Vue de l’exposition « Les rois morts », Courtesy des artistes et de la Galerie Suzanne Tarasieve, Paris photo © Rebecca Fanuele
La 19ème édition d’art-o-rama réunit 65 galeries en provenance de 14 pays et élargit son spectre à travers un riche parcours d’évènements dans toute la ville et la région Sud. La galerie Suzanne Tarasiève constituée d’ Alice Vagany, Julien Bouharis, Lucas Marseille, Veovansy Veopraseut et rejoints par Jeanne Guillaume, revient cette année en collaboration avec la galerie Fahmy Malinovsky. A cette occasion, les deux galeries qui avaient travaillé autour de l’artiste Darius Dolatyari-Dolatdoust, ont fait le choix d’un dialogue entre l’artiste ukrainien Boris Mikhaïlov et l’artiste colombienne Carlota Sandoval Lizarralde qui bien qu’appartenant à des générations et contextes différents, partagent des enjeux communs autour d’une migration choisie. Les membres de la galerie reviennent également sur les expositions de Thomas Buswell et Eugène Leroy (project room) pour la rentrée, alors que l’exposition encore visible à Paris « Les rois morts » se consacre aux récits et imaginaires liés aux gens du voyage avec les artistes : Romuald Jandolo, Charly Bechaimont et Rudy Dumas, afin d’en déconstruire les stéréotypes. Enfin, la galerie réagit face au dernier rapport préoccupant du Comité Professionnel des Galeries d’Art autour d’un équilibre nécessaire à maintenir entre valeurs montantes et artistes plus historiques.

Boris Mikhaïlov De la série Tea, Coffee, Cappuccino, 2000-2010 tirage chromogène Courtesy de l’artiste et de la Galerie Suzanne Tarasieve, Paris
Marie de la Fresnaye. La galerie Suzanne Tarasiève pour sa 2eme participation à Art-o-rama s’associe à la galerie Fahmy Malinovsky : comment est né ce projet ? quelles en sont les bases ?
Jeanne Guillaume : L’idée de ce projet avec la galerie Fahmy Malinovsky est née l’année dernière alors que nous montrions simultanément le travail de l’artiste Darius Dolatyari-Dolatdoust. À ce titre, nous avions organisé plusieurs événements communs : visites commentées de nos deux espaces, rencontre littéraire. À la suite de cette exposition nous avions à cœur de réfléchir à une nouvelle collaboration et au fil de nos échanges, Ludmilla et Alicia (directrices de la galerie) m’ont proposée ce projet du stand dialogue pour Art-o-rama. Elles avaient tout de suite en tête de présenter le travail de Carlota Sandoval Lizarralde qu’elles avaient montré dans leur espace à l’automne 2024. De mon côté, je souhaitais proposer un artiste d’une autre génération pour créer non plus seulement un dialogue entre les pratiques mais aussi un dialogue intergénérationnel. Mon choix s’est donc rapidement arrêté sur Boris Mikhaïlov, un artiste que j’admire depuis longtemps et avec lequel je suis ravie de travailler.
Nous avons ainsi construit ce stand autour des thèmes communs à chacun des deux artistes : la place centrale du pays d’origine (Ukraine, Colombie) et l’usage de ruses plastiques (la théorie du choc, le “cute”) pour interroger les effets du capitalisme occidental et de la mondialisation sur les populations et les lieux. Pour Boris Mikhaïlov et Carlota Sandoval Lizarralde, les motifs du pays d’origine ne servent pas un récit national protectionniste mais rappellent, au contraire, que l’identité des individus dans des sociétés globalisées est en perpétuelle transformation, insaisissable et vulnérable.

Boris Mikhaïlov De la série Tea, Coffee, Cappuccino, 2000-2010 tirage chromogène Courtesy de l’artiste et de la Galerie Suzanne Tarasieve, Paris
MdF. Deux artistes de génération et de nationalité différentes : Boris Mikhaïlov et Carlota Sandoval Lizarralde sont mis en dialogue : qu’est ce qui les rapproche et les distingue autour d’une même migration choisie ?
J.G : Ce qui rapproche Boris Mikhaïlov et Carlota Sandoval Lizarralde au regard de la migration choisie est le lien profond et constant qu’ils entretiennent à leur pays d’origine. Tout au long de sa carrière Boris Mikhaïlov a documenté les bouleversements qui ont touché l’Ukraine, notamment avec la série Tea Coffee Cappuccino que nous montrons sur le stand, dans laquelle il observe pendant dix ans les effets de la chute de l’Union soviétique en Ukraine et particulièrement l’arrivée des produits américains sur les marchés. Carlota Sandoval Lizarralde elle, convoque dans son travail les souvenirs d’une Colombie quittée dont les formes, les paysages et la nature resurgissent à travers des dessins aux couleurs flamboyantes et saturées. Tous les deux font le portrait d’identités culturelles impossibles à figer, hybrides et en transformation constante.
Au contraire, ce qui les distingue c’est avant tout leur langage plastique. Là où Carlota Sandoval Lizarralde parle avec des couleurs vives et des formes organiques, abstraites, Boris Mikhaïlov lui, adopte une esthétique brute, directe. Il y a aussi un écart générationnel très fort : Boris témoigne de l’apparition des produits de consommation occidentaux, des grandes publicités, de l’américanisation progressive des modes de vie. Carlota elle, est née dans un monde déjà globalisé et a grandi dans un pays où l’influence des États-Unis était déjà très forte. Il était donc intéressant pour nous de se nourrir de ces contrastes et des similitudes entre les deux pratiques pour construire notre discours et notre stand dialogue à Art-o-rama.

Carlota Sandoval Lizarralde Courtesy de l’artiste, Galerie Fahmy Malinovsky
MdF. Comment ressentez-vous le dynamisme de la scène marseillaise ?
Lucas Marseille. C’est toujours un plaisir de venir à Marseille, et tout particulièrement à l’occasion d’Art-o-rama. Il y règne une atmosphère chaleureuse et détendue, propice aux échanges. La scène artistique marseillaise me paraît très dynamique, portée par une jeune génération et de nombreuses initiatives indépendantes qui mettent en valeur les artistes, notamment celles et ceux de la région. Les institutions et centres d’art locaux sont également très présents, et les échanges que nous avons avec eux durant la foire sont toujours enrichissants.

Vue de l’exposition « Les rois morts », Courtesy des artistes et de la Galerie Suzanne Tarasieve, Paris photo © Rebecca Fanuele
MdF. Que préparez-vous pour la rentrée de septembre ?
L.M La rentrée de septembre s’annonce particulièrement riche et intense ! Nous débuterons à Lyon pour notre première participation à Manifesta. Ce sera une belle opportunité pour nous de présenter le travail d’un certain nombre de nos artistes, de retrouver nos collectionneurs et collectionneuses lyonnais.es et d’aller à la rencontre de nouveaux publics.
Nous ouvrons ensuite, le 13 septembre à la galerie, le premier solo show de Thomas Buswell. Il s’agit d’un moment fort pour nous car Thomas est le premier artiste à rejoindre la galerie depuis le départ de Suzanne. C’est donc une exposition très importante et significative pour nous. En parallèle, dans notre Project Room, nous présenterons une sélection d’œuvres de l’artiste Eugène Leroy. Nous avions déjà montré son travail lors de notre exposition sur le néo-expressionnisme allemand en septembre dernier mais cette Project Room sera l’occasion de partager son œuvre plus en profondeur avec le public de la galerie.
MdF. Le récent rapport du CGPA souligne les menaces qui pèsent sur l’écosystème des galeries françaises face aux logiques du marché : comment réagissez-vous là-dessus ? quelles solutions seraient à mettre en œuvre selon vous ?
L.M : Ce rapport du CPGA n’est pas rassurant, c’est vrai. Il met en lumière une réalité que beaucoup d’entre nous vivent au quotidien. Ce ne sont pas seulement des structures économiques qui sont menacées mais aussi des espaces de réflexion, d’expérimentation, et de dialogue entre les artistes, les œuvres et le public. Cependant, et tout particulièrement depuis que Suzanne est partie, nous avons toujours fait attention à se concentrer sur la galerie et son public historique. Le plus important pour nous est de maintenir l’équilibre entre la prise de risque en défendant une scène artistique émergente tout en continuant à défendre le programme de Suzanne composé d’artistes dont la renommée aujourd’hui dans le monde de l’art nous assure un maintien économique solide.
Je pense que l’entente et plus que cela, l’entraide entre confrères est primordiale, tout en faisant attention à ne pas se disperser. Il faut que notre galerie reste un lieu de médiation et de construction du temps long.
Relire mon interview avec Jérôme Pantalacci, directeur art-o-rama (lien vers)
Infos pratiques :
art-o-rama 2025
29 – 31 août
La Tour 3ème étage, La Cartonnerie, le Petit Plateau
Friche La Belle de Mai
Horaires
Vendredi 29 août 2025 11h – 17h
Preview VIP pour les détenteur·rice·s de la Carte VIP 17h – 20h
Vernissage sur invitation,
Samedi 30 août 2025 14h – 20h Dimanche 31 août 2025 14h – 20h
Actuellement à la Galerie Suzanne Tarasiève :
Les rois morts,
jusqu’au 2 août 2025