Charlotte Moth et Aurélie Voltz, Musée d’art moderne et contemporain, MAMC+, Saint-Étienne : A Rounded Landscape / Un paysage arrondi

Charlotte Moth, Les Couples 2025 Vue de l’exposition, Un paysage arrondi MAMC+ 2025. Copyright Adagp Paris 2025 Photo Aurélien Mole MAMC+

Aurélie Voltz, directrice du MAMC+, a donné carte blanche à l’artiste britannique Charlotte Moth à partir de la collection du musée, très vaste et éclectique entre design, art ancien, moderne et contemporain. Cette première exposition institutionnelle l’a conduite à une véritable enquête de terrain ouvrant une possible narration à partir de rencontres inattendues, sous le prisme du double. Un imposant display accompagne le cheminement du visiteur soumis à des sensations contraires. Les notions de seuils, de filtres, d’espace liminal innervent ce paysage immersif constitué notamment d’une cinquantaine d’images, d’un océan de plumes, d’une forêt métallique, d’un miroir. Un recueil de poésie conçu à l’issue du projet et régulièrement lu par des comédien·ne.s au sein des salles de l’exposition prolonge l’expérience. Charlotte Moth et Aurélie Voltz reviennent alternativement sur les origines du projet, la méthodologie employée, le rôle de la phénoménologie, la place du regardeur… Elles ont répondu à mes questions. 

Aurélie Voltz, comment avez-vous rencontré Charlotte Moth ?

Nous nous sommes rencontrées en 2016, alors que j’étais à Paris. C’est Caroline Hancock, commissaire d’exposition, qui m’a fait découvrir le travail de Charlotte. Elle était engagée dans une exposition à Marseille, pour le prix Marcel Duchamp et d’autres projets. J’attendais le bon moment après la réouverture du musée et les travaux pour l’accueillir. 

Portrait de Charlotte Moth, 2017. Photo Aurélien Mole

Charlotte Moth, pouvez-vous nous expliquer le choix du titre ?

Il suggère une redécouverte lente de la collection. Lorsqu’on regarde certains objets, il peut y avoir une forme de familiarité immédiate   même si pourtant, on n’en sait presque rien. Ce paradoxe m’a particulièrement intéressée : cet état de présence au tout début, fait d’intuition mais aussi d’inconnu, et la tension qui accompagne peu à peu la révélation.

Il y a là une dynamique circulaire qui me fascine : quelque chose se détruit, puis se reconstruit, peut-être à l’identique, peut-être pas. Ce phénomène, qui semble aller à l’encontre de ce que l’on considère comme naturel, m’a profondément interpellée.

Aurélie, Comment avez-vous imaginé ce projet avec Charlotte ? 

Nos échanges ont commencé autour de son travail. Il m’est rapidement apparu comme une évidence que je voulais l’inviter. Je savais que Charlotte plongerait en profondeur dans la collection, dans une proximité avec notre propre démarche au musée. Il me semblait pertinent qu’une artiste contemporaine s’immerge dans l’histoire du musée, dans son architecture, mais avec un regard différent. Pour moi, cela crée une forme d’écho.

Charlotte, Quel a été le point de départ du projet ? Votre méthodologie ? 

La première chose qui m’a semblé essentielle, après mes échanges avec Aurélie, a été de venir ici, de découvrir le lieu et de comprendre l’identité du musée. Nous avons rapidement réalisé qu’il était fondamental d’avoir accès au système Navigart, qui réunit plus de 23000 objets de la collection en ligne — ce qui est considérable. J’ai également pu explorer de magnifiques ouvrages consacrés à la collection, ce qui m’a permis de mieux saisir l’essence du musée et sa relation à l’architecture, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. L’élaboration de ma sélection a été un processus long et minutieux.

Charlotte Moth, Formes simples et Enjambement, 2025. Vue de l’exposition Un paysage arrondi, MAMC+ 2025, Copyright Adagp Paris 2025 Photo Aurélien Mole MAMC+

La question du display est essentielle pour vous ?

Je pense que cela renvoie à la question de la sculpture, à l’histoire des objets et à la manière dont les images sont présentées. Il s’agit aussi de la façon dont on peut établir une rencontre physique avec ces environnements, et de la manière dont cela peut ouvrir un espace propice à l’imagination, un espace à la fois profondément personnel et partagé collectivement. C’est en ce sens que cette question me semble fondamentale.

J’ai réellement souhaité engager un dialogue avec l’architecture, explorer l’immensité de l’espace, et interroger le musée de l’Intérieur, à travers la révélation d’un sens des proportions, des échelles, ou encore de la taille des ouvertures et des passages. Ce fut un processus long, parfois méditatif. Je suis revenue à plusieurs reprises, cinq ou six fois, pour photographier différents ensembles d’objets ou d’œuvres.

Il s’agissait, en somme, de réfléchir à un double filtre : d’abord, les objets que je pouvais photographier et manipuler, puis ceux, trop fragiles ou inaccessibles, qui échappaient à toute forme d’intervention. 

Aurélie, Que pensez-vous de ces « rencontres inattendues » ? Est-ce que cela fonctionne selon vous ?

Ce que j’apprécie particulièrement à travers ce projet c’est l’opportunité mise en œuvre de Charlotte de faire un travail avec nous, en intégrant véritablement notre univers. Je ne savais pas exactement à quoi m’attendre, mais je pressentais que ce serait quelque chose de singulier. Et, d’une certaine manière, je ne reconnais même plus nos objets, ce qui est très intéressant. Charlotte crée de nouvelles esthétiques, de nouvelles connexions, parfois à partir d’une seule image qu’elle appelle un « couple ».

Charlotte, l’expérience phénoménologique et la place du visiteur est essentielle selon vous 
Le visiteur est l’interface. Une exposition n’existe pas sans lui. Il y a là une dimension humaine qui m’est très chère. J’ai vraiment souhaité créer quelque chose de doux et de chaleureux, notamment à travers le travail de la lumière, en lien avec la question de l’espace immersif. Lorsqu’on est plongé dans cet environnement, on accède à une première approche des matériaux, à une expérience phénoménologique.

Charlotte. Pourquoi la couleur lilas vous fascine-t-elle ? 

Cela renvoie à ma fascination pour la découverte de cette figure à la fois complexe et captivante qu’est Robert Malaval, un artiste que je ne connaissais pas auparavant. La sculpture « Deux pieds : le gauche et le droit » a été pour moi une porte d’entrée vers sa propre fascination pour les matériaux qu’il concevait. J’y ai perçu un pied fragmenté, désincarné. Une relation étrange, belle et troublante s’est nouée avec cette sculpture.

Quelque chose s’est joué de manière très naturelle autour de cette idée de fusion entre deux éléments. Cela touche aussi à la question du langage, à la manière dont on associe deux choses, et à ce que cette mise en relation peut révéler.

Charlotte. Le langage, la poésie… écrire et performer de la poésie ?

Comme Aurélie l’a précisé lors de notre visite, il ne s’agit pas uniquement de recherche intellectuelle, mais d’un engagement sensible, presque corporel, avec les œuvres, une manière de pénétrer leur matérialité, de comprendre les histoires qu’elles portent. Car chaque œuvre contient en elle une multitude de récits : certains heureux, d’autres plus sombres ou encore empreints d’étrangeté en raison de contextes particuliers, de situations historiques ou de lieux géographiques et culturels spécifiques.

Par exemple, l’oiseau issu de la collection de Victor Brauner m’a conduite à assister à un colloque à Grenoble, simplement pour mieux comprendre sa relation avec l’art non européen. C’est à travers ce genre d’enquêtes autour de Brauner que la question de son héritage au sein de la collection du musée s’est peu à peu dévoilée, tout comme les connexions silencieuses entre les œuvres.

Les poèmes ne sont pas nés au début du projet, mais bien après, comme un prolongement. Ils sont le fruit d’un processus plus sculptural, presque descriptif. On pourrait les rapprocher de lekphrasis, cette forme poétique de la Grèce antique qui visait à donner vie, par les mots, à des objets ou des œuvres à travers une description riche et évocatrice.

Des fragments de ce recueil les Couples sont lus et performés chaque semaine par un.e comédien.ne dans l’espace de l’exposition vêtus de costumes flamboyants que j’ai imaginés. 

Charlotte et Aurélie. Comment s’est faite la collaboration avec l’atelier d’impression risographique Chalet Suisse (Saint-Étienne)

Ch M.  C’était une nouvelle expérience pour moi à partir d’un photogramme 16 mm de mon film Poids plume, décliné en un multiple. Cette technique japonaise permet un tirage unique à partir d’encres naturelles.  De multiples expérimentations sont possibles autour d’un large choix de matières comme des structures de papier plus organiques, ce qui, à mon avis, fonctionne mieux avec les images analogiques. La question de la lumière dans le tirage est également intéressante. 

AV. C’est une nouvelle formule qui permet aux artistes de produire quelque chose ici, pour celles et ceux qui se prêtent au jeu de la photographie. Une édition est proposée en vente à la librairie à 250 exemplaires signés, datés, au tarif de 30 euros. L’aspect très accessible nous semble important. Nous avons commencé avec David Meskhi et nous poursuivrons de dispositif avec Gernot Wieland à l’automne.

Catalogue à paraitre édité par le Musée avec un texte introductif d’Aurélie Voltz, un entretien entre l’artiste et la commissaire Caroline Hancock et un essai de Lisa Le Feuvre. 

Charlotte Moth est représentée par la galerie Marcelle Alix, Paris 

À découvrir également lors de votre venue, l’exposition rétrospective de Pierrette Bloch, fascinante à plus d’un titre (lien vers mon article

Infos pratiques :

Charlotte Moth, A Rounded Landscape / Un paysage arrondi 

Pierrette Bloch, La peinture par d’autres moyens 

Jusqu’au 21 septembre

Musée d’art moderne et contemporain, Saint-Etienne Métropole

Rue Fernand Léger – 42270 Saint-Priest-en-Jarez

https://mamc.saint-etienne.fr/fr/expositions