Nan Goldin. La Mort d’Orphée, 2024.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.
Si ces 56èmes Rencontres d’Arles réunissant 47 expositions, 158 artistes dans 27 lieux sous la houlette de Christoph Wiesner et Aurélie de Lanlay ont bien quelque chose d’ « indocile » selon le titre et l’affiche choisis avec une grande place donnée aux luttes et résistances (identitaires, post-coloniales, politiques) autour de récits invisibilisés selon un prisme très international (saison Brésil-France, Australie..), que reste-t-il de ces images ?
Les thématiques qui ressortent sont celles de la famille qu’elle soit choisie ou originelle, de la sororité, du corps, de la marge et de l’altérité, du vernaculaire (fascinante collection des fondateurs de la galerie Lumière des roses).
Si je ne devais retenir qu’une image, exercice ô combien délicat, je dirais sans hésiter Nan Goldin qui met en scène le Syndrome de Stendhal à partir des grands mythes (Orphée, Narcisse, Psyché…) et d’œuvres sculpturales des plus grands musées du monde qu’elle rapproche de ses amis, amants.. Ponctuée de sa voix grave sur une musique de Soundwalk Collective qui envahit l’espace de l’Église Saint-Blaise, ce défilé diaporama a quelque chose d’envoutant dans sa capacité à saisir l’amour et le temps qui passe, le bonheur qui nous échappe, le désir et ses caprices. Un moment d’épiphanie qui rejoue The Ballad of Sexual Dependency qui m’avait durablement marqué à Arles en 2009.

Camille Lévêque. Sans titre, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Papa, t’es où ?
Les adresses au père qu’il soit déficient, absent ou fantasmé avec en filigrane une réflexion sur la notion de famille ont quelque chose de bouleversant également.
Familles de sang ou de cœur, celles que l’on choisit
Avec Diana Markosian « Père » (espace Monoprix) il est question de retrouvailles après une séparation brutale dans l’enfance, sa mère fuyant la Russie avec l’artiste pour atterrir en Californie à Santa Barbara. Un long périple où l’écriture tient une grande place.

Diana Markosian. Le Découpage, série Père, 2014-2024.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Camille Lévêque « A la recherche du père » (Ground Control) convoque ce totem à partir de nombreux témoignages qu’elle réagence dans des montages qui soulignent toutes les injonctions véhiculées par la paternité. Le passage sur les connotations sexuelles du sugar baby est juste et déroutant. Jean-Michel André avec « Chambre 207 » frappe fort à partir de ce meurtre sordide et non résolu dans une chambre d’hôtel d’Avignon en 1983 alors qu’il a 7 ans qui le prive définitivement de père. Une quête face à l’amnésie qui s’en est suivie et qui le conduit au Sénégal, en Allemagne, autant de lieux qu’il aurait pu visiter avec lui.

Carol Newhouse and Carmen Winant, 2024. Courtesy of the artists.
Sœurs de combat !
Avec « Double » Carmen Winant est partie à la rencontre de Carol Newhouse, cofondatrice de la communauté lesbienne militante WomanShare de la côte ouest des Etats-Unis. Une recréation à partir du corpus de Newhouse, fruit d’un échange de pellicules pendant un an selon un protocole fixé entre les deux artistes. De nouvelles strates d’histoires d’une grande poésie.
Avec « les femmes, les sœurs » Erica Lennard, ouvrage pionnier publié en 1976 par les Éditions des femmes, la commissaire Clara Bouveresse revient sur ce projet visuel et poétique qui interroge l’intime et le nu.

Agnès Geoffray
Jeanne, 2024.
Courtesy of the artist / ADAGP, Paris.
Agnès Geoffray et Vanessa Desclaux « Elles obliquent elles obstinent elles tempêtent » (Commanderie Saint Luce)
Également un marqueur de ces Rencontres, ce projet met en lumière les pratiques des « écoles de préservation » qui dans la France de la fin du XIXème siècle enfermaient les jeunes filles mineures dites déviantes. A partir du fonds des archives des institutions de Cadillac, Doullens et Clermont-de-l’Oise, l’artiste et la curatrice réactivent ces corps fictionnels en révolte dans des gestes d’émancipation et de soulèvement. Une chorégraphie silencieuse et agissante.
On the road again !

Anna Fox et Karen Knorr. Monument, Balsam Valley, Maine, 2023.
Avec l’aimable autorisation des artistes / Centre for British Photography / Galerie Les filles du calvaire.
Anna Fox et Karen Knorr « U.S. Route 1 » (Palais de l’Archevêché)
Un dialogue visuel intergénérationnel à partir du périple entrepris par Berenice Abbott en 1954 le long de cette route emblématique, la plus ancienne des Etats-Unis, mais dont le résultat ne sera publié qu’en 2013. Les clichés en noir et blanc de l’ancienne assistante de Man Ray cohabitent ceux de ses héritières sur fond de Trumpisme et d’American Dream désenchanté. Enseignes lumineuses et standardisation du paysage, consumérisme galopant, propagande et désillusion, précarité et dérives immobilières…le cauchemar prend tournure.
Louis Stettner, humaniste francophile : (Espace Van Gogh)
C’est le cousin américain de notre Doisneau national et n’oublions pas que c’est avec la bourse offerte par les États-Unis à ses soldats, le GI Bill que Louis Stettner arrive à Paris en 1947. Il étudie le cinéma à l’IDHEC et durant son séjour de 5 ans, il rencontre Henry Miller, Willy Ronis, Brassaï, Paul Strand… fréquente les cafés de la Rive Gauche. Ses images d’un Paris déserté par les voitures ont quelque chose d’étrange à rebours de toute forme de pittoresque, ce qui le distingue des humanistes français. Les passants sont de dos engagés dans un réseau graphique de lignes. A son retour à New York en 1952 il y réalise sa célèbre série Penn Station autour de la gare de Manhattan. il croise la beat generation en la personne de Nancy Miller une beatnik qu’il suit dans ses balades du Greenwitch Village. Il est mis sous surveillance par le FBI et prend part active aux combats des droits politiques. Sa série Workers est consacrée aux ouvriers et il se consacre aux laissés pour compte de Big Apple avec la série à hauteur de trottoirs On the Bowery. Après de nombreux voyages l’artiste s’installe définitivement à Saint-Ouen en banlieue parisienne dans une maison dont le jardin abrite son laboratoire. Un retour aux sources pour ce grand représentant de la Photo League à la signature toute mystérieuse.

Melissa de Oliveira. Chaque tête est un monde, 2024.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Le Brésil, vers une fluidité des récits et des perspectives
De la photographie moderniste brésilienne aux favelas (« Retratistas do Morro ») ou luttes LGBTQI+ queer, la création brésilienne est vibrante et multiple, beaucoup d’artistes se saisissant aujourd’hui de l’histoire officielle pour créer de nouveaux récits émancipateurs. C’est l’objet de l’exposition « Futurs ancestraux » (Église des Trinitaires) autour des communautés afro-brésiliennes et indigènes avec notamment l’artiste drag Rafa Bqueer, membre du collectif underground Thêmonias ou l’artiste Mayara Ferrao qui utilise des deep fakes pour renverser l’image stéréotypée et misérabiliste des personnes réduites en esclavage et ouvrir une narration joyeuse de ces femmes pleines de joie à rebours de la propagande coloniale.

Brandon Gercara
Lip sync de la pensée, capture vidéo, 2020.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Marche des fiertés sur le volcan : Brandon Gercara « Du magma dans l’océan » (Maison des peintres)
Figure du militantisme queer et décolonial créole Brandon Gercara, récemment exposé au Nouveau Printemps de Toulouse, qui vit et travaille à la Réunion poursuit une recherche intitulée Majik kwir né à partir de la première marche des visibilités en 2021. Le Piton de la Fournaise devient le théâtre de revendications identitaires, son magma une source de puissance émancipatrice et transformatrice.

Lila Neutre
Milani Varela (Latex Ball n°5), série Sculpter le soi – The Rest is Drag, 2015.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Voguing trans et queer avec Lila Neutre « Danser sur les cendres » (Maison des peintres)
Doctorante de l’ENSP Arles, l’artiste avec les deux séries The Rest is Drag et Twerk Nation se penche sur le voguing et le twerk et les communautés attachées à ces formes de pratiques de dissidence collective. Les concours « battles », les lieux de fête mais aussi les vêtements et accessoires ont été capturés en France et aux Etats-Unis. Le titre suggère l’idée de renaissance et d’embrasement. Au-delà de la photographie et sérigraphie, des drapeaux suspendus dans l’espace avec des slogans, une boule à facette, constitue une scène très immersive.
Éloge de la photographie anonyme : clap de fin pour la collection Jacquier (Cloître Saint-Trophime)
Si la galerie Lumière des Roses a fermé, Marion et Philippe Jacquier restent très actifs et leur présence à Arles en témoigne. Parallèlement à la publication du livre anniversaire de la galerie, ils exposent une sélection de leur pléthorique fonds, acquis par Antoine de Galbert pour l’offrir au musée de Grenoble. Un hommage qui célèbre 20 ans de collecte d’images vernaculaires dont ils ont largement participé à la reconnaissance. Composée de 10 000 tirages collectées aux puces par les anciens producteurs qui s’imposent en autodidactes dans ce marché de niche jusqu’à être présents à Paris Photo, cette collection offre des trouvailles insolites et fragmentées dont le public est friand. Parmi les immanquables, Lucette qui se fait photographier lors de tous ses voyages organisés ou ce pharmacien qui prend ses clients à la dérobée, cet amoureux éconduit qui retrace son idylle avec Rose dans le Paris des années 1930 dans des lieux vides marqués d’un point rouge.

David Armstrong Cookie à Bleecker Street, New York City, 1975.
Avec l’aimable autorisation d’Estate of David Armstrong.
LUMA : David Amstrong (La Tour)
Ce panorama ne serait pas complet sans les propositions de LUMA à commencer par David Amstrong. Ancien compagnon de route de Nan Goldin qu’elle avait présenté aux Rencontres d’Arles en 2009, c’est le retour de cet artiste inclassable qui saisit la bohème des années 1970 avec grâce et mélancolie. On y retrouve Nan Goldin mais aussi le groupe des amis du Musée des Beaux-arts (The Boston School) dont Philip-Lorca diCorcia, ses amants…C’est tendre et grave à la fois, les années Sida ne sont pas loin. Le diaporama Night and Day sur Kodachrome est magnétique !
Il faudrait signaler à LUMA également « Rêves fantômes », l’exposition collective rhizomique conçue par Tino Sehgal dont le titre évolue au fur et à mesure ou le solo show de l’artiste égyptien Wael Shawky »Je suis les hymnes des nouveaux temples » installation qui recréé les rues de Pompéi et film. Une vaste odyssée inspirée des récits des origines au Moyen Orient. L’artiste qui est nommé directeur d’Art Basel Doha, avait envouté les visiteurs de la dernière Biennale de Venise.
Grand Arles Express : Elsa & Johanna à Marseille
Mention spéciale pour le Centre de la photographie à Marseille avec le solo show dédié à Elsa et Johanna. « Lost and found » est une installation sonore et visuelle qui rejoue les stéréotypes de genre dans des intérieurs domestiques, chacune jouant son rôle tour à tour.
Cette liste n’est pas exhaustive ! à chacun. e de compléter
Infos pratiques :
Arles Les Rencontres 2025
Ouverture de la majorité des lieux d’exposition jusqu’au 30 août : 9h30 — 19h30
Du 1er septembre au 5 octobre: 9h30 — 19h
Une entrée par lieu, valable sur une journée.
En ligne : 33 €
Jusqu’au 5 octobre 2025
https://www.rencontres-arles.com/fr
Grand Arles Express
https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1654/elsa-et-johanna
LUMA
Wael Shawky
« Je suis les hymnes des nouveaux temples »
jusqu’au 2 novembre
David Amstrong
jusqu’au 5 octobre
Ouvert tous les jours
de 10h00 à 19h00