Les 20 ans du MAC VAL, « Forever Young » : Interview-portrait du commissaire Frank Lamy, chargé des expositions

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

« … des corps peints, des slogans et sentences, un espace en attente, des tissus pliés et de la couleur, du béton et des standards questionnés, des pierres et une histoire d’amour… » FL.

Frank Lamy est l’un des artisans aux côtés d’Alexia Fabre de la formidable aventure du MAC VAL, projet du Grand Paris de l’art impulsé en 2005 et qui depuis, n’a cessé de se réinventer. D’un terrain vague au départ qui semblait infertile pour reprendre les propos de l’emblématique directrice, ce poumon d’excellence a su insuffler un modèle d’engagement politique et citoyen pensé pour les habitants de Vitry-sur-Seine et bientôt suivi par les parisien.ne.s qui se précipitent au-delà du périph ! Qu’en est-il de cette utopie devenue réalité ? C’est un peu le défi que soulève ce temps de la célébration que Frank Lamy place aujourd’hui, aux côtés de Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL, sous le prisme d’Alphaville. Il est parti des histoires d’un musée qu’il a vu naitre et grandir, pour réunir 20 artistes ayant développé un lien avec le MAC VAL comme autant de réponses alternatives à la catastrophe annoncée en sourdine par la chanson, 20 réponses indociles, questionnements et fulgurances. Frank Lamy revient sur les jalons et temps forts qui ont marqué son parcours à la fois professionnel et intime avec ce lieu, « sa 2ème maison », la quarantaine d’expositions proposées et les deux éditions de Nuit Blanche marquant définitivement le rayonnement de l’institution et sa reconnaissance. Un témoignage unique et précieux où au-delà de l’émotion perdure l’esprit pionnier et le sens du partage alors que les luttes et l’émancipation des corps restent au cœur des propositions exposées. « Quelque chose advient. Ou va advenir. Ou est déjà advenu… » Restons en état d’alerte. 

Si l’on reprend l’affiche des 20 ans et sous forme du clin d’œil rock : êtes-vous plutôt Bowie ou Alphaville ?

Rires. Les deux évidemment !  Cette accroche renvoie à l’habitude que nous avions depuis l’ouverture du musée de partir vers la culture Pop à l’occasion de nos temps forts. La chanson d’Alphaville résonne terriblement en ce moment : imaginée en 1984 sur fond de Guerre froide, elle instille cette idée d’une urgence avant la bombe. Même si elle n’était pas prévue, cette résonnance est impactante et dit quelque chose de l’urgence des préoccupations de la génération qui est majoritairement représentée. 

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

Dans votre texte percutant vous parlez « d ’un château au bord de l’effondrement et d’un parfum d’apocalypse » est-on bel et bien au bord du précipice ? Est-ce cette urgence qui se dégage de ce panorama ? 

J’ai l’impression que l’on est au bord de plusieurs précipices et qu’ils ne sont pas forcément les bons. Il y a en même temps du côté des artistes présents le constat que le monde va plutôt assez mal et aussi la volonté de se débarrasser d’un certain nombre de forces rétrogrades ou conservatrices pour militer pour la liberté des corps et des identités. La liberté de chacun et chacune de s’auto-définir. Il est beaucoup question de lutte contre les diktats, sociétaux notamment. De rendre visible.

Est-ce selon vous un portrait générationnel ?

Je ne suis pas sûr de pouvoir me permettre un tel jugement. La majorité des artistes est née au début des années 1990. Je parlerai plus de « vaisseau générationnel » pour un ensemble qui réunit des préoccupations, des questionnements, des interrogations et qui essaie de proposer des portes de sortie pour envisager la notion de génération non pas à l’aune de la date de naissance mais d’une prise de conscience. Né en 1968, j’ai, en effet, l’impression que je partage un grand nombre de questionnements de ces jeunes.

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

Quelle méthode avez-vous choisie ? Quels ont été vos critères de choix d’artistes ?

Pour de nombreuses raisons, l’exposition s’est montée très rapidement. N’ayant pas le temps de mettre en place un protocole très scientifique, j’ai décidé de partir de ce que je savais du musée, des histoires, des artistes… J’ai mené une sorte d’enquête auprès de mes collègues Alexia Fabre, Stéphanie Airaud mais aussi Nicolas Surlapierre, Thibault Caperan, Julien Blanpied ou encore des partenaires complices du musée. Des évidences sont apparues autour d’artistes qui sont né.es ou travaillent à Vitry. J’ai élargi ensuite en me limitant à 20 artistes pour les 20 ans comme une borne symbolique à partir de laquelle j’ai donné libre cours à mes affinités selon une volonté avec Nicolas Surlapierre d’une exposition signée et qui ne prétendrait pas à l’objectivité.

Je tiens à souligner que, malgré le contexte budgétaire, nous avons réussi à produire ou co-produire les ¾ des œuvres réunies. C’est un grand bonheur que d’accompagner ces jeunes artistes.

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

Grichka et Tohé Commaret, exposés à la fondation Ricard s’inspirent directement de Vitry

Les deux ont grandi à Vitry sur Seine et font de Vitry et de ses habitants la matière même de leur travail. Chez Grichka, les tableaux à l’aérographe restent pleins de secrets, de mystères et vont reprendre certains éléments de Vitry (façades d’immeuble, bus 183… ), des éléments plus ou moins reconnaissables. Tohé, quant à elle, met en scène dans ses films des habitant·es jouant leur propre rôle. pour l’exposition, elle est allée photographier les dames de la cantine dans le dortoir de son ancienne école maternelle, dans une sorte d’hommage à ces personnes que l’on ne remarque pas. De manière générale il est beaucoup question dans l’exposition de rendre hommage aux personnages et aux corps invisibles. 

L’installation de Richard Otparlic est emblématique des luttes au-delà d’une certaine surcharge décorative 

L’installation réunit en même temps une peinture, une tenture murale, une tapisserie et explore la dimension de surcharge décorative selon la démarche de l’artiste, la question du motif, du bon goût, dans une approche très intime. Si l’on prend par exemple la peinture réalisée à partir d’un drap de sa famille, il s’en empare pour y peindre le portrait de son amant endormi. Il se dégage une grande douceur. Ricard fait partie de cette génération qui a grandi avec internet, instagram, les filtres et les Kardashian, l’hypersexualisation des cops et qui s’interroge en tant que jeune personne homosexuelle sur la place de ces réseaux dans sa construction mais aussi celle de chacun et chacune. Il nous délivre également des vidéos inspirées des réseaux et des conseils de vie en mode ASMR où il se transforme en coach de vie pour nous accompagner et nous envoyer comme message que nous sommes tous et toutes fabuleux.euses et qu’il faut croire en soi…la réponse résidant en chacun d’entre nous. 

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

L’œuvre extérieure de Raphaël Maman fait le lien avec le jardin et l’histoire du bâtiment 

L’œuvre en extérieur de Raphaël Maman est une nouvelle version d’une série intitulée « le Banquet ». Il s’agit comme toujours chez l’artiste d’interroger les normes à l’aune des corps et des usages. Le mobilier et la table dont l’utilisation sont contrariées, appellent à nous interroger sur les normes qui nous entourent ; comment elles entravent nos cops et comment on peut inventer d’autres scénarios, d’autres manières d’occuper le réel en dehors des normes. L’œuvre résonne très particulièrement avec l’architecture du musée puisque Jacques Ripault était un disciple de Le Corbusier qui a pensé l’architecture contemporaine à l’aune de l’échelle humaine tout en libérant et enfermant à la fois le corps. Un dialogue très subtil se créé avec l’histoire du lieu. Cela résonne avec une autre œuvre de la collection qui est dans le jardin « La concentration des services » de Julien Berthier qui questionne le monopole et la rationalisation du mobilier urbain dans une œuvre à 3 dimensions qui concentre en un seul objet plusieurs services de la ville : un abribus, une boîte postale, une caméra de surveillance, une horloge, un haut-parleur…

Un catalogue est-il prévu ?

On aimerait bien sûr même si c’est encore en attente. Les incertitudes budgétaires pèsent aussi là-dessus. 

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

Le WE festif : quel bilan ? 

Cela a été un moment très particulier car plein d’émotions diverses. 

J’ai apprécié la dimension festive, artistique et populaire. La sensation forte d’être une équipe. Un week-end très joyeux et un vrai moment de partage avec les professionnel·es, les publics, les artistes…

Vues de l’exposition « Forever Young », MAC VAL 2025.  Photos © Aurélien Mole. 

Quels mots vous viennent à l’esprit pour décrire ces années ?

Dans nos métiers se mélangent vie professionnelle et personnelle. Depuis 20 ans ce musée est devenu ma 2ème maison et j’y ai vécu des choses formidables ou plus compliquées. Des moments forts et importants tant personnellement que professionnellement. Pour résumer je dirais de ces 20 dernières années qu’elles ont été enrichissantes, époustouflantes et fantastiques, à tous les niveaux.

Quels jalons ont-ils été marquants dans votre histoire avec ce lieu ?

Évidemment l’ouverture a été un moment fondateur. C’est une vraie chance dans un parcours professionnel de participer à ce moment de création collective, d’excitation, d’émerveillement, de peur et de folie aussi, de naïveté. Assez incroyable ! Les premières années ont été marquées par une dynamique et une énergie de l’ordre de la découverte. Après les choses bougent, il faut prendre un rythme de croisière tout en restant alerte et dans un état de questionnement. Puis les équipes changent, le projet évolue et il faut pallier ces changements tout en arrivant à maintenir des valeurs que sont l’ouverture sur la création contemporaine, les publics en général y compris non spécialisés. 

De plus et de manière plus symbolique, notre participation avec Alexia Fabre aux éditions 2009 et 2011 de Nuit blanche ont été des moments importants de visibilité, de reconnaissance de notre travail. Même si cela se passait à l’extérieur du musée, cela a marqué des jalons. A travers notre nomination et réitération faisant partie des rares directeurs artistiques qui ont été rappelés, nous avons vécu cela comme la reconnaissance du travail de toute une équipe en associant le plus possible le MAC VAL. 

Parmi les expositions, lesquelles ressortent plus selon vous ? 

Là aussi c’est un exercice compliqué étant donné que j’ai assuré le commissariat de plus d’une quarantaine d’expositions qui ont des importances différentes dans la vie de l’institution même si je les trouve toutes importantes à la fois en tant que professionnel, dans mes liens avec les artistes. En termes de répercussion, certaines sont peut-être passées plus inaperçues que d’autres. Je suis très heureux de toutes ces premières monographies d’Esther Ferrer, de Nathalie Talec, Mélanie Manchot, tout ce travail d’accompagnement d’artistes femmes Elisabeth Ballet, Tania Mouraud, Nil Yalter…. Travailler avec Jacques Monory a été également un moment incroyable avec également les rétrospectives Claude Closky, Noël Dolla, Erik Duyckaerts, Jean-Luc Verna ou les projets de Simon Starling, Renaud Auguste-Dormeuil, Jesper Just ou Karina Bisch et Nicolas Chardon.

En ce qui concerne les expositions collectives, même si les exposition « Stardust », « Let’s Dance » ou « Emporte-moi » ont été des moments de vie importants au musée, je pense que « Chercher le garçon » et « Tous, des sang-mêlés » (co-commissarié avec Julie Crenn) ressortent particulièrement.  « Persona Grata » conçue avec le musée de l’histoire de l’Immigration est aussi un moment important du côté de la collection.

« Forever Young », avec les œuvres de : Aïda Bruyère, Camille Brée, Chadine Amghar, Coco de RinneZ, Emma Cossée Cruz, Garush Melkonyan, Grichka Commaret, Hugo Vessiller— Fonfreide, Jordan Roger, Kim Farkas, Lassana Sarre, Loreto Martinez Troncoso, Maïlys Lamotte-Paulet, Mario D’Souza, Raphaël Maman, Rebecca Topakian, Richard Otparlic, Sarah-Anaïs Desbenoit, Tohé Commaret, Yann Estève.

Et Mehryl Ferri Levisse.

Infos pratiques :

Les 20 ans du MAC VAL 

« Forever Young »

Jusqu’au 4 janvier 2026 

Et toujours « Le genre idéal »

Parcours de collection

Jusqu’au 20 mars 2026 

https://www.macval.fr