La prochaine adresse de Galerie Jocelyn Wolff au 3 rue de Penthièvre, Paris 8 (septembre 2025) photo Jocelyn Wolff
Nouveau chapitre pour la Galerie Jocelyn Wolff qui quitte le projet collectif Komunuma (Romainville) dont elle était partie prenante pour rejoindre le 8ème arrondissement, un quartier très convoité et historiquement lié à la cartographie Proustienne. Poussé dans cette décision par un contexte de conflit persistant avec le bailleur, Fiminco, Jocelyn Wolff invente un nouvel écosystème en investissant un immeuble haussmannien de rapport, rue de Penthièvre, entièrement requalifié après avoir hébergé un magasin Franprix. Il nous expose les facteurs de ce choix qu’il juge décisif après avoir envisagé d’autres scénarios comme le Palais Royal, à l’instar de galeries prescriptrices telles que Hauser & Wirth, tout en maintenant un esprit de collégialité avec ses confrères galeristes à travers un nouvel engagement au sein du Comité Professionnel des Galeries d’art. Il dresse le bilan de ces six années de partage et d’expérimentation marquantes à Romainville, une utopie devenue réalité, selon ses termes, face au phénomène grandissant de la gentrification des villes et dans le prolongement d’une première implantation dans l’est parisien à Belleville. Un nouveau challenge très stimulant autour d’une méthodologie très fine développée avec l’agence NDA (Noël Dominguez Architecte) en termes d’ergonomie des espaces (bureaux en flex-office) et d’écologie des usages et des pratiques. Les différents espaces de la rue de Penthièvre sont amenés à interagir avec le cabinet de dessins Abraham & Wolff de la rue des Saints-Pères et le manoir normand d’Alvémont (résidence et jardin de sculptures). Comme toute dernière exposition à Romainville, l’artiste Diego Bianchi investit l’ensemble pour un projet hors-normes qui repousse les limites entre sculpture et performance, l’un des axes de recherche de la galerie. A l’ouverture du 3 rue de Penthièvre en septembre, ce sera l’artiste allemand Franz Erhard Walther qui révélera des œuvres historiques. Jocelyn, qui reste globalement confiant face au marché et ses zones de turbulence, signe une stratégie gagnante depuis les débuts de la galerie. Son analyse de retour de NADA Villa Warsaw.

Jocelyn Wolff et la team, galerie Jocelyn Wolff, Romainville photo François Doury
La galerie Jocelyn Wolff rejoint le triangle d’or parisien rue de Penthièvre en septembre : quels facteurs expliquent cette décision ?
Il y a plusieurs facteurs qui se rejoignent. Au départ, la nécessité de quitter Romainville dans un contexte d’insécurité juridique liée au conflit qui nous oppose au bailleur, depuis notre arrivée et une impossibilité à trouver un dialogue capable de résoudre un antagonisme devenu croissant. Je n’ai plus d’énergie à déployer dans ce sens dans un quartier qui présente de plus de nombreux défauts d’exploitation (inondations en cas d’intempéries…). Face à un tel contexte, j’ai décidé de remettre mon énergie à 100% dans mon métier et non de m’épuiser dans des conflits au sein d’un projet qui devrait mobilier l’ensemble de ses acteurs. Je considère que nous sommes poussés au départ. J’ai envisagé plusieurs scénarios au fil de mes recherches tous azimuts à la fois dans le 10ème arrondissement, le 6ème arrondissement, le 3ème ou le 8ème avec la rue de Penthièvre. J’ai choisi le local qui réunissait les meilleures conditions en termes de voisinage, un critère devenu déterminant, au-delà de l’emplacement considéré comme stratégique du 8ème. J’ai hésité avec un autre bel espace dans le 10èmeproche de la gare de l’Est que je pouvais acquérir mais dont la copropriété n’était pas favorable avec la venue d’une galerie. Il faut savoir que les contraintes liées à un ERP, établissement recevant du public, sont très fortes à Paris avec une réelle difficulté à adapter et exploiter des locaux dans un contexte de galerie avec le côté évènementiel des vernissages. Pour résumer, la qualité du bail, du voisinage et un contexte d’exploitation serein ont été des critères déterminants à mes yeux.
Qu’est-ce qui vous séduit dans cet arrondissement redevenu stratégique pour l’art contemporain ?
Cela a toujours été un quartier d’art mais pas forcément contemporain. Même si ce n’est pas tout à fait la même géographie, il y a notamment la galerie Hauser & Wirth qui a fait ce choix étant plus tourné art contemporain que second marché. Si l’on compare avec le Marais, le 6ème, le quartier du Sentier/Bourse du Commerce/Palais Royal qui m’intéressait beaucoup, le rapport qualité/prix du 8ème est plus intéressant. De plus c’est un quartier en croissance et plus porteur de changement que ne l’est le Marais, progressivement envahi par les enseignes de mode avec en plus la fermeture du Centre Pompidou. L’attractivité du 8ème ne peut donc que se renforcer avec plus d’espaces potentiellement disponibles.

Vue de l’exposition Diego Bianchi, ThéâtrEErreuR, courtesy the artist, Galerie Jocelyn Wolff photo François Doury
Vous présentez comme dernière exposition à Romainville l’artiste Diego Bianchi autour d’un théâtre performé : en quoi est-ce un projet emblématique de ce que vous défendez ?
La galerie a une programmation très tournée vers la sculpture et depuis le début de son histoire. La relation entre sculpture et performance est l’un de nos axes de recherche autour d’artistes comme Franz Erhard Walther qui est la figure tutélaire de cette relation et réflexion plus large sur l’art conceptuel dont se saisit une nouvelle génération d’artistes comme Diego Bianchi. C’est un artiste en provenance du Global South selon l’expression désormais consacrée, plus connu en Amérique latine qu’en Europe. Il travaille entre autres avec des matériaux de récupération et en réaction à l’espace de la galerie et a bénéficié d’un temps long de présence en Europe par le biais de sa résidence à la Cité internationale des arts (avec Fondation Antoine de Galbert). Cela a conduit Diego à d’autres recherches dans un contexte de préparation plus conséquent. Ses performances à l’occasion du vernissage s’inscrivent dans un dispositif de renversement ouvert à l’imprévu autour d’une certaine forme d’entropie sociale, en cohérence avec ce qui nous anime.

Vue de l’exposition Diego Bianchi, ThéâtrEErreuR, courtesy the artist, Galerie Jocelyn Wolff photo François Doury
Que retenez-vous de ces années d’expérimentation collective à Komunuma ?
Des amitiés se sont nouées autour de ce projet engageant un bel esprit collaboratif entre les galeries malgré l’adversité que représentait la relation avec le bailleur. D’ailleurs Komunuma n’a en réalité jamais intégré Fiminco. Cette manière de travailler ensemble nous correspondait déjà quand nous étions à Belleville. Nous sommes animés par cette idée de collégialité et depuis le premier jour d’existence de la galerie. Nous l’avons porté à Komunuma pour faire vivre un projet qui reste assez utopique face à la logique de ghettoïsation des territoires en France, une tendance contre laquelle il est difficile de lutter. Faire vivre une galerie d’art pointue à partir du seul marché de l’art, dans un quartier populaire (Belleville, Romainville), reste compliqué. Les logiques urbanistiques puissantes vont à l’encontre de cela et la mixité sociale est plutôt en régression. C’est une lutte épuisante et qui se fait sans aucune forme de soutien politique. Elle était ici, de plus, de manière contre-intuitive, rendu plus complexe car il fallait également se battre contre le bailleur. A un moment, je ne voulais pas que ce qui était d’abord un engagement dans un territoire nouveau, avec une dimension idéaliste sympathique, ne devienne une lutte idéologique, et ce au détriment des intérêts des artistes de la galerie et de son équipe.
Si cela demande beaucoup d’investissement de partir, nous étions dans l’énergie de le faire.
Cette dimension collective et collégiale reprend corps pour moi avec mon engagement nouveau au sein du CPGA. Étant très attaché à cette communauté des galeries à Paris, je trouve qu’il y a un combat à mener désormais au sein de cette entité fédératrice, sans pour autant renier ce que j’ai fait au sein de Komunuma.

Le chantier du 3 rue de Penthièvre courtesy NDA Architecte, Galerie Jocelyn Wolff photo Jocelyn Wolff
Vous avez sollicité NDA – Noël Dominguez Architecte – qui vous suit depuis l’implantation à Belleville : quel cahier des charges avez-vous fixé ensemble pour la requalification de cet espace à géométrie variable ?
Plutôt qu’un cahier des charges, il s’agit d’une méthodologie quasi impressionniste, par petites touches. La façon de penser de Noël Dominguez-Truchot est très différente d’autres architectes qui restent assez abstraits et limités à un cadre et des attendus normatifs. Nous sommes dans une logique plus souple et ouverte, tout en respectant des éléments réglementaires en matière de sécurité notamment. Noël a une vision plus fine d’un espace et de ses contingences. Il est rare de trouver un architecte qui n’est pas tout de suite dans la démonstration de la signature mais dans une finesse d’analyse. Il est très investi auprès des corps de métiers et des matériaux et se rend tous les jours sur le chantier.
Nous visons un réel confort d’exploitation futur dans une approche écologique. L’architecture n’est pas uniquement une forme mais le résultat d’un travail mené en matière d’ergonomie, d’écologie et de qualité de proportion des espaces entre eux. Nous ne visons pas un espace d’exposition monumental ni spectaculaire. Nous souhaitons aller habiter en douceur un espace qui avait été assez malmené par l’occupation du Franprix.

Manoir Alvémont courtesy Galerie Jocelyn Wolff photo Jocelyn Wolff
Comment les différents espaces vont-ils fonctionner entre eux ? à la fois rue de Penthièvre mais également entre le Manoir de Normandie et le cabinet de dessins du 6èmearrondissement ?
La plateforme logistique qui était intégrée à Romainville, va être délocalisée à Bobigny dans le cadre d’un partenariat avec le collectif Le Wonder, dont nous apprécions la rigueur et l’engagement et selon de nouvelles formes d’écosystèmes qui émergent. Cette plateforme de qualité va servir aux différents stockages répartis entre la Normandie, la région parisienne, Hong Kong …mais aussi les projets d’exposition entre la rue des Saints-Pères et la rue de Penthièvre. Le coût du foncier est trop élevé à Penthièvre pour envisager ce genre d’activités (inventaire, envois liés aux foires…) y compris les livraisons dans un quartier qui reste sous haute sécurité. L’espace de Penthièvre a une petite plateforme intégrée à des fins uniquement liées à l’exploitation de l’espace d’exposition et non de l’extérieur. Par exemple après l’exposition de l’artiste Franz Erhard Walther en Turquie, les œuvres iront directement dans l’espace du Wonder avant d’être redistribuées dans différents stockages. Nous aurons un espace dédié aux archives et notamment Imre Pàn dont nous représentons l’estate. Notre sous-sol sera d’une bonne taille même si moins importante qu’à Romainville. Nous allons orienter nos efforts sur l’ergonomie des bureaux autour de flex office afin de ne pas mobiliser inutilement d’espaces. Nous prévoyons également que le samedi sera moins important à Penthièvre qu’il ne l’était à Romainville, ce qui permet une répartition modulable de l’équipe commerciale dans les différents bureaux.

Abraham & Wolff, 12 rue des Saints-Pères, Samy Abraham et Jocelyn Wolff courtesy Jocelyn Wolff photo François Doury
Que préparez-vous pour Basel ?
Je suis en pleine réflexion sur la maquette comme avec des Playmobils ! mais sans aucune anticipation possible autour de Bâle et de l’état du marché. Ma seule certitude est que notre sélection, particulièrement aboutie se fera autour de pièces importantes historiques, toutes nouvelles. C’est un travail que nous amorçons chaque année à la fin du mois de juin d’une part en mettant de côté des œuvres exceptionnelles pour Bâle, d’expositions passées ou à venir que ce soit avec Miriam Cahn, Franz Erhard Walter, William Anastasi mais aussi d’œuvres uniquement nouvelles comme pour Diego Bianchi ou Francisco Tropa. En ce qui concerne la réponse commerciale de votre question, le marché est plus raisonné avec moins d’effet spéculatif, ce qui me rend assez confiant étant donné que la galerie ne se positionne pas sur cet aspect opportuniste.
Comment s’est déroulée l’année 2024 et le début 2025, quelle sont les répercussions d’un contexte politique aussi instable ?
L’année 2024 et le début de 2025 ont été très bonnes pour nous. Nous avons commencé au début des années 2000 dans un cycle très haussier, même si nos artistes et la galerie n’étaient pas encore connus, ce qui ne nous nous a donc pas affecté. Puis 2008 est arrivé avec la crise des subprimes, ce qui a été compliqué pendant 6 mois. La galerie a connu ensuite un développement assez fort puis il y a eu le Covid, suivi par un effet rebond qui a été très positif et dont tout le monde a profité. Depuis 2 ans nous sommes dans un moment suspendu entre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la crise de Gaza et toute la conflictualité dans le champ de l’art autour de ce mélange lié à la dénonciation d’Israël, ce qui perturbe le marché avec en plus une récession du marché de l’art chinois. Un moment compliqué même si nos artistes continuent à développer leur présence dans le système international des expositions et des foires. Si la période était plus favorable, la galerie ferait mieux même si j’ai tout de même l’impression que l’on performe dans cette période. Nous cherchons toujours à anticiper et ce changement d’espace qui représente un investissement important dans ce contexte si particulier, nous engage à réévaluer la façon de penser le business. Si notre programmation anti-opportuniste nous met malheureusement à l’écart de moments un peu miraculeux du marché, elle nous permet de continuer notre développement dans une certaine humilité et en dépit de cette conjoncture internationale plutôt défavorable.
Infos pratiques :
Diego Bianchi
ThéâtrEErreuR
Jusqu’au 19 juillet
Dernière exposition à Romainville !
Prochainement : Ouverture du nouvel espace au 3 rue de Penthièvre, 75008 Paris
Septembre 2025
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