Marc Chagall, Le nu au cirque-circa-1980 crédit Galerie Larock-Granoff
Les Larock représentent la 4ème génération de descendants de Katia Granoff, ukrainienne arrivée à Paris 1924, pionnière, qui a défendu les impressionnistes et su imposer sa galerie face aux puissants marchands parisiens d’alors Vollard, Rosenberg, Bernheim-Jeune…un destin flamboyant qu’Edouard et Gabrielle Larock ont retracé à l’occasion du centenaire de la galerie en 2024 à travers la sortie d’un livre écrit par Clotilde Scordia, aux éditions Mare & Martin. Je rencontre Gabrielle à l’occasion de la première participation de la galerie au Salon du dessin, ayant déjà entendu parler de son engagement auprès des artistes femmes par le biais de Margaux Desombre et de cercles de paroles, autre domaine qui la passionne. Ne venant pas du sérail, Gabrielle retrace son apprentissage de l’art et sa fascination pour cet univers familial au point d’abandonner l’univers de la tech pour se lancer pleinement dans l’aventure à son tour. La saga continue.

Gabrielle Larock, Galerie Larock-Granoff crédit Sophie Labruyère
Marie de la Fresnaye. La galerie participe pour la première fois au Salon du dessin : quels facteurs expliquent cette décision ?
Gabrielle Larock. Cela rejoignait un faisceau d’évidences, la galerie étant centenaire, le dessin a toujours été au cœur de ce qu’elle défend et présent sur nos cimaises au fil des générations d’artistes. Nous avons souhaité à l’occasion de ce centenaire remettre en avant ce medium auquel nous ne sommes pas obligatoirement associés même s’il y a toujours des dessins à chacun de nos accrochages. Parmi les foires que nous avons identifiées, le salon du dessin est un événement à la fois prestigieux tout en restant à taille humaine. Cela a été une satisfaction d’être sélectionnés. Nous avions l’habitude de proposer une exposition autour du dessin pendant le salon, ce qui donne un double éclairage et rayonnement à ce medium que nous affectionnons particulièrement. Il s’agit en l’occurrence de Diane Victor dont nous présenterons une œuvre au Palais Brongniart.

Façade de la galerie, 13 Quai de Conti, 75006 Paris photo Isabela Mayer
MdF. Qu’allez-vous proposer à cette occasion ?
GL. Nous allons faire une sélection dans chaque génération des artistes de la galerie pour offrir une frise de 125 ans de création, l’œuvre la plus ancienne étant un Charles Angrand de 1900 jusqu’à des œuvres de 2025 de Margaux Desombre parmi nos artistes contemporains. Seront proposées des œuvres de Marc Chagall, Raoul Dufy, Amédée Ozenfant, Jean Messagier, Pierre Tal Coat, Martial Raysse, Roland Toupet, Théo Lopez, Daniel Hourdé…Selon la volonté qui nous anime avec Edouard depuis qu’il a repris la galerie aux côtés de son oncle Marc, nous souhaitons représenter l’art de notre temps, nous avons sollicité 13 de nos artistes contemporains pour leur demander de nous proposer une œuvre de dessin. L’art du grand écart en quelque sorte autour de ces deux grands pôles qui nous animent.

Margaux Desombre, La chambre de la rue Levert, 2025. A querelle japonaise, encre, crayon de couleur sur papier
MdF. Margaux Desombre est l’une des artistes choisies, qu’est-ce-qui vous séduit dans sa pratique ?
Je suis son travail depuis 4 à présent. Cette capacité de renouvellement est ce qui me passionne chez les artistes. Au départ rectiligne de par sa formation d’architecte, son univers et sa palette chromatique ont beaucoup évolué au fil de ses voyages et rencontres. J’avais envie de montrer son dessin, ce qu’elle ne met pas le plus en avant. Au-delà de sa pratique, ce qui m’a attiré est sa personne car il faut le rappeler le métier de galeriste se fait dans le contact et la collaboration sur le long terme.

Vue de l’exposition Les métamorphoses, Diane Victor, Galerie Larock-Granoff, crédit photo Sophie Labruyère
MdF. En ce qui concerne Katia Granoff, comment vous inscrivez-vous dans son héritage ?
GL. Il y a plusieurs réponses à cette vaste question. Tout d’abord je parlerais de gratitude car elle a su ouvrir sa galerie à de multiples générations et nous transmettre passion et confiance, ce qui n’est pas toujours acquis dans les histoires familiales d’entreprises qui se transmettent de génération en génération. De plus j’ai un regard extérieur en tant qu’épouse d’Edouard ce qui me donne la chance de garder la bonne distance et de voir les choses de façon plus claire. Cette passion s’est transmise de Katia à son fils Pierre qui l’a lui-même transmise à ses 2 fils Pierre et Marc qui l’ont ensuite transmis à Edouard et elle continue à beaucoup infuser. De plus, il y a la notion de proximité et de collaboration avec les artistes contemporains, comme Katia l’a toujours fait. Plutôt que d’écouter les recommandations des autres marchands qui lui disaient d’acheter uniquement des impressionnistes et de se limiter à des valeurs refuges, il était beaucoup plus important pour elle de vivre avec son temps. Une force qu’elle nous a léguée autour de cette prise de risque. Il y a une fierté et une cohérence à défendre des artistes contemporains aux côtés d’artistes plus reconnus. Tout ce bagage nous permet de nous inscrire dans ce large éventail. Nous aimons cette collaboration avec la jeune création qui a toujours été inscrite dans l’ADN de la galerie.

Katia Granoff à Cannes devant une oeuvre de la série des Nympheas années 1970 © Droits réservés
MdF. Vous êtes à l’origine d’un certain nombre d’initiatives à destination des femmes : en quoi la notion de sororité, vous parle- t-elle ?
GL. J’ai toujours donné la parole aux femmes, cela a toujours été un fil rouge dans mon parcours. Que ce soit chez YouTube où j’ai auparavant travaillé, je mettais en avant les créatrices de contenu qui étaient moins visibles. J’ai été l’une des cofondatrices du Curiosity Club, qui organise des conférences et agit en faveur de l’égalité. J’organise tous les mois à la galerie des rendez-vous intitulés « Good Morning Impact » autour de sujets de société, avec Caroline Blaes, journalist. J’ai la chance d’être assez tournée vers l’extérieur donc je rencontre beaucoup de personnes que ce soient des artistes ou des designers avec qui je noue de vrais liens. Au début, j’allais voir leurs expositions, puis nous avons échangé, je les ai exposées dans des expositions collectives et personnelles. Un lien peut-être plus naturel parce que je suis une femme mais ayant conscience de la sous-représentation des femmes dans l’univers artistique et la société en général, je souhaite contribuer à ma façon à un nécessaire rééquilibrage. Là encore je n’invente rien et Katia a toujours exposé des artistes quel que soit leur sexe et leur origine.

Vue de l’exposition Les métamorphoses, Diane Victor, Galerie Larock-Granoff, crédit photo Sophie Labruyère
MdF. A quand remonte le déclic de vous dédier entièrement à l’art ?
GL. Ce n’est pas aussi radical mais plus de l’ordre du cheminement avec Edouard depuis 17 ans. Nos échanges et la proximité et l’écoute des histoires de sa famille m’ont captivé, ne venant pas d’une famille qui fréquentait les musées ou collectionnait les œuvres. De plus s’est ajouté la figure de Katia. On a fait l’éducation de mon regard en quelque sorte. Voir Edouard évoluer dans ce monde, commencer à travailler avec des artistes, mettre en place des expositions et échanger avec lui m’a nécessairement influencé jusqu’à ce que nous envisagions une réelle collaboration. Nous nous répartissons les rôles. Je crois en la force du collectif car c’est cette mutualisation qui permet de rester plus à l’écoute, de rencontrer plus d’artistes, de monter plus de projets d’exposition. Un métier non stop !

« Larock-Granoff histoire d’une galerie » par Clotilde Scordia (Mare et Martin arts) crédit Galerie Larock-Granoff
MdF. Quelles sont les qualités nécessaires selon vous pour exercer ce métier ?
GL. Le sens du contact car au-delà d’une certaine sensibilité, il faut aimer les gens. On l’oublie et certaines personnes ont l’impression que le métier de galeriste est quelque chose d’un peu froid où l’on sort les œuvres d’un coffre pour les mettre sur un mur ! Il y a tout un travail en amont souvent peu visible de conseil et d’orientation, de choix et de soutien inconditionnel dans un échange permanent. On doit réussir à satisfaire les deux parties dans une confiance mutuelle avant, pendant, après l’événement de l’exposition. L’objectif est la diffusion et la réussite des artistes d’où une mutualisation des efforts et un travail en bonne intelligence. Nous mettons tout en œuvre pour que l’artiste soit le plus visible à travers toute une programmation en parallèle de l’exposition. Il est essentiel de faire parler les artistes de leurs œuvres afin d’être à notre tour les meilleurs ambassadeurs possibles. J’enregistre d’ailleurs l’artiste à voix haute pour être au plus juste de ses intentions par la suite. Il n’y a pas juste l’œuvre en elle-même, il y a le message que l’on ait ou non l’intention de le voir. L’émotion est aussi un phénomène important, c’est pourquoi certaines œuvres nous touchent et d’autres pas. Cela ne s’explique pas vraiment et c’est aussi ce qui fait la beauté du métier ou la beauté de l’art tout court.
Infos pratiques :
33ème Salon du dessin
Du 26 au 31 mars
Palais Brongniart
Place de la Bourse, 75002 Paris
Tarif plein 16 €
Réduit 8 €
Actuellement à la galerie :
Les Métamorphoses, Diane Victor
à venir :
Génération Pierre Larock, exposition hommage
Le livre du centenaire :
« Larock-Granoff histoire d’une galerie » par Clotilde Scordia (Mare et Martin arts)
13 Quai de Conti, 75006 Paris