Esther Denis, Phanère, Centre Wallonie Bruxelles Paris courtesy l’artiste
Dans le cadre du projet archipélique et dissident Symbosium 2-Cosmologies spéculatives, Stéphanie Pécourt maîtresse de cérémonie du Vaisseau Centre Wallonie Bruxelles célèbre une fiction en plusieurs actes, « intrinsèquement chaotique, délétère et corruptrice de sens ». Pour mener à bien cet exercice de désobéissance et de surgissement, elle s’est entourée de plusieurs complices dont Christopher Yggdre et Andy Rankin.
Au sein de l’ilot central l’anarkhè-exposition, aux confins d’un « territoire liminal où cohabitent des œuvres matérielles et immatérielles .. échappant par principe à toute maîtrise et à toute aspiration à la conservation.. » il est question du vivant, d’écosystèmes transdisciplinaires. L’installation d’Esther Denis « Phanère » participe de ces espèces mutantes, de ces forces organiques agissantes à partir d’une réflexion sur les appareils de vision et le régime de l’image. L’une des propositions très forte de cette « terra incognita ».
Artiste et scénographe formée à La Cambre, Bruxelles et à l’EnsAD Paris, j’ai découvert Esther Denis en 2020 à l’occasion de 100% L’expo La Villette en 2020 et la retrouve à Bruxelles au Botanique lors de l’exposition collective Narcosis. Ses récentes collaborations avec les arts vivants se sont déroulées le cadre du KUNSTENFESTIVALDESARTS auprès du metteur en scène Nicolas Mouzet Tagawa et de la chorégraphe Louise Vanneste attestent de deux univers qui se nourrissent et interagissent. Un art total et pluriel qui innerve tout son travail.

Vous présentez l’installation « Phanère » à l’occasion de Cosmologies spéculatives : qu’est-ce que le titre suggère ?
Phanère se présente sous la forme d’un petit diorama encapsulé dans une boîte sombre où l’on découvre une sorte de paysage fantasmé. La scène s’organise autour d’une taxidermie, celle d’un faon, mort ou endormit. Il est discrètement animé par un dispositif mécanique qui simule un souffleartificiel.
Phanère désigne tous les éléments qui poussent de notre corps et tombent ensuite (les poils, les dents, les cheveux..). Des matières qui ont un temps de décomposition différent du reste de notre corps, de notre chair, de notre peau. Une manière pour moi de désigner le corps comme entre deux états : organique et machinique, entre la survie et la simulation.
D’où vient cette inspiration pour le diorama et votre fascination pour les machines optiques ?
Le diorama est un dispositif que j’ai déjà expérimenté dans mon travail. Je porte de l’intérêt à la façon dont on représente la nature et à partir de quel corpus d’outils on y parvient. Je pense aux camera obscura, lucida, aux microscopes…On retrouve beaucoup de dioramas dans les musées de sciences naturelles du XIXème siècle. Ce qui m’intéresse avec ces dispositifs c’est qu’ils impliquent des matériaux et des savoir-faire très différents, ce qui me permet de nouvelles collaborations autour de la peinture, la vidéo, le métal, le bois, le vitrail…
Lors des recherches que j’ai pu mener sur ces formes dioramas, j’ai découvert que se nommait ce mélange d’éléments naturels, réels, et artificiels, artefacts : un paradis.
Je tente de suggérer cette tension au sein de mon travail : reproduire le vivant et l’introduire dans mes œuvres.

Esther Denis, Phanère, Centre Wallonie Bruxelles Paris courtesy l’artiste
Qu’est ce qui se joue autour de la notion de « Politiser l’émerveillement » ?
Cette phrase vient d’un article de Baptiste Morizot et d’Estelle Zhong Mengual et introduit l’idée qu’en regardant au plus près, en se rendant sensibles à des choses assez communes on peut retrouver un réel émerveillement. Dans mon travail, j’essaie de présenter des formes assez communes, comme ce sous-bois avec ce cervidé, qui convoque un imaginaire très présent en histoire de l’art, dans l’idée de retrouver une passion pour des choses terrestres.

Esther Denis, « Rétine » Botanique, Bruxelles photo Luk Vander Plaester
Vous avez exposé à Botanique l’oeuvre « Rétine » : qu’est ce qui se jouait ?
J’ai organisé l’espace sous la forme d’une anamorphose : posé au sol, un miroir circulaire capte deux images projetées qui ne peuvent être vues simultanément. Il est nécessaire de se mouvoir afin de permettre à notre œil, humain, de découvrir celui d’un animal, celui d’une brebis et de son regard enpupille carrée.
L’œuvre se jouait à la fois au sol et, de façon plus céleste, sur le plafond du Botanique ; un jeu de gouttes d’eau sur le bassin faisait vibrer l’ensemble.
L’idée était de présenter nos corps comme hébergeant un de point de vue spécifique et déterminéselon la manière dont notre anatomie est structurée.
Si nous avions un corps qui nous permettait de nager ou de voler, de se mouvoir différemment, cela impliquerait un rapport au monde autre. D’où cette envie de prendre la figure de l’oeil pour parler d’optique et de corps perspective.

Esther Denis, « Rétine » Installation / Anamorphose, Botanique 2024, Bruxelles photo Luk Vander Plaester
Scénographe ou artiste ?
Je suis les deux à la fois avec, d’une part, une pratique d’atelier quotidienne autour de mes installations et, d’autre part, un rôle de scénographe ; comme récemment à Bruxelles, j’ai collaboré sur deux deux pièces présentées dans le cadre du KUNSTENFESTIVALDESARTS, avec le metteur en scène Nicolas Mouzet Tagawa au Théâtre national Wallonie Bruxelles et avec la chorégraphe Louise Vanneste pour sa pièce MOSSY EYE MOOR – présentée à la Raffinerie.
Je travaille aussi avec Frédérique Aït-Touati et sa compagnie Zone Critique.
Je collabore souvent avec des artistes également chercheurs et cet axe de recherche et de création nourrit beaucoup ma pratique. Pour résumer, ce sont comme des vases communicants qui s’inspirent mutuellement.
Vous avez été choisie par Antoine Platteau pour les vitrines Hermès à l’automne 2023, que retenez-vous de l’expérience ?
J’ai collaboré avec Éléonore Geissier que j’ai rencontré à l’ENSAD Paris et avec qui je partage des préoccupations communes. Nous avons proposé des vitrines sous formes d’aquariums dioramas recouverts de coquillages avec, à l’intérieur, un effet de perspective entremêlants des objets Hermès et des espèces marines. Il y avait tout un jeu de reflet dans des tonalités bleu et vert d’eau. Nous avons principalement travaillé la création vidéo qui était intégrée au dispositif.
Qu’est-ce que le Glasgow Studio ?
C’est un espace partagé par une vingtaine d’artistes dans des ateliers qui restent communicants pour maintenir un lien. Nous avons récemment organisé les Portes Ouvertes du lieu ce qui nous a permis à chacun de dévoiler nos pratiques. C’est un lieu d’entraide et de conseil, de partage que j’ai rejoint en novembre 2024 et que j’apprécie particulièrement.
Vous avez étudié à la fois à Bruxelles et à Paris : Qu’est-ce qui distingue les 2 scènes ?
J’aime beaucoup les deux scènes. Parce que l’on est empreint et traversé par ce qui se passe dans une ville, j’aime faire ces allers et retours et ces différences me nourrissent. C’est à Paris lors de mon mémoire sur les Dramaturgies visuelles que j’ai articulé pleinement ce lien entre art scénique et pratique artistique.
A partir de quel moment avez-vous décidé d’être artiste ?
Je me réfère souvent à ce souvenir de jeunesse quand je faisais partie des chœurs d’enfants à la Monnaie, Bruxelles. De mes 6 ans à mes 18 ans j’ai participé à plusieurs productions d’opéras en tant que choriste sur scène et ai été confrontée à cet art dit total : cette lumière qui surgit de l’obscurité et du silence, ce que permet cette immersion et ces temporalités, ce qui m’a beaucoup marqué. Quand je suis sortie de l’école je souhaitais devenir harpiste, mais cet imaginaire autour de la scène me manquait. J’ai alors décidé de la retrouver par des questions d’espace, plutôt que par la musique. C’est dans cette démarche que je me suis inscrite à la Cambre dans le cadre de ma licence suivie par un Master à l’EnsAD Paris.
Esther Denis en écoute FOMO_Podcast
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Infos pratiques :
Symbosium 2_Cosmogonies spéculatives
Exposition
Jusqu’au 23 août 2025
Programmation associée :
Conférences – éditions – performances – concerts – projections…
HORAIRES : Lundi – mardi – mercredi – vendredi – samedi : 11h00-19h00
Jeudi : 14h – 21h
Centre Wallonie Bruxelles, Paris
Salle exposition
127-129 Rue Saint-Martin, 75004 Paris
https://cwb.fr/agenda/symbiosium-2-cosmologies-speculatives-abyssal-sideral-synthetique