui dégage toute une atmosphère, une esthétique… correspondant selon moi à l’arrivée dans le Houloc, la végétation extérieure et cette idée de source, en lien avec l’épisode 19 de la saison 5 intitulé « Nymphs Just Wanna Have Fun » qui a donné son titre à l’exposition. Lors de cet épisode, des nymphes apparaissent et les sœurs Halliwell doivent les aider à sauver la source éternelle. J’aimais bien cette métaphore que le Houloc devienne cette source avec la spatialisation sonore de Rodolphe Macabéo et le travail de la scénographe Amalia Jaulin qui vient rappeler cette fluidité avec les plexiglas disposés un peu partout dans le parcours. Une esthétique assez identifiée qui me permettait de réunir 27 pratiques ce qui reste toujours une gageure.

Quelle méthodologie d’ensemble ? 

Mon parti pris est d’aller chercher une thématique large et esthétiquement forte pour réussir à créer toute une atmosphère autour. Je conçois les expositions de façon immersive et sensorielle et de façon globale entre les œuvres, le son, la texture… L’idée était aussi de souligner la précarité de lieux comme le Houloc qui doivent tout le temps bouger dans une sorte de contradiction entre la source éternelle et en même temps transitoire, le collectif restant lui, éternel, l’exposition réunissant des mémoires et des vies collectives depuis 9 ans.  J’ai invité 6 artistes en dehors du collectif : Amalia Jaulin, scénographe déjà citée mais aussi Rodolphe Macabéo autour du son, Chloé Sassi, Léa de Cacqueray, Sidonie Ronfard, Lucas Tortolano qui travaillent autour de la question du collectif, de l’amitié, du rapport à la source magique, au rituel, à la joie, à la croyance qui est celle de la série aussi. Créer un espace qui réunissait la totalité de ces pratiques et faire vivre une expérience, fêter et célébrer cette dernière exposition. Je travaille beaucoup à partir de moadboard, d’images plus que par l’écrit.

Vue de l’exposition « Nymphs Just Wanna Have Fun » le Houloc 2025 photo MdF

Comment avez-vous envisagé la scénographie ?

Cela s’est fait assez instinctivement avec Amalia en essayant d’imaginer des liens même si je pense les expositions comme des déambulations libres et non pas de façon fragmentée ou chapitrée à partir de formes esthétiques comme ces miroirs. Comment chaque pratique pouvait interagir avec les autres et se réunir entre elles, se soulever, s’entraider. 

En quoi l’installation de Lea de Cacqueray en début du parcours donne t-elle l’atmosphère de ce qui va suivre ?

Elle est centrale et donne le ton à l’exposition. Dans une sorte de fontaine, une prédiction apparait au contact de la main du visiteur. Les prédictions sont à chaque fois différentes. Un geste de rituel qui rappelle les bénitiers des églises qui nous accompagne et nous fait entrer dans un espace plus sacré. 

Célia Coëtte, voulez-vous nous présenter l’installation ? 

Célia est une artiste du Houloc. 

Ces pièces s’appellent les cathédrales, comme des jambes en métal hissées sur ces pointes en équilibre, sur lesquelles sont greffées des parties de corps (pied, ventre, dos) qui tentent de s’élever. Ce qui m’intéressait était de parler de la notion de performance au sens capitalistique dans une tentative de défier ses capacités, d’aller toujours plus loin, plus vite, faire davantage. J’utilise pour cela le langage de la danse et du corps pour dire en quoi cette fuite en avant casse le corps. L’équilibre reste très précaire et la pièce assez instable. 

C’est l’une des pièces que j’ai présentées à Fiminco pour « Habiter la faille » aux côtés d’un grand tapis de danse gravé et sérigraphié avec des traces de corps comme engloutis dans ce qui ressemblait à une rivière sombre. Un muscle apparaissait à la surface comme une tache d’huile comme pour redonner de la puissance à ces corps. Ces pièces venaient marquer une verticalité avec en contrepartie de gros coussins avec des images de gens fatigués dans lesquels le public était invité à s’installer pour profiter de sa propre fatigue et celles des corps représentés. Au beau milieu, des coquillages en céramique de fragments de corps comme des secondes peaux sont des invitations à performer, comme cela va être le cas ce soir. 

En ce qui concerne mon apprentissage de la céramique cela rejoint l’histoire de ce lieu car à un moment donné pour pouvoir financer certaines expositions nous avons décidé d’organiser un diner de Noël payant ce qui nous permettait d’inviter une artiste chef. En contrepartie des assiettes en céramique créées par l’ensemble des artistes étaient offertes aux invités. C’est comme ça que je suis venue à la terre pour ne jamais arrêter depuis. 

Allons vers le travail de Lenny Rébéré très intrigant

C’est également un artiste du Houloc. 

Des écrans data sont enfermés dans du liquide, de l’huile qui laisse circuler la technologie. Symboliquement très beau autour de cette idée du flux. Ce sont des vidéos de plages partout dans le monde que l’on voit en direct et qui tout d’un coup vont se brouiller. Elles sont captées par des caméras de surveillance. Il travaille le codage, le caractère éphémère des images, des bases de données. Il poursuit une sorte d’inventaire d’images qu’il puise sur internet et qu’il travaille ensuite par l’installation mais aussi le dessin.

Qui est à l’origine du film dans la 1ère salle ? 

Le film, intitulé « Semi Senso » est de Chloe Sassi. Semi Senso est un film de science fiction tourné avec la collaboration de 5 habitant.e.s de la région du Lac d’Orta dans le Piemont en Italie. Il est le fruit d’une résidence d’un mois où Chloé Sassi était en immersion dans le paysage, à la rencontre de “l’eau qui respire”.On suit les protagonistes qui évoluent dans un monde qui n’est ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans le futur, mais à l’interstice entre plusieurs temps.

Laura Rouzet et la performance (artiste du Houloc)

C’est toujours un défi de monter la performance dans l’espace de l’exposition et de l’inscrire dans la durée.

Laura est danseuse donc son corps est très présent : on retrouve des vertèbres prises dans la céramique. Elle a récupéré dans un jeu vidéo des sons de personnages féminins qui toussent. 

Elle explore le rapport au corps, à la technologie, à l’animalité dans des frontières poreuses. 

Marta Budkiewicz (artiste du Houloc)

Sa pièce « oracles » est connectée à de fausses images de ciel. Elle explore des zones de flou, des présences invisibles. 

J’aimais bien l’idée de l’avenir et de ce qui va se jouer avec le prochain lieu.

L’invitation à Gaya Topow

Gaya est une artiste culinaire qui a imaginé des potions magiques à boire et que l’on peut prendre avec soi. Elle aborde la question du rituel individuel ou collectif autour de ce sablier avec du caramel à partager. On peut repartir avec la fiole et potentiellement une goutte de la source éternelle. 

Quels thèmes traversent ce voyage ?

Le rituel, la survie d’un lieu collectif et sa précarité, l’importance des croyances collectives, populaires comme ici avec Charmed : comment se construire face à une série qui a influencé toute une génération (esthétique vestimentaire mais aussi en termes d’image). C’est une série qui mettait aussi en avant des femmes avec « Buffy contre les Vampires », des femmes puissantes qui avaient des premiers rôles. 

« Double Trouble », Art émergence Artagon © Manuel Abella

Art émergence à Romainville : Comment avez-vous travaillé avec les deux autres commissaires  Alexis Hardy et Temitayo Olalekan ?

Tout a été pensé collectivement. La sélection des artistes s’est faite avec un comité artistique à travers 3 sessions de 3 heures en visioconférence. Nous avons pris ensemble les décisions. L’idée n’était pas de se répartir l’espace mais de l’envisager collectivement sachant que l’on ne se connaissait pas avant. Notre entente faisait partie du deal ! En réalité, dans la sélection des commissaires par Anna Labouze et Keimis Henni, toutes nos pratiques se reliaient à des endroits tout en restant différentes ce qui a créé une osmose assez formidable. C’était ma première expérience en collectif sans connaitre les personnes et cela a été une révélation ! 

Notre point de départ était la question du seuil comme une porte d’entrée qui représentait la sortie de l’école qui est un moment de seuil d’où la référence à Alice au Pays des Merveilles, et l’autre côté du miroir autour de cet espace liminal de l’entre-deux.

« Double Trouble », Art émergence Artagon © Manuel Abella

Quels thèmes ressortent de ce panorama ? 

Ce qui ressort de la totalité des pratiques était : comment habiter le monde autrement, ce qui parait un sujet assez vaste mais très ancré. Les artistes évoluaient dans des espaces assez clos avec un rapport à la transmission, aux nouvelles technologies, à l’écologie, aux rituels. Les questions queer avec des effets de miroir entre le Frac et Fiminco. L’avantage était de partir d’écoles d’art et de design avec le rapport à l’objet, à l’artisanat et au graphisme à travers la création d’une typographie qu’il était difficile de montrer. 

C’est une photographie de la création d’aujourd’hui et de demain.

Comment concevez-vous votre métier ?

Pendant une longue période je n’ai pas fait de commissariat mais de la curation et pour moi il s’agit de l’accompagnement que l’on peut donner à des artistes ce qui passe par des conseils, moments d’échange, des mises en réseau avec d’autres professionnels. Je le fais tout le temps. Le commissariat est plus lié à l’exposition, son montage, la création autour d’une thématique. On connait la précarité et l’impossibilité de toujours monter des expositions. Il était important pour moi de différencier parce que la curation est une partie du travail qui est invisibilisée et non réénumérée. C’est pourquoi j’ai aussi créé le podcast pour mettre en avant ces mécanismes d’accompagnement, les artistes faisant aussi de la curation et parfois sans s’en rendre compte. 

Quels sont les critères que vous mettez en avant autour d’une exposition ?

Tout d’abord écouter l’envie des artistes et dans le cadre de la résidence que j’ai eu ici, un travail d’approche, de trouver ma place, d’échanger avec les artistes de voir comment iels fonctionnaient ensemble et ne pas arriver en se comportant comme un gate-keeper mais être à l’écoute. Arriver avec ce qui me traverse et à les convaincre avec un rapport de confiance. 

Votre podcast GLOSE : quel point de départ ? 

Pour la première saison j’invitais des commissaires d’exposition en leur demandant de penser à un.e artiste avec qui il y avait un lien. Pour la saison 2, j’ai envie d’explorer autre chose et d’aller vers les artistes.

A partir de quel moment vous êtes-vous décidé d’être commissaire ? Un déclic ?

Lors de mes études à Nantes, j’ai rencontré une commissaire d’exposition. À cette époque, je découvrais ce métier à travers elle. J’ai pu observer de l’intérieur la manière dont elle concevait et exerçait son travail, et c’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic.

Écouter le podcast de Salomé :

www.shows.acast.com/glose

Infos pratiques :

« Nymphs Just Wanna Have Fun »

Jusqu’au 16 octobre 

Le Houloc à Aubervilliers 

https://www.lehouloc.com/expositions

Art émergence 1

« Double trouble »

Jusqu’au 2 novembre 

Chaufferie de la Fondation Fiminco & Réserves du Frac Île-de-France

43 Rue de la Commune de Paris, Romainville

Entrée libre et gratuite 

www.artagon.org