Vue de l’exposition Crush, Beaux-Arts de Paris, 2025 photo Aurélien Mole
Horya Makhlouf, critique d’art et coordinatrice artistique au Palais de Tokyo est l’une des commissaires avec Julia Marchand et Chris Cyrille-Isaac de l’édition 2025 de Crush autour de 79 étudiantes et étudiants de 4e et 5e année aux Beaux-Arts de Paris. Elle revient sur les partis prix méthodologiques et scénographiques qui l’ont guidé et la diversité des médiums et pratiques propres aux Beaux-Arts de Paris. Une expérience qu’elle juge très positive alors qu’Horya prépare un projet d’exposition au Palais de Tokyo avec Chalisée Naamani, diplômée des Beaux-Arts de Paris.
Horya Makhlouf est historienne de l’art, autrice et critique d’art. Elle est également coordinatrice artistique et commissaire des projets spéciaux au Palais de Tokyo depuis 2024. Diplômée de l’École du Louvre après trois années de classe préparatoire aux grandes écoles, elle défend la capacité émancipatrice des arts dans la société en croisant différentes approches, empruntées à l’histoire de l’art, à la fiction ou aux sciences sociales. Avec l’écriture et l’exposition, elle explore les manières dont se constituent les mémoires, circulent les grandes et les petites histoires, et ce que peuvent les institutions et la poésie dans ces processus. Récemment, elle a été commissaire de l’exposition Une Affaire de famille (CAC Passerelle, Brest, 24.10.2024 – 25.01.2025), du parcours de la Nuit Blanche à Césure (Paris, juin 2023), co-commissaire de Banlieues Chéries (avec Susana Gállego-Cuesta et Aleteïa (Emilie Garnaud), MNHI, Paris, 9.04 – 07.08.2025), Renée Levi, LA ELLE (avec Hugo Vitrani, Palais de Tokyo, Paris, 16.10.2024 – 11.05.2025) et a participé à penser une Chambre des Échos – Hommage à Akira Toriyama au Palais de Tokyo (avec Simon Bruneel et Miangaly Randriamanantena, Paris, avril 2024).
A quand remonte l’invitation pour Crush ?
J’ai été invitée par Mélanie Bouteloup, responsable des expositions, à être l’une des trois commissaires de cette édition de Crush avec pour principe de ne pas procéder à une sélection mais de répondre à toutes les demandes. Crush a eu l’occasion de tester de nombreuses modalités et cette formule à trois voix me semble pertinente. Nous sommes partis de 80 candidatures entre les 4eet 5e année que nous nous sommes réparties de façon neutre par ordre alphabétique. Chacun.e des artistes a eu un entretien lors d’une visite à l’atelier, ce qui a été une expérience très stimulante autour d’une vraie diversité de pratiques. J’aime particulièrement rencontrer des artistes à leurs ateliers. Ensemble, nous avons choisi une œuvre qui représente le mieux l’état de leur travail aujourd’hui à cet instant donné pour faire partie de cette installation qui est régulièrement utilisée aux Beaux-Arts et qui reste modulable. L’idée était de trouver le juste milieu pour que chacun se sent à l’aise et bien représenté.

Vue de l’exposition Crush, Beaux-Arts de Paris, 2025 photo Aurélien Mole
Qu’est ce qui ressort selon vous, de ce panorama ?
Avec mes deux collègues commissaires une fois la sélection aboutie et au fur et à mesure de nos réunions autour de l’organisation et répartition dans l’espace les différentes œuvres, nous avons réalisé que certains thèmes revenaient. Dans la mesure où les artistes sont à l’écoute du bruit du monde, ils incarnent le reflet de ce qui traverse notre société : une certaine attention au vivant, à l’organique, au paysage industriel et enjeux écologiques tout en ayant à cœur de représenter leurs propres histoires personnelles pour les fondre dans des histoires plus collectives, que cela passe par de la peinture, des archives, de la vidéo, des installations avec une manière d’investiguer et d’interroger le white cube. La pluralité des médiums est l’une des spécificités des Beaux-arts de Paris, de même qu’un réel talent des étudiants.

Vue de l’exposition Crush, Beaux-Arts de Paris, 2025 photo Aurélien Mole
Pouvez-vous revenir sur certaines œuvres particulièrement marquantes ?
Commençons par Kiek Nieuwint, elle est à la fois artiste régisseuse, dessinatrice et entremêle toutes ces pratiques à l’intérieur de cette grande colonne de dessins sur des scotchs qu’elle récupère de son travail de régisseuse. Ces reliquats sont recomposés dans un geste de réappropriation dans un héritage moderniste de la colonne sans fin. Une présence très poétique et douce au monde que j’apprécie.
Parisa Mousavi propose une installation et une performance très délicate dans l’attention au corps, à la manière d’interagir ensemble, de faire avec l’espace et les espaces, les interstices que l’on habite ou pas. Ses performances sont très souvent collaboratives, entre le geste, la danse et l’installation autour d’œuvres qui rejoignent les questions abordées par son corps.
Mehdi Guinchard pour cette œuvre intitulée le travail s’est inspiré d’une statue du XIXème siècle érigée sur une place centrale de Mulhouse en l’honneur des travailleurs. L’artiste s’identifie beaucoup à cette figure ayant lui-même beaucoup travaillé avant de faire une reconversion et devenir artiste aux Beaux-Arts de paris. Il aborde de nombreux rapports à la peinture entre graffiti, aérosol et peinture à l’huile dans une habilité à joindre des traditions picturales et patrimoniales aussi différentes. Cette phrase est presque devenue sa devise « Fortitudo e dolore/courage et douleur ».
Dahlia Rebecca investit le son, la performance et la comédie musicale. Elle réalise pour la première fois sa première sculpture en carton dans une esthétique DIY qu’elle va activer lors d’une performance. Cette voiture chante son besoin d’être conduite et d’être amoureuse. Une introduction pour un opéra en puissance. Des histoires de carrosseries et de projections virilistes.
Joséphine Loembe-Sauthat a vrai un savoir-faire en gravure sur de nombreuses techniques. Elle procède par rébus et associations de gestes. Cette plaque de gravure représente une carte postale avec un horizon d’une station balnéaire. Quand on se rapproche l’on aperçoit les détails de cette plage et les variations possibles de cet exotisme associé à une telle vision. Ces deux tiges de bois encadrent la scène et la maintiennent en équilibre précaire.
En termes de vidéo, Anaïs Legros propose une reconfiguration en 3D de son propre personnage en train de chanter une chanson d’amour en espagnol qui parle de rupture amoureuse et de rebond. L’artiste gravite entre les univers de la vidéo, la performance, la musique.
Pour en venir au Palais de Tokyo : quel est votre rôle ?
Je suis coordinatrice artistique et commissaire des projets spéciaux. Je travaille actuellement autour d’une exposition avec une artiste qui vient des Beaux-Arts de Paris, Chalisée Naamani. Je l’ai rencontrée ici au moment de son diplôme. Des liens qui se tissent naturellement.
A découvrir également lors de votre visite FELICITES 2024 par Anael Pigeat. Intitulée « L’art et la vie et inversement » l’exposition qui réunit 26 artistes sur l’ensemble des diplômés. Il s’agit de corps fragmentés, de visions d’enfance, de rebuts et d’arpentage, de généalogies de l’intime…
Catalogue de l’ensemble des diplômés, éditions Beaux-arts de paris, 20 euros (disponible à l’accueil-librairie)
On ne peut que regretter le départ d’Alexia Fabre, directrice de l’établissement qui a fait un travail remarquable depuis son arrivée en 2022.
Infos pratiques :
Crush
Jusqu’au 16 mars
Les Félicités
L’art et la vie et inversement
jusqu’au 16 mars
à venir : chère Melpomène
Cour vitrée
14 rue Bonaparte, Paris 6e
Tous les jours de 13h à 19h