Nouvelle saison d’art, Chaumont-sur-Loire : aux confins du merveilleux

Olivier Leroi intervention in situ Domaine de Chaumont-sur-Loire 2025 photo Eric Sander

Ouverture de la Saison d’art 2025 au Domaine de Chaumont-sur-Loire et son annexe le Bois des Chambres lodge éco-responsable au bord d’un étang, pour vivre une expérience extra-sensible où il est question d’impermanence, de dialogue avec le vivant, de cabane et de forêt primaire, dans une certaine économie du geste. Seul bémol : peu d’artistes internationaux (baisse de budget ou souci d’empreinte écologique ?) dans ce panorama qui incite à aiguiser son regard et rester aux aguets selon l’expression de Chantal Colleu-Dumond, maîtresse des lieux toujours très inspirée. 

Cette quête de l’étrange et du merveilleux commence avec Olivier Leroi qui a disséminé un peu partout dans le parc et l’aile ouest du château ses détails : des miroirs, un œuf, une chouette, une plume d’oie sauvage ou de faisan vénéré, sur le ton de l’humour et du surréalisme. Précision qui a son importance : Olivier Leroi a d’abord été forestier avant de devenir artiste. 

Dans la clairière des lierres, la sculpture en bronze de Stéphane Erouane Dumas « Les âmes sœurs » inspirée par les falaises crayeuses de Normandie joue des porosités entre métal et végétal, céramique et sculpture. L’artiste entretient un lien en continu avec Chaumont ayant exposé son projet monumental pour la Verrière Hermès Bruxelles en 2014. Deux ans plus tard il revient autour de peintures de forêts saisies par le gel de l’hiver. Ses nouvelles expérimentations de la céramique sont dévoilées à Chaumont également devant le bassin de la cour de la ferme. 

Nicolas Alquin, Bois Révélés, Domaine de Chaumont-sur-Loire 2025 photo Eric Sander

Autre sculpteur, Nicolas Alquin qui dans la Grange aux abeilles révèle ces grandes silhouettes de cyclopes aveugles échappés de la forge de Vulcain dont les influences des arts premiers sont palpables. Un théâtre d’ombres dans cet espace/écrin. 

Daniel Firman, Le sommeil en forêt, Domaine de Chaumont-sur-Loire 2025 photo Eric Sander

Dans les écuries, l’éléphant de Daniel Firman « Le sommeil en forêt » va vite devenir la mascotte de cette saison. Clin d’œil à l’excentrique Princesse de Broglie qui avait reçu en cadeau du Maharaja de Kapurthala une femelle éléphante « Miss Pundgi » qui sera ensuite confiée au Jardin d’Acclimatation. L’artiste qui pilote depuis son téléphone la création en imprimante 3 D de ses pachydermes, joue sur les lois de la gravité avec des œuvres qui voyagent dans le monde entier. Une fois passé l’effet waouh, on est loin du geste du sculpteur. 

Anne et Patrick Poirier Le monde à l’envers Domaine de Chaumont-sur-Loire 2025 photo Eric Sander

Étrange phénomène à l’œuvre également avec le duo Anne et Patrick Poirier dans les entrailles du château, proche de l’installation permanente magistrale de Kounellis. « Le monde à l’envers » est un lustre qui défie aussi l’équilibre avec ces dualités de matériaux : fausses perles, bronzes noircis, couteaux aux lames tranchantes, le point de départ étant leur rencontre à la Villa Médicis avec l’artisan d’art Régis Mathieu à l’origine de la renaissance des lustres de la galerie des glaces de Versailles. L’idée est de révéler la catastrophe d’un monde qui marche sur la tête !

Claire Trotignon No trestle, standard, 2016 collection privée courtesy l’artiste

Claire Trotignon que j’ai plaisir à retrouver (cf notre entretien Prix Art [ ] Collector 2022) déploie un large palimpseste aux confins de la ruine et de la broderie. Une installation spécialement réalisée pour cette Saison dans la galerie basse du Fenil et qui a demandé de nombreuses heures de travail. Ce panorama en apesanteur joue sur les effets de vide et de plein, de dessin et de collages, offrant différents niveaux de lecture. 

Yann Lacroix, Stay 2023 courtesy l’artiste

Les paysages luxuriants de Yann Lacroix, sortes d’images rémanentes qui révèlent leurs traces mais aussi leur possible effacement. A partir de clichés récupérés sur internet, l’artiste met en place des environnements composites. A noter que Yann a été lauréat 2024 de la nouvelle résidence Fondation Bullukian/Abbaye de Fontevraud. 

L’artiste et photographe Sophie Zénon propose dans l’Aisnerie sa dernière série « L’herbe aux yeux bleus » à partir de ses recherches sur cette plante, la Bermudienne des montagnes, introduite par les soldats américains pendant la Première Guerre mondiale en Lorraine. A partir des mouvements et aléas géopolitiques de l’histoire, se dessine une histoire en creux d’un territoire, certaines de ces plantes étant devenues invasives, d’autres ayant survécu plus difficilement. Le végétal devient alors le vecteur d’une mémoire des migrations humaines, rehaussée par des protocoles photographiques primitifs. 

Miguel Chevalier est de retour avec « Meta-nature IA a quatre saisons » dans la galerie digitale du château pour les amateurs d’art numérique. Un environnement pluridisciplinaire foisonnant entre abysses et tourbillon qui personnellement me touche moins. Un reflet trop programmatique des mutations de la nature. 

Je garde le meilleur pour la fin avec le duo G&K, Fabienne Verdier et Vincent Laval, artiste-marcheur-cueilleur à qui j’ai consacré un interview (lien vers).

Galeries Agnès Varda : G&K 

G&K, La forêt qui murmure, œuvre immersive © G & K

Katarzyna Kot et Stéphane Guiran se sont rencontrés à Chaumont-sur-Loire en 2022. Ils décident de se consacrer aux grands espaces naturels sensibles et millénaires, les Grands vivants. Après le glacier Vatnajökull, ils s’immergent dans la dernière forêt primaire en Europe : la Puszcza Bialowieza polonaise, pays de naissance de Katarzyna. Située sur l’une des routes des migrants, elle a connu des coupes radicales jusqu’en 2017. Une histoire synonyme également de guérison à travers la présence des « femmes murmures », guérisseuses traditionnelles. Tout un substrat recréé par la vaste installation du duo à travers des dessins, photographies et un rituel musical interactif conçu avec le studio Isotone de Montréal. Une expérience vibratoire et contemplative. 

Fabienne Verdier, Poétique de la ligne

La grande exposition de Fabienne Verdier sous le commissariat de Guillaume Logé, chercheur, pour les galeries hautes du Château ouvre de nouvelles perspectives sur sa pensée et ses sources d’inspiration en convoquant d’autres artistes. Un catalogue est spécialement publié pour l’occasion.

Fabienne Verdier, Cercle – Ascèse Or, 2012 Acrylique et technique mixte sur toile, 183 x 135 cm © F. Verdier

A partir de la ligne, le parcours de Fabienne Verdier est retracé depuis son apprentissage auprès des grands maîtres chinois jusqu’à l’immersion new-yorkaise de l’expressionnisme abstrait à la Julliard School, l’atelier de la Montagne Sainte-Victoire et celui du Vexin. Une quête de l’impermanence et des vibrations naturelles, des forces invisibles dans une tension du geste à partir de pinceaux créés sur mesure. Le flux de la matière et la calligraphie d’un silence habité. Entre rigueur et improvisation, une possible plénitude. Parmi les filiations l’on remarque le film expérimental du cinéaste et photographe Ralph Steiner autour du pouvoir de l’eau, ses infinis miroitements que cherche à capter Fabienne Verdier. Le sens du sacré est également une composante fondamentale, un dialogue avec ce qui nous transcende magnifiquement joué dans la dernière salle du parcours avec ces triptyques dans l’héritage des grands peintres flamands auxquels elle s’était confrontée à Bruges au musée Groeninge.

A venir, pour compléter votre visite le Festival International des Jardins dont la thématique 2025 est la magie des contes !

Infos pratiques :

Saison d’art 2025, 

Domaine de Chaumont-sur-Loire 

Expositions et installations d’art contemporain 

Jusqu’au 2 novembre 2025

Château, parc cet écuries 

Hôtel du Bois des Chambres