Voyage à Nantes, HOKUSAI au Château-Musée d’histoire de Nantes, « au-delà de la Grande Vague » : Interview Bertrand Guillet, directeur 

Exposition Hokusai 28 juin – 7 septembre 2025 Château des ducs de Bretagne- musée d’histoire-de Nantes © David Gallard – LVAN

Le Château- Musée d’histoire de Nantes accueille une exposition exceptionnelle consacrée à Katsushika Hokusai (1760-1849), l’un des artistes japonais les plus emblématiques Ce projet inédit est le fruit d’un partenariat exceptionnel entre le musée d’histoire de Nantes et le musée Hokusai-kan d’Obuse, dans la préfecture de Nagano, détenteur d’un fonds de plus de 800 œuvres du maître.

L’exposition propose une lecture renouvelée de l’œuvre de l’artiste, en dépassant le seul mythe de La Grande Vague au large de Kanagawa, devenue icône planétaire, jusqu’à figurer sur les billets de 1000 yens, les passeports et avoir son propre emoji.

Pensée en étroite concertation avec les commissaires japonais, la scénographie adopte une approche collégiale et interculturelle comme le détaille Bertrand Guillet, directeur du Musée d’histoire de Nantes et co-commissaire « Chacune des institutions a enrichi le regard de l’autre, dans une véritable coopération artistique et scientifique. »Cette collaboration exceptionnelle avec le musée Hokusai-kan d’Obuse repose sur des liens étroits et une confiance réciproque. Obuse, village où Hokusai se retire à la fin de sa vie, devient le lieu de création de ses œuvres les plus personnelles. C’est cette relation de confiance qui permet aujourd’hui de présenter, pour la première fois hors du Japon, une cinquantaine de peintures et de dessins.

En raison de la grande fragilité des œuvres prêtées, l’exposition est limitée à une durée de deux mois. Ce contexte confère à l’événement un caractère d’autant plus exceptionnel. Dès l’ouverture de la billetterie, la forte affluence témoigne de l’intérêt du public pour cette immersion unique dans l’univers d’Hokusai, surnommé par lui-même le « vieillard fou de dessin » et qui n’a pas encore révélé tous ses secrets. Bertrand Guillet a répondu à mes questions. 

Bertrand Guillet, directeur Château des ducs de Bretagne- musée d’histoire-de Nantes © David Gallard – LVAN

Marie de la Fresnaye. Qu’est ce qui explique selon vous, la renommée d’Hokusai ?

Bertrand Guillet. C’est une œuvre que tout le monde croit connaître. La Grande Vague au large de Kanagawa est devenue une icône planétaire, reproduite à l’infini, de la monnaie japonaise aux émojis. Mais cette image universelle, aussi célèbre soit-elle, a fini par faire de l’ombre à la richesse de l’œuvre de son auteur : Katsushika Hokusai (1760-1849).

L’exposition présentée au Château des ducs de Bretagne à Nantes ambitionne justement de rétablir l’équilibre. Derrière la Grande Vague, Hokusai est un artiste complet, un peintre avant tout, mais aussi un expérimentateur infatigable. Il puise dans les traditions picturales chinoises, dans les grandes écoles japonaises, tout en intégrant des influences occidentales.

Ces influences sont d’ailleurs perceptibles dans La Grande Vague elle-même. Si le sujet, la mer, le mont Fuji, les barques prises dans la tempête, s’inscrit dans l’imaginaire japonais, la composition utilise une perspective linéaire typiquement occidentale. De même, l’usage du bleu de Prusse, pigment importé d’Europe, marque une rupture dans l’histoire de la gravure japonaise du XIXe siècle.

Ce mélange d’esthétiques, cette capacité à synthétiser des traditions très différentes, explique sans doute en partie l’universalité de son œuvre. La Grande Vague est une image parfaite dans sa composition, mais aussi profondément humaine dans ce qu’elle évoque : la lutte de l’homme face aux forces de la nature, la fragilité du destin.

Au-delà de cette image devenue mythique, l’exposition montre un Hokusai hors du temps, à la croisée des cultures. Un artiste à la fois enraciné dans son époque et profondément moderne. Contrairement à l’idée d’un Japon alors fermé sur lui-même, Hokusai témoigne d’une grande porosité aux influences extérieures, dans un pays en réalité plus ouvert qu’on ne le pense.

Enfin, c’est aussi grâce au regard occidental que Hokusai a retrouvé une place majeure dans l’histoire de l’art. Le mouvement du japonisme, au tournant du XIXe siècle, a contribué à redécouvrir son œuvre. La création du musée Hokusai-kan à Obuse, s’inscrit dans ce contexte.

Exposition Hokusai 28 juin – 7 septembre 2025 Château des ducs de Bretagne- musée d’histoire-de Nantes © David Gallard – LVAN

MdF. Quels partis pris vous ont-ils guidé avec les commissaires japonais ?

BG. Plutôt qu’une rétrospective exhaustive et chronologique, nous avons fait un choix résolument thématique. Travailler uniquement avec les collections du musée Hokusai-kan d’Obuse ne permettait pas une approche rétrospective au sens strict, et ce n’était d’ailleurs pas notre intention. De plus, ce type de parcours peut vite devenir écrasant. L’un des fils rouges de l’exposition se joue autour de la personnalité et l’approche artistique du maître autour de certaines obsessions, certains thèmes qui traversent toute sa carrière. 

Autre volonté forte : rappeler qu’Hokusai n’est pas uniquement l’auteur de La Grande Vague. C’est un immense peintre et reconnu de son vivant comme tel. Une anecdote relatée par le commissaire japonais Toshinobu Yasumura illustre bien cette notoriété : Hokusai aurait été convoqué par le shogun lui-même pour un concours de peinture face à Tani Bunchō, figure majeure du courant Nanga (peinture du sud). Une reconnaissance exceptionnelle à l’époque.

Grâce à la richesse des collections du musée d’Obuse, l’exposition met ainsi en lumière cette dimension trop souvent éclipsée de l’artiste : son goût pour la peinture, sa virtuosité technique, sa capacité à croiser influences classiques et sens des expérimentations.

Enfin, les thématiques choisies résonnent avec des préoccupations bien contemporaines. Hokusai interroge notre rapport à la nature, au temps, à la fragilité de la condition humaine.

Exposition Hokusai 28 juin – 7 septembre 2025 Château des ducs de Bretagne- musée d’histoire-de Nantes © David Gallard – LVAN

MdF. Fragilité du patrimoine et exception japonaise : la délicate question des œuvres originales

BG. L’exposition Hokusai présentée à Nantes soulève une question rarement visible du grand public : celle de la conservation des œuvres sur papier, particulièrement fragiles. Nombre d’estampes du maître, dont la célèbre Grande Vague, ont été réalisées sur des supports extrêmement sensibles à la lumière, à l’humidité et au transport.

Ainsi, parmi les deux version de la vague peinte pour les plafonds de chars de défilés, seule une a pu faire le voyage jusqu’en France. Il s’agit de la version dite « masculine », dont l’état de conservation a permis ce déplacement exceptionnel.

Mais ce prêt rare souligne aussi la confiance accordée par les institutions japonaises au projet nantais. Face à la qualité scientifique et muséographique du projet, ils ont accepté de déroger à certaines contraintes.

« Manoir aux assiettes » © Hokusai-kan museum. Obuse

MdF. Le principe sériel d’Hokusai annonce des pratiques très contemporaines. 

BG. Si l’on associe souvent le travail en série à l’art contemporain, ce principe trouve en réalité l’une de ses premières expressions dans l’œuvre d’Hokusai. À travers ses célèbres Trente-six vues du mont Fuji, l’artiste japonais amorce une démarche à la fois commerciale et profondément artistique, qui annonce les recherches des Impressionnistes et des postimpressionnistes.

À l’origine, le principe sériel répond à une logique éditoriale : créer un cadre thématique, fidéliser un public, et inscrire l’œuvre dans une forme de narration visuelle. Mais Hokusai va bien au-delà de cette stratégie commerciale. Dans cette série emblématique, il décline le mont Fuji à travers les saisons, les heures du jour, les variations climatiques, intégrant une activité humaine tantôt foisonnante, tantôt absente.

Cette exploration répétée du même motif ne laisse pas indifférents les artistes occidentaux de la fin du XIXe siècle. Claude Monet et ses Cathédrales de Rouen ou Meules, Henri Rivière et ses vues de la Tour Eiffel, ou encore Paul Cézanne avec sa montagne Sainte-Victoire s’inscrivent dans une filiation directe. Comme Hokusai, ils adoptent une posture quasi obsessionnelle : interroger inlassablement le motif, y revenir sans cesse, pour en saisir toutes les nuances, sans se laisser distraire par le reste.

MdF. Comment ces liens se sont-ils noués entre le musée et vous ?

BG. Derrière cette exposition d’envergure, il y a d’abord une histoire de relations humaines et de respect mutuel. Le lien entre le musée d’histoire de Nantes et le musée Hokusai-kan d’Obuse s’est tissé au fil du temps, porté par une volonté partagée de construire un projet culturel ambitieux et équilibré.

Très vite, nous nous sommes retrouvés autour d’idées communes, avec la volonté de valoriser nos deux institutions tout en proposant un regard croisé sur l’œuvre d’Hokusai. 

Cette entente s’est traduite concrètement par des choix forts, comme la publication d’un catalogue bilingue français-japonais, conçu comme un outil de dialogue et de transmission. 

Au-delà de la simple coopération institutionnelle, c’est cette vision commune qui donne toute sa profondeur à ce projet. 

Catalogue La vague Hokusai : 1760-1849, chefs d’oeuvre du Hikusai-kan Museum d’Obuse. 49, 00 euros bilingue français-japonais.

Disponible à la librairie du musée 

Infos pratiques :

HOKUSAI (1760-1869) Chefs d’œuvre du musée Hokusai-kan d’Obuse 

Jusqu’au 7 septembre 2025 

Château – Musée d’histoire de Nantes 

Tarifs

Plein 9 euros

Réduit 5 euros 

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