WORTH au Petit Palais, interview Marine Kisiel, conservatrice du patrimoine, département mode XIXe siècle au Palais Galliera 

Vues de l’exposition Worth, Inventer la haute couture au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Crédit : © Pars Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris / Gautier Deblonde

Si Charles Frederick Worth est considéré comme l’inventeur de la haute-couture, son nom reste assez méconnu du grand public. C’est l’une des ambitions de la magistrale exposition qui vient d’ouvrir au Petit Palais en étroite collaboration avec le Palais Galliera. Dans ce bâtiment emblématique de l’Exposition Universelle se déroule l’ascension d’un visionnaire qui connait son âge d’or sous le Second Empire avec comme clientes célèbres la Comtesse Greffulhe (duchesse de Guermantes de Proust), l’impératrice Eugénie ou Elisabeth d’Autriche, ainsi que de riches anglaises ou américaines (Duchesse de Devonshire, Mrs Cartwright, Mrs Astor), il impose une série d’innovations majeures comme l’exclusivité, la saisonnalité ou la diffusion internationale dans les emblématiques enfilades des salons de la rue de la Paix évoqués dans un parcours chrono-thématique qui mêle tous les arts : mode, peinture, sculpture, photographie, arts verriers selon le partis pris défendu par le Petit Palais lors de l’exposition  « le Paris de la modernité » récemment. Travestis et passion pour le déguisement, robes d’intérieur : les tea-gowns, capes et manteaux du soir sous le règne de Paul Poiret, avec en point d’orgue la Robe aux lys, l’une des inventions de Worth restant la ligne princesse (sans couture à la taille). 

Marine Kisiel, conservatrice du patrimoine, département mode XIXe siècle au Palais Galliera, l’une des commissaires, revient sur l’importance donnée à ce destin sur quatre générations mais aussi à toutes celles et ceux qui ont fait la renommée de ces maisons dans un siècle qui voit la naissance de ces grands empires du luxe (Vuitton, Cartier) en parallèle de l’avènement des Grands Magasins. Si les 400 pièces réunies dont 80 modèles sont une occasion unique pour les visiteurs c’est dû à la grande fragilité de ces pièces dont certaines ont été restaurées pour l’occasion et ne seront plus visibles. Un accent est volontairement mis sur l’excellence des savoir-faire français en matière de soieries notamment. S’il n’a pas d’hériter direct, l’influence de Worth est palpable chez de nombreux créateurs souligne la co-commissaire et dans l’imaginaire collectif d’où le choix de diffuser un extrait de la série The Gilded Age (HBO) pour terminer le parcours. 

Marie de la Fresnaye. Paris/Londres : qui donne le ton à l’époque de Charles Frederick Worth ?

Marine Kisiel. Londres est la capitale de la mode masculine, des tailleurs et d’une certaine forme d’élégance que l’on appelle le dandysme et qui grâce à l’anglomanie française dans les années 1830, traverse la Manche et trouve à s’incarner autrement d’ailleurs à Paris. 

La haute couture comme firmament de la création pour la garde-robe féminine reste Paris.

Vues de l’exposition Worth, Inventer la haute couture au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Crédit : © Pars Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris / Gautier Deblonde

MdF. Quel est le style Worth ?

MK. Si l’on parle de Charles Frederick, c’est un style qui évolue au fil du temps. De la crinoline sous le Second Empire pour aller vers le style tapissier dans les années 1870-1880 qui sont à la fois les modes d’une époque et qui s’incarnent à travers des créations particulièrement séduisantes et des modèles qui font florès chez Worth. La véritable invention de Charles Frederick est la ligne princesse (sans couture à la taille) qui n’est jamais mieux représentée qu’avec les tea-gowns. Nous en présentons deux dans l’exposition celle de la section des « 24 heures de la vie d’une femme » dans des tons très clairs et celle de la Comtesse Greffulhe. C’est une ligne très particulière à la maison, reconnaissable entre toutes et mise en valeur jusqu’à l’affiche de l’exposition. 

MdF. De nombreux modèles restent très fragiles, comment leur exposition est-elle rendue possible ? 

MK. Nous présentons dans l’exposition quelques 80 modèles dont plus de la moitié provient des collections du Palais Galliera, ce qui est exceptionnel, traduisant à la fois la richesse de nos collections et le travail de restauration que nous avons mené aux côtés de nos collègues à l’étranger, aucune de ces robes n’ayant été autant mise en valeur jusqu’ici. Leur extrême fragilité a demandé jusqu’à 50 jours de restauration, ce qui est conséquent et notamment la Robe aux lys, qui a été intégralement restaurée et ne sera plus jamais mannequinée. 

Vues de l’exposition Worth, Inventer la haute couture au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Crédit : © Pars Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris / Gautier Deblonde

MdF. De nombreux prêts proviennent des Etats-Unis 

MK. Grâce à l’importance de la clientèle américaine à la fin du XIXème de très belles collections se sont constituées dans les musées de New-York, de Philadelphie, de Chicago. Dès lors nous avons pu travailler avec nos collègues et sélectionner les pièces les plus insignes pour servir notre propos, comme on le fait avec la peinture même si une difficulté supplémentaire se joue autour de la négociation étant donné la fragilité des pièces et la nécessité de restaurer. Cela a demandé un travail de phasage très difficile mais qui fait notre fierté une fois accompli. 

MdF. Quel rôle est joué par le la photographie comme vecteur de promotion de la haute couture ?

MK. Elle est structurante pour la présentation des élites mais aussi des personnalités mondaines jusqu’au théâtre et même aux demi-mondaines, cocottes et autres grandes horizontales et participe de la mise à disposition des modèles, ce que l’on peut vérifier par des plans qui, dès la fin du XIXème siècle, attestent au sein de la maison Worth de la présence d’un atelier de photographie dans les étages supérieurs. Cela se vérifie dans l’exposition avec certains albums très rares provenant des archives de la maison Worth comme ceux exposés en provenance du Victoria & Albert Museum. Il faut imaginer que lorsque l’on créé un modèle, on le photographie, et plus tard on le déposera au début du XXème auprès du conseil des prudhommes pour le protéger des contrefaçons. Avant cela on l’installe au sein de ces albums pour présenter à la clientèle un choix de possibles. Une cliente qui va choisir un modèle pour le voir ensuite porté par une mannequin de la maison puis adapté à sa propre silhouette.

Vues de l’exposition Worth, Inventer la haute couture au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Crédit : © Pars Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris / Gautier Deblonde

MdF. Les savoir-faire français régionaux autour des soieries de Lyon et des rubans de Saint-Etienne sont mis en valeur, cela répondait-il à une volonté de votre part ?

MK. Oui une volonté très forte du commissariat de montrer non seulement l’histoire héroïque d’un homme et de ses héritiers, d’une maison mais aussi d’expliquer ce qu’est l’héroïsme collectif d’une maison qui ne peut se comprendre sans la participation dès 1870, d’un millier d’ouvriers.ères et sans montrer tous les métiers, toutes les coulisses, tous les savoir-faire et les usages qui président à l’élaboration de l’exceptionnel. Cela va au-delà de l’immeuble du 7 rue de La Paix pour évoquer les fournisseurs, la fabrique parisienne que l’on a peu exposée à l’exception des fleurs artificielles dont beaucoup sont conçues à Paris, la dentelle qui vient du Nord et l’industrie de la soie et du ruban à Lyon et Saint-Etienne. La collaboration avec la Maison Tassinari & Chatel nous permet une section très didactique autour de l’élaboration d’un tissu et la richesse des productions. Un album de la maison Faure, de Saint-Etienne, qui produit des rubans de taille pour Worth, permet d’aller au cœur de ce que le modèle détient : ce ruban de taille griffé Worth qui authentifie la pièce.

Vues de l’exposition Worth, Inventer la haute couture au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Crédit : © Pars Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris / Gautier Deblonde

MdF. Worth croise Vuitton et Cartier, de véritables empires en puissance qui annoncent la globalisation

MK. Le XIXème est un siècle de construction de ces maisons et de ces empires. Nombre des collègues des magasins de nouveautés de Worth, premiers commis sont devenus des Boucicaut ou Chauchard. Le MAD l’avait montré dans son exposition sur les grands magasins. Mais Worth fonde une enseigne à part, dans un registre nouveau : une maison de haute couture.

MdF. Nous nous trouvons près d’un ensemble de flacons de Lalique, Worth se lançant dans le parfum dès les années 1920 : en quoi est-ce un témoignage unique ?

MK. Cet ensemble très exceptionnel de flacons Lalique conçus pour Worth vient d’une unique collection privée. Un domaine de collection et de splendeur de cabinet que nous avons la chance de présenter dans toute sa fragilité et sa rareté. 

MdF. L’exposition se referme sur un extrait de la série « The Gilded Age » autour de ces riches clientes américaines, célébrées par Truman Capote, (The Swans) :  pourquoi cette incursion ?

MK. La présence de ce film en point final de l’exposition est une manière de boucler la boucle et de montrer l’influence de Worth sur les consciences à travers cette série à grand succès « The Gilded Age » (HBO) et de redonner à voir combien la mode Worth, un nom plutôt méconnu du grand public est présente dans les imaginaires. Un clin d’œil contemporain pour réactualiser la place de la maison, ce à quoi l’exposition devrait aussi contribuer. 

Infos pratiques :

Worth, Inventer la haute couture 

Jusqu’au 7 septembre

Du mardi au dimanche de 10h à 18h

Nocturnes jusqu’à 20h le vendredi et le samedi

Tarif plein : 17 euros
Tarif réduit : 15 euros

Programmation dédiée

Petit Palais 

Avenue Winston-Churchill 75008 Paris

https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/worth-