Pierrette Bloch au Musée d’art moderne et contemporain, Saint-Etienne. Art du silence et de l’enchevêtrement

Pierrette Bloch, ensemble de 25 dessins au pastel, à l’encre et au crayon blanc sur divers papiers noirs, 2015. – Courtoisie Ceysson & Bénétière. © ADAGP, Paris, 2025

L’exposition Pierre Bloch « La peinture par d’autres moyens », titre inspiré de Daniel Abadie, trouve son écrin idéal au MAMC+ Saint-Etienne dont l’architecture noire et blanche faire de minimalisme et de sérialité renvoie à toute sa démarche et celle de nombreux artistes de la collection avec qui elle a entretenu des affinités et correspondances, à commencer par Pierre Soulages dont l’influence sera forte et dès leur rencontre en 1949 autour de cette matérialité du noir qu’elle n’aura de cesse de convoquer. Faite de rupture et de continuité, d’impasses et de fulgurances, de contrainte et de liberté, la pratique solitaire et obsessionnelle de Pierre Bloch (1928-2017) est magistralement révélée par cette ambitieuse exposition qui lui rend hommage dans une perspective élargie aux enjeux de son époque et non concentrée sur une redécouverte dite féminine, ce dont elle s’est toujours méfiée et défendue. L’initiative d’Aurélie Voltz, directrice du MAMC+ est donc remarquable dans sa capacité à révéler des facettes inédites ou évincées et la grande cohérence d’une trajectoire faite de doutes, de ratages et de répétitions. La directrice du MAMC+ s’est entourée pour mener à bien cette entreprise, qui a pris pas moins de 5 années de prospection, de David Quéré, ayant droit de l’artiste, à l’origine du Fonds de dotation Pierre Bloch, physicien et professeur à l’École Polytechnique. 

Si Pierrette Bloch est connue pour ses alignements de tâches d’entre sur papier auxquels elle consacre 30 ans de son existence, il serait réducteur de l’enfermer dans ce protocole. C’est l’un des enjeux du parcours qui s’organise autour de 5 grands motifs.

La première salle intitulée « les prémices » se concentre sur ses explorations et germinations initiales entre les fusains figuratifs de danseurs chez le mime Ducroux à partir de sa relation amoureuse avec Alvin Epstein, ex-GI et apprenti-acteur, les essais de l’estampe et de la peinture à l’huile et le travail sur papier autour de grands collages. De nombreuses peintures de ces années que l’artiste qualifie d’ «errances» n’ont pas été conservées. 

Pierrette Bloch dans son atelier, Paris, vers 1950 © Adagp, Paris, 2025

Un point décisif se joue lors de ses deux voyages à New York en 1951 et 1968 où elle côtoie la scène minimaliste américaine d’alors, Robert Rauschenberg et découvre la musique de Philip Glass ou Steve Reich qui va profondément l’influencer, de même que la littérature, notamment Joseph Conrad. Elle rompt avec une pratique traditionnelle de la peinture en 1966 et se tourne vers les collages sur isorel comme cela est illustré dans la 2ème salle, l’une des plus intense autour de ses ratés qu’elle réemploie par fragments, qu’elle superpose, recycle, notamment à partir des dessins à l’encre de Chine qu’elle épingle sur des toiles peintes d’un bleu de cobalt dans une rare incursion vers la couleur. 

La nature sérielle est adoptée à partir de 1971 avec les papiers tachés d’encre de Chine. Une évolution qui va l’occuper pendant 30 ans entre minimalisme et répétition, ordre et désordre, selon le titre de cette section. Usage exclusif du noir, simple papier blanc et large pinceau qui correspondent à une quête d’économie de moyens. Entre les diagonales et les horizontales se glisse parfois des gouttelettes d’encre parmi la neutralité et radicalité de ces formes rondes. Un brin d’humour et un pas-de-côté qui lui ressemblent. 

A partir de 1973, date importante, Pierrette Bloch se tourne vers le textile à partir de mailles de corde et de ficelles puis de chanvre tricotées, assemblées et cousues sur feutre. Un geste dans le prolongement des encres comme le souligne Aurélie Voltz. Elle passe ensuite au crin de cheval dans une sorte d’Anti-form et l’on se souvient de la magnifique exposition Robert Morris du MAMC+. 

Pierrette Bloch va basculer peu à peu vers la sculpture dans un dialogue tendu avec l’ombre, les fils de crin étant entortillés sur un fil de nylon tendu entre deux épingles, créant un aspect de profondeur nouveau. Les noms des œuvres de cette série indiquent le type de boucle employée : GB : grandes boucles, BE : boucles écrites, BS : boucles serrées… L’artiste conserve à l’atelier dans de grands paniers de paille des queues de cheval de crin dont le motif la fascine. Une évocation de son univers et de l’atelier de la rue Antoine Chantin (Paris 14ème) est recréée dans la dernière salle de l’exposition. 

En parallèle naissent les pages d’écriture exécutées sur du papier à lettre A4. Des mailles d’encre réalisées assise à une table et non plus au sol dans une sorte de all-over, dense et superposé que l’artiste ne considère pas comme une écriture. L’encre se fait plus pale par endroits. Des compositions qui pourraient ressembler à une partition musicale. Dans les années 1990 apparaissent également les dessins saturés à partir de points minuscules selon les mêmes alignements hypnotiques. Elle se met ensuite à encrer de longues bandes de papier marouflées sur un support en bois, lui donnant l’aspect d’une sculpture et condensant différant motifs. « Allez-voir à l’atelier, souriait-elle. J’y ai fait quelque chose d’absolument invendable ». Cette farouche volonté d’autonomie et de distance vis-vis du marché s’explique aussi par la rente qu’elle hérite de son père et qui lui permet une relative indifférence. Elle a cependant assez vite attiré l’attention de musées internationaux de premier ordre : le MoMa, le Centre Pompidou… 

Dans les dernières années de sa vie elle s’ouvre à des outils différents (craie, huile, gouache, mine de plomb), des natures de papiers autres, dont certains transparents ou scarifiés. Très beaux papiers asiatiques faits de verticales flottant et dansant avec l’air. Une remise à plat et confrontation avec la monumentalité. Certaines résurgences surgissent. Ce « décousu », selon le beau titre de cette section se cristallise avec sa dernière œuvre commandée par le CNAP qui est comme une tentative de résolution ultime de ses recherches, ces quelques tâches sur une seule ligne horizontale dans la profondeur du noir. Constellation infinie. Temps suspendu. 

La dernière salle évoque les amitiés et affinités de Pierrette Bloch avec plusieurs artistes de la collection, même si elle est toujours restée très indépendante des autres regards : Pierre Soulages et son épouse Colette, Jean-Michel Meurice qui l’incite à s’installer à Bagès, près de Narbonne, Claude Viallat ou Pierre Buraglio. Elle se prête rarement à l’échange d’œuvres et n’affichait pas sur ses murs des œuvres de ses amis à quelques exceptions près. 

A noter que le musée Soulages de Rodez a consacré l’année dernière une exposition à Pierrette Bloch intitulée « Discrete Series. Pierrette Bloch, l’amie peintre » à laquelle Aurélie Voltz et David Quéré ont contribué. Michel Hilaire, directeur du musée Fabre de Montpellier l’avait précédé à la suite d’une donation de onze œuvres de Pierrette Bloch.  Si la démarche du MAMC+, Saint-Etienne réunissant plus de 200 œuvres déployées sur plus de 1000 m2 se détache, c’est notamment par le nombre important d’œuvres provenant de collections privées. Une soirée spéciale de levée de fonds a été exceptionnellement organisée afin que le musée puisse acquérir et compléter sa collection parcellaire d’une œuvre majeure de l’artiste. 

Catalogue Coédition MAMC+Saint-Etienne et Bernard Chauveau éditions

304 pages, bilingue, 47, euros. Disponible à la librairie du musée.  

A ne pas manquer lors de votre visite, l’exposition à l’autre artiste femme, la britannique Charlotte Moth, qui a eu carte blanche à partir de la collection du musée. Interview à suivre. 

Infos pratiques :

Pierrette Bloch La peinture par d’autres moyens

Jusqu’au 21 septembre 

Musée d’art moderne et contemporain, Saint-Etienne Métropole 

Tarifs

Plein : 6,50 euros

Réduit : 5 euros

https://mamc.saint-etienne.fr/fr/expositions/pierrette-bloch-1928-2017