Meyer Riegger Wolff gallery space in Seoul, view from outside. Photo: JangMi
Alors qu’il se prépare activement pour la prochaine édition d’Art Basel Paris, qui réunira cette année 206 galeries internationales, Jocelyn Wolff poursuit l’expansion de sa galerie avec une nouvelle implantation stratégique à Séoul. Fruit d’une collaboration étroite avec la galerie berlinoise Meyer Riegger, cette structure commune baptisée Meyer Riegger Wolff témoigne d’une volonté partagée de s’ancrer durablement sur la scène asiatique.
Installée dans le quartier résidentiel prisé de Hannam-dong, la galerie a été conçue par l’architecte coréen Choi Wook (agence One O One), qui a imaginé un espace sculptural audacieux. La direction artistique a été confiée à Gaia Musi, associée de Jocelyn Wolff, et l’exposition inaugurale, présentée pendant Frieze Seoul, a adopté le format des salons européens du XVIIIe siècle, mettant à l’honneur le dessin. Parmi les artistes exposés : Meret Oppenheim, Jonathan Monk, Miriam Cahn, Elodie Seguin, William Anastasi ou encore Laura Lamiel, dans une scénographie à la fois érudite et accessible.
À Paris, la galerie Wolff a également franchi une nouvelle étape avec l’ouverture d’un espace de plus de 300m² à Matignon, projet dont nous avait parlé Jocelyn Wolff, que symbolise l’exposition évènement de Franz Erhard Walther, figure majeure de l’art conceptuel. L’accueil enthousiaste reçu par la galerie est jugé particulièrement encourageant par Jocelyn Wolff dans un contexte général incertain.
Alors que la foire ArteBA à Buenos Aires s’est révélée particulièrement dynamique, Frieze Seoul a en revanche déçu les attentes. Jocelyn livre une analyse lucide d’un marché globalement sous tension où les effets de réajustement se font surtout sentir dans le secteur du très haut de gamme, tandis que le nombre de collectionneurs ne cesse d’augmenter.
Le déploiement à Séoul avec la galerie Meyer Riegger : à quand remonte l’origine du projet ?
L’histoire de cette nouvelle aventure puise ses origines dans une amitié et une collaboration de plus de quinze ans entre nos galeries. Ensemble, nous représentons des artistes majeurs tels que la peintre Miriam Cahn ou la sculptrice Katinka Bock, et avons multiplié les projets, notamment à travers des stands partagés lors des foires.
Animés par une volonté de renforcer notre présence en Asie, nous avons progressivement envisagé une mutualisation de ressources sur le continent, dans une démarche centrée sur le placement stratégique des œuvres et des méthodes symbiotiques.
Déjà implantés à Shanghai, nous disposions d’un bureau opérationnel, tandis que Meyer Riegger avait amorcé une présence à Séoul, sans pour autant structurer pleinement cette implantation. Par ailleurs, Gaia Musi, mon associée à Shanghai, souhaitait pour des raisons personnelles se rapprocher durablement de la capitale sud-coréenne.
Un alignement de planètes a alors ouvert la voie à ce projet commun, Séoul offrant une plateforme idéale pour rayonner dans la région tout en contournant les contraintes de censure et les obstacles réglementaires propres à la Chine continentale. Son climat d’affaires, plus proche des standards européens, présente une fluidité et une ouverture essentielles à notre ambition.
Pourquoi le choix de Hannam est-il stratégique ?
Dans un paysage artistique déjà bien établi à Séoul, où de nombreuses galeries occupent une place de choix, personne ne nous attendait. De plus, dans une société où les codes sociaux sont plus marqués qu’en France, l’emplacement est déterminant. À l’inverse de Paris, où un ancrage plus alternatif ou underground peut jouer en faveur d’une galerie bien installée, les collectionneurs coréens privilégient des zones précises, souvent synonymes de prestige et de statut.
C’est dans cette logique que nous avons opté pour Hannam-dong, un quartier résidentiel chic, à la fois central, accessible et déjà plébiscité par le milieu de l’art. Ce n’est pas un hasard si des galeries internationales d’envergure, comme Thaddaeus Ropac, s’y sont déjà implantées. C’est un choix que l’on pourrait qualifier de conservateur mais réfléchi et fondé sur des recommandations locales.
L’exposition inaugurale rejouait les codes d’un salon européen du XVIIIème siècle : quels enjeux ?
Intitulée « Heute Nacht geträumt – Dream last night », l’exposition inaugurale de la galerie s’est distinguée par son approche singulière : un hommage aux salons français du XVIIIe siècle, axé sur le dessin.
Plutôt que de chercher une correspondance évidente entre des artistes européens comme Colette Brunschwig et des figures de l’abstraction coréenne historique comme Lee Ungno, j’ai voulu mettre en avant la dimension expérimentale et scientifique de la galerie. Chaque mur de l’exposition était pensé comme une thématique autonome, un parcours critique à travers des dialogues entre artistes contemporains et figures transhistoriques, parfois anonymes. Un accrochage dense et pensé comme un laboratoire visuel.
Cette méthode s’inscrit dans la lignée d’expositions précédemment imaginées, comme celle autour de la grisaille ou encore celle sur Eugène Carrière, avec Serge Lemoine, développée dans l’esprit des grandes expositions du musée d’Orsay des années 1990 : références iconographiques incrustées sur les murs, effets de miroir entre les œuvres, jeux de comparaisons multiples … un dispositif qui n’est pas sans évoquer les planches d’Aby Warburg, dont la méthode irrigue en filigrane notre proposition à Séoul.
C’est un principe que j’affectionne : proposer des mises en tension, des associations qui sollicitent l’esprit critique du regardeur. Chacun est libre d’y projeter ses propres lectures. C’est un exercice très occidental, mais que je trouvais passionnant à transposer dans un contexte asiatique.
Quelle a été la réception de l’exposition ?
L’exposition a rencontré un vif succès, tant sur le plan critique que commercial. Les ventes ont été au rendez-vous, portées par une stratégie tarifaire volontairement accessible.
Les œuvres, des dessins de grande qualité, étaient proposées à partir de 500 euros, des prix inférieurs à ceux généralement pratiqués dans les salons spécialisés français.
Nous avons été très attentifs à ce critère : proposer des œuvres fortes, à des prix justes, pour construire une crédibilité durable et affirmer une démarche méthodologique dans la confiance.
Et du côté de Frieze Seoul, quel bilan ?
En contraste avec l’enthousiasme suscité par l’ouverture de la nouvelle galerie, la participation à Frieze Seoul s’avère plus mitigée.
Dans un contexte asiatique devenu plus incertain, les résultats commerciaux sont restés modestes, loin des performances des années précédentes. Il faut dire aussi que nous étions très mobilisés par l’ouverture simultanée de la galerie, ce qui a peut-être dispersé notre attention.
Pour les éditions à venir, il faudra sans doute privilégier une présentation monographique forte ou un projet plus ciblé.
Autre zone géographique avec ArteBA : quel retour d’expérience ?
À l’inverse de Frieze Seoul, la foire ArteBA à Buenos Aires s’est révélée particulièrement porteuse. Les coûts y sont nettement moins élevés que sur les grandes foires internationales, ce qui permet de dégager plus facilement de la marge. Une présence rendue d’autant plus fluide grâce à Inés Huergo, membre de l’équipe spécialisée dans la scène latino-américaine, qui assure une présence régulière sur le terrain.
Cette implantation régionale s’appuie également sur une affinité forte entre certains artistes de la galerie et le public local. Diego Bianchi, notamment, bénéficie d’une véritable reconnaissance en Argentine, ce qui nous permet d’organiser des visites d’atelier à l’occasion de la foire, un facteur important auprès des collectionneurs.
Paris/Matignon : Quelle est la réception de vos pairs ?
Nous avons reçu un accueil très positif de la part de nos pairs et du milieu professionnel, ce qui contraste avec nos précédentes localisations. À Belleville, notre présence suscitait parfois de la méfiance, notamment autour de l’idée de gentrification. À Romainville, les difficultés venaient davantage de nos relations compliquées avec notre bailleur, malgré tous nos efforts, avec le sentiment en outre de ne pas être portés par l’écosystème local ; mais la commuauté formée par les galeries de Komunuma a été une très belle expérience humaine et professionnelle.
À Matignon, quartier emblématique du marché de l’art parisien, l’arrivée de la galerie s’est faite en résonance avec une clientèle, des réseaux et une identité clairement établis.
Le solo show évènement de Franz Erhard Walther
Une présence rare à Paris, d’autant plus précieuse que l’artiste, aujourd’hui âgé de 86 ans, s’est personnellement déplacé pour superviser l’accrochage et est resté très impliqué tout au long de la semaine d’ouverture. C’était formidable de l’avoir avec nous, il en a été très heureux.
L’exposition entre également en résonance avec l’actualité institutionnelle, alors que la Bourse de Commerce – Pinault Collection s’apprête à inaugurer une grande exposition consacrée au Minimalisme. Un moment opportun pour remettre en lumière le rôle fondateur de Walther dans l’invention de ce courant et qui, de ce fait, aurait pu faire partie de l’exposition, selon la définition donnée à ce courant.
Que prévoyez-vous pour Basel Paris ?
J’adopte une méthode fidèle à ma façon de travailler : une sélection fondée sur la disponibilité et la maturité des œuvres, plutôt qu’un plan figé à l’avance. Je fais toujours en fonction des pièces prêtes ou en cours de production.
Parmi les projets en discussion, une œuvre importante de Francesco Tropa tout comme un travail en préparation de Katinka Bock. J’envisage également la possibilité de commencer à montrer Marcelle Cahn, figure historique de l’abstraction.
Nous assistons à un moment de réajustement ou de rétractation du marché selon vous ?
Nous vivons dans un climat anxiogène, où l’on parle sans cesse de crise, alors même que la demande pour l’art demeure réelle, en particulier en dehors des zones purement spéculatives.
Le nombre de collectionneurs n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Ce qui change, c’est la dynamique du très haut de gamme. Est-il encore possible de vendre un artiste à la mode à 500 000 euros ou dollars ? Sans doute moins qu’avant. Mais est-ce que cela signifie que des œuvres comme celles de Franz Erhard Walther, autour de 25 000 euros, trouvent moins preneur ? C’est tout le contraire.
C’est le sommet du marché qui subit le plus les effets du refroidissement actuel, tandis que le segment intermédiaire (entre 15 000 et 100 000 euros) reste stable. Je n’entends parler de baisse que dans les sphères à plusieurs millions, où je ne suis pas. Cette zone où je me situe et qui n’a jamais été confortable, ne donne pas de prise à la spéculation.
Le réajustement se fera naturellement par les prix. Car même dans un contexte tendu, les très belles pièces continuent à se vendre. Ce qui est problématique est la politique tarifaire des foires, qui continue d’augmenter dans un marché en phase de correction. Les prestataires cherchent à préserver, voire à augmenter leurs marges, ce qui crée un décalage avec la réalité économique à laquelle nous devons faire face.
Infos pratiques :
Art Basel Paris
Du 23 au 26 octobre 2025
https://www.artbasel.com/paris
A la galerie :
Franz Ehrard Walther
Les couleurs sont des actions de lumière…
Jusqu’au 29 octobre
https://www.galeriewolff.com/media/pages/exhibitions/les-couleurs-sont-des-actions-de-la-lumiere
A Seoul :
Exposition inaugurale
Heute Nacht geträumt
Dreamed Last Night
September 2 – November 7, 2025
Address
1F, 6 Dokseodang-ro 29-gil, Yongsan-gu, Seoul (Hannam-dong)