Sophie Calle « Où et quand ? Lourdes » 2005-2008 Sophie Calle, Adagp Paris 2025 courtesy Perrotin photo Jean-Baptiste Mondino
Depuis le mois d’avril, l’artiste Sophie Calle investit l’ensemble des salles d’exposition temporaire du Musée régional d’art contemporain Occitanie à Sérignan. L’artiste n’avait pas encore bénéficié d’une exposition monographique dans sa région d’origine l’Occitanie où elle a de nombreuses attaches (son père, collectionneur étant le fondateur du Carré d’art de Nîmes). C’est chose faite grâce à l’invitation de Clément Nouet, directeur du Mrac Occitanie qui a conçu avec elle une proposition ambitieuse autour de certaines thématiques récurrentes comme la rupture amoureuse et son exorcisme, la perte et le manque, la privation de la vue, selon un certain nombre de règles et rituels qu’elle instaure. La vie et l’art se confondent souvent chez cette collectionneuse de trophées, experte en filatures et en jeux de piste. Parmi les séries emblématiques exposées : « Douleur Exquise », « Inventaire des projets achevés », « Pôle Nord », « La dernière image » et « Voir la mer » dans un dispositif inédit de triangulation des regards que nous détaille Clément Nouet.
En parallèle le Mrac, propose un nouvel accrochage de ses collections à partir d’une œuvre de MCMitout, le wall drawing « Allons », tiré de la série d’images Les plus belles heures du jour. Clément Nouet souligne ainsi la richesse et l’éclectisme des collections du musée.
Dans l’espace du cabinet d’arts graphiques, la proposition très aboutie de Toma Dutter autour du phénomène des cyclones transposé dans une grande installation immersive rejoint une réflexion sur le paysage et la cabane comme refuge. Clément Nouet a répondu à mes questions.
Quelle est la genèse du projet avec Sophie Calle ?
Présenter le travail de Sophie Calle au Mrac était une évidence ! C’est l’une des plus grandes artistes vivantes françaises internationalement connue et nous avons l’ambition de travailler avec les artistes internationaux les plus importants. Par ailleurs, elle a de fort lien avec notre territoire, elle vit une partie de l’année à moins de 100 kilomètres du musée. Nous sommes très heureux et honorés d’être le premier musée en Occitanie à lui consacrer une exposition monographique. Elle a déjà exposé en région PACA, à Marseille, Aix en Provence et à Arles, elle n’avait pas encore eu de projet en Occitanie à l’exception d’œuvres exposées au musée Fabre à Montpellier ou au Carré d’art de Nîmes dans le cadre d’exposition collective ou d’accrochage de collection. Il était donc important de présenter un ensemble conséquent de son travail dans son territoire de cœur.
Le choix du titre « Êtes-vous triste ? »
C’est le choix de l’artiste avant tout et j’y ai tout de suite adhérer. Il prend son origine dans la série « Histoires Vraies » autour des questions habituellement posées « Êtes-vous heureuse ? » dont elle renverse les mécanismes et attentes à l’occasion d’un questionnaire rempli lors d’une visite médicale et des questions qu’elle s’est posées : « Étais-je sujette aux vertiges, avais-je du cholestérol, du diabète, de la tension, des maux de tête, de cœur… »
Comment avez-vous procédé au choix des œuvres et à l’organisation du parcours ?
Dans l’exposition, nous avons un ensemble très large d’œuvres des années 90 à nos jours. Lorsque Sophie m’a demandé quelles œuvres je retenais de son travail, j’ai cité certaines, iconiques selon moi, comme « Douleur Exquise » composée de plus 200 cadres et exposée dès la première salle. Cette œuvre, réalisée entre 1984 et 2000, m’avait marqué lors de son exposition monographique au Centre Pompidou en 2003. Elle est tellement bouleversante ! Elle annonce des thématiques fortes dans le travail de Sophie comme l’utilisation de la photographie, du texte et approche des thématiques importantes comme la rupture sentimentale, le voyage, l’absence, le manque, la perte, l’amour… On retrouve aussi la privation du regard, sa relation à la mer (mère) qui a tout son sens à Sérignan.
Un dispositif inédit est proposé au rez-de-chaussée autour de « Voir la mer »
La présentation de cette œuvre a généré de nombreux allers et retours entre Sophie et le musée. Nous présentons 8 vidéos d’un dispositif pouvant aller jusqu’à 13, avec des très grands formats sur les murs, ce qui est une première. Au musée Picasso par exemple l’œuvre était présentée de façon plus réduite sur des écrans. Avec cette œuvre, sommes face à une véritable confrontation des regards, de la mer avec le bruit des vagues dans une forme de triangulation autour des sentiments de ces personnes qui nous regardent face à leur trouble. Nous sommes immergés dans les émotions
Quelles sont les réactions du public ?
Nous avons une très belle fréquentation depuis le début de l’exposition avec 30% d’augmentation car beaucoup de gens connaissent la notoriété de l’artiste sans avoir vu forcément ses œuvres. Pour de nombreuses personnes du territoire c’est l’occasion de découvrir ou re-découvrir Sophie Calle, dont ils ont entendu parler dans la presse ou à la télévision. Cela entraine de nombreux retours très positifs et beaucoup d’émotion face à une démarche très personnelle mais aussi universelle dans des va et vient permanent entre l’intime et le collectif.
« Inventaire des projets achevés 2023-2025 » ouvre le parcours
Volontairement placée à l’entrée, cette série a valeur de catalogue rétrospectif de son travail qui n’existe pas par ailleurs. Nous pouvons voir la richesse de son parcours avec cette œuvre. Cette série inachevée et toujours en work in progress est augmentée à l’occasion de chaque nouvelle présentation, comme c’est le cas ici.
Des annotations apparaissent de la main de l’artiste
Depuis quelque temps elle ajoute, crayonne, annote certaines informations directement sur les cimaises, le sol, au crayon ou au pastel. Des clins d’œil plein d’humour ou plus personnels.

Vue de l’exposition « Allons » MRAC Occitanie, Sérignan 2025 photo Aurélien Mole
ALLONS est l’exposition du nouvel accrochage des collections : quels enjeux vous ont-ils guidé ?
Un accrochage des collections est toujours un exercice délicat. La collection est composée de plus de 700 œuvres et je dois créer des dialogues entre de nouvelles acquisitions, des œuvres plus anciennes et des pièces en dépôt du CNAP. L’objectif premier est de présenter la diversité de l’art contemporain autour de ses différents médiums : vidéo, peinture figurative ou abstraite, dessin, installation, vidéo… pour un public qui n’est pas averti.
Il ressort de cet accrochage une place forte donnée à l’image : quelles sont les composantes de la collection ?
L’histoire du musée est très liée à la question de la peinture. Mais il faut voir les questions autour de la peinture au sens large. L’œuvre de MC Mitout « ALLONS », qui donne le titre à cet accrochage, est une peinture murale à protocole réalisée spécialement pour cette exposition des collections.
Une section est organisée autour des volatiles, un clin d’œil ?
En effet, lorsque je me suis penché sur « la cabina » de Nathalie du Pasquier je cherchais une sélection pertinente. La figure de l’oiseau ou des plumes m’est apparue comme récurrente dans la collection et la cabane (cabina) est devenue comme une volière. C’est un rapprochement dans un registre plus formel alors que par endroits dans l’accrochage des collections l’aspect plus conceptuel peut dominer.

Vue de l’exposition « Allons » MRAC Occitanie, Sérignan 2025 photo Aurélien Mole
L’installation d’Olivier Vadrot, artiste, designer, scénographe
C’est un artiste avec lequel le musée a travaillé à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de l’exposition consacrée au groupe Cocktail Designer en 2010, Olivier étant l’un des trois fondateurs du collectif. Au moment du Covid, je lui ai commandé une œuvre pratique et praticable pensée avec l’équipe du musée pour accueillir les groupes et les visiteurs. Etant à la fois artiste, designer, scénographe et historien, il a proposé l’œuvre sculpture Stadio installée à échelle 1 au rez-de-chaussée du musée et dont on retrouve la maquette à l’étage, ce qui permet de faire l’expérience de l’œuvre et d’étudier le projet. À l’étage, la salle a été composée à partir d’un ensemble de maquettes d’Olivier autour d’une grande plateforme conçue par l’artiste. Tout autour des maquettes, un ensemble d’œuvres de la collection entrent en résonance. Un aller et retour constant entre l’art et le design, l’architecture et l’art, le mobilier et l’art…

Vue de l’exposition « Allons » MRAC Occitanie, Sérignan 2025 photo Aurélien Mole
Autre focus autour de l’artiste Côme Mosta-Heirt
Côme Mosta-Heirt a toujours eu des liens forts avec le musée. Il est le dernier artiste à avoir exposé au Centre d’art Gustave Fayet en 2005, avant l’ouverture du musée. C’est un lien fort qui a été tissé, il a toujours soutenu le musée et l’an passé il a fait une généreuse donation d’œuvres de différentes époques et techniques au musée : installation, sculpture, dessin. C’est donc tout naturellement que je lui ai alors proposé une salle monographique ouvrant ainsi sur le champ de ses recherches des années 1980 à aujourd’hui. Chaque année les dons des artistes jouent un rôle important dans la vie des collections.
Toma Dutter au Cabinet d’arts graphiques propose une réflexion sur les phénomènes climatiques : comment est né ce projet ?
Toma Dutter est un artiste du territoire qui vit à Montpellier. Je suis son travail depuis plusieurs années. Et l’intérêt de sa pratique m’a amené à lui proposer un double projet à la fois une résidence au sein du Lycée Marc Bloch de Sérignan en 2024 et cette exposition monographique au Mrac. Les ateliers avec les lycéens ont donné lieu à une restitution à l’Annexe du Mrac intitulé « Carnets Ouverts ». Pour son exposition au musée, il a souhaité mettre en avant les phénomènes climatiques, notamment les formations de cyclones à la Réunion où il a vécu. C’est tout l’imaginaire du cyclone qui est traduit à travers cette vaste installation sensorielle. L’ensemble du projet a été produit pour l’occasion notamment le wall painting, sur lequel se déploie un ensemble de cadres avec des dessins à l’aquarelle réalisés tout spécialement pour cette exposition, la grande maquette et les vidéos.
Cette exposition s’inscrit dans la manifestation du Printemps du dessin, quels en sont les enjeux ?
Ce dispositif national lancé par l’équipe de Drawing Society (Christine Phal et Carine Tissot) met en avant le medium dessin à travers une large programmation. Le medium n’étant pas assez valorisé et montré dans les espaces d’expositions, le musée est heureux de participer à cette initiative depuis plusieurs années.
Êtes-vous confronté comme d’autres régions à une réduction de budget impactante sur vos activités ?
Même si nous avons des contraintes financières fortes comme l’ensemble des établissements culturels français, nous avons la chance de pouvoir compter sur la Région Occitanie qui soutient pleinement l’établissement (acquisitions et fonctionnement) et continue à s’engager pour l’art contemporain et plus largement la culture pour tous. Nous pouvons ainsi maintenir nos missions de service public.
Infos pratiques :
« Êtes-vous triste ? » Sophie Calle
Jusqu’au 21 septembre 2025
« Cyclogénèses » Toma Dutter
Jusqu’au 21 septembre
« Allons » nouvelle exposition des collections
Jusqu’au 4 janvier 2026
Mrac Occitanie
https://mrac.laregion.fr/Expos-en-cours
à découvrir également dans la région à Sète au Centre régional d’art contemporain Occitanie, l’exposition de Leonor Antunes (prochaine chronique à suivre).