Interview Guillaume Piens, Art Paris 2025 de retour au Grand Palais : inclusivité et ouverture !

Maty Biayenda L’Etoile rouge 2024 courtesy the artist, Double V Gallery

Avec 170 exposants en provenance de 25 pays, Art Paris réinvestit le Grand Palais et lance le printemps de l’art autour de grandes nouveautés : un secteur design, trois expositions, un prix en faveur des artistes femmes qui sont représentées à hauteur de 40% cette année, un secteur émergence augmenté (25 galeries) confié à Marc Donnadieu, tandis que le regard sur la scène française est assuré par Numa Hambursin, directeur général du MO.CO. et Amélie Adamo, commissaire, réunissant une trentaine d’artistes. L’autre thématique 2025 s’oriente autour des trajectoires migratoires et hybridations culturelles sous le commissariat de Simon Lamunière. L’ouverture est ce qui caractérise cette édition comme le rappelle Guillaume Piens, inclusive et capable de traiter à la fois d’art brut, de design, de photographie, d’art aborigène, de BD.. à travers de nombreux axes. Avec 60% d’enseignes françaises, Art Paris reste fidèle à son ADN tout en maintenant son cosmopolitisme avec une présence internationale vigoureuse. Tous les signaux sont donc au vert dans cet écrin d’exception qui rejoue les possibles ! Guillaume Piens a répondu à mes questions. 

Israfil Ridhwan If I May Rot, 2024 courtesy the artist, Cuturi Gallery Solo Show sector

Marie de la Fresnaye. Quelles ont été vos priorités face à cette nouvelle configuration offerte par le Grand Palais ?

Guillaume Piens. Ces espaces supplémentaires, de l’ordre de 1000, nous permettent de réaliser plus de choses que les éditions précédentes au Grand Palais Ephémère à commencer par un élargissement du secteur « Promesses » dédiée à l’émergence sur les Balcons Sud qui passe à 25 galeries (moins de 10 ans d’existence) contre une dizaine précédemment. La sélection est très internationale à hauteur de 59% et 17 enseignes qui font leur premier pas à Paris, ce qui donnera un secteur d’une grande fraîcheur. La sélection a été confiée à Marc Donnadieu, membre du comité de sélection et curator indépendant.

Studio Catoire, Crystal Cone Suspension, 2017 courtesy Studio Catoire French Design art Edition sector

La partie Nord des Balcons accueille la nouvelle plateforme « French Design Art Edition » conçue avec Jean Paul Bath et Sandy Saad, commissaires d’expositions et dirigeants de l’association Le FRENCH DESIGN autour de pièces de design uniques ou en série limitée. Elle comprend une exposition collective de 130m² et une sélection de 18 stands avec des galeries (Zèbres paris) mais aussi éditeurs (Bruno Moinard), studios d’architectes, de designers (Catoir, Pauline Leprince, Pierre Bonnefille)…Une proposition originale qui met l’accent sur la valorisation du design made in France et des arts décoratifs contemporains, à partir d’une scénographie de Jakob + MacFarlane. 

Pauline Rose Dumas Rebours #4, 2024 courtesy the artist, Anne-Laure Buffard Galerie

Le secteur principal accueille, dans le Nef 124 galeries et autour de l’Escalier d’Honneur et du Paddock, des espaces permettent de proposer trois expositions à commencer par « Neuma, the forgotten ceremony », l’installation des artistes Sarah Brahim et Ugo Schiavi en préfiguration de la villa Hegra. Nous accueillons aussi pour la première fois le Fonds d’art contemporain Paris Collections dans le cadre de notre nouveau partenariat avec la Ville de Paris. Une sélection d’une quarantaine d’œuvres sur les 23 500 au total va être montrée en écho avec la thématique 2025 de la figuration, dans une approche historique et contemporaine. 

Une autre exposition sera dédiée aux 10 ans de mécénat de la Maison de maroquinerie parisienne Camille Fournet avec « Le chuchotement des mains » sous le commissariat de l’artiste Lucien Murat. 

« Neuma, the forgotten ceremony » Sarah Brahim et Ugo Schiavi, AlUla, Villa Hegra

MdF. Comment est né ce projet avec AlUla, en préfiguration de la villa Hegra, centre culturel et espace de coopération entre la France et l’Arabie Saoudite ?

J’ai d’une part de nombreuses affinités avec le monde arabe et ai été l’un des premiers à proposer une plateforme en 2018 avec l’Arabie Saoudite et le Misk Art Institute qui a été interrompue par la suite. Cela fait longtemps que je regarde cette partie du monde et étant en relation avec l’Agence française pour le développement d’AlUla, j’avais le désir d’offrir un focus autour de cet ambitieux projet. L’installation qui a été dévoilée en décembre dernier à AlUla est le fruit d’une résidence d’artistes et se veut un hommage aux pratiques rituelles des tribus préislamiques d’AlUla, en lien avec des archéologues et des communautés locales de la région. Cette exposition contemplative préfigure les contours de la villa franco-saoudienne Hegra et ses programmes artistiques. 

Amélie Adamo et Numa Hambursin, commissaires Immortelle, Art Paris 2025 DR

MdF. La peinture figurative est la thématique 2025 à travers Immortelle : quels enjeux ? 

GP. Immortelle est née d’une première exposition au MOCO Montpellier sous l’impulsion de Numa Hambursin, directeur général et Amélie Adamo, commissaire indépendante qui évoquait  à la fois la permanence et la montée en puissance de la peinture figurative en France. La thématique pour Art Paris propose une sélection de 30 artistes historiques et contemporains. Nous souhaitions avec les commissaires inscrire cette peinture figurative dans une histoire et non pas donner juste le reflet d’un engouement actuel. L’idée était donc de faire des liens avec d’autres générations en commençant par des personnalités comme Jean Hélion (galerie Trigano) pour aller vers les années 1970 avec Gérard Schlosser (galerie Koren) ou Sabine Monirys (galerie Kaléidoscope), les années 80 avec Robert Combas (Strouk gallery) et aborder la période plus actuelle avec notamment Thomas Levy-Lasne (Les Filles du Calvaire) à l’initiative de l’évènement très remarqué « Le jour des peintres » au musée d’Orsay. 

Oda Jaune, T like the Thinker 2023, courtesy the artist, Templon Immortelle sector

MdF. Pourquoi un tel engouement selon vous pour la peinture figurative ? 

GP. Cette montée en puissance de la peinture figurative s’explique sans doute par un besoin d’incarnation après un art très conceptuel et néo- Duchampien très soutenu en France par les institutions. Il est intéressant de montrer la persistance de ce medium qui est capable d’aborder beaucoup de sujets. Ces artistes s’inscrivent dans un rapport à l’histoire de l’art et aux grands enjeux de la société comme avec l’artiste Maty Biayenda (Double V Gallery) qui aborde les questions d’invisibilité liées aux minorités, Barbara Pavi (galerie Valérie Delaunay) qui se penche sur les bouleversements de l’anthropocène ou Lea Toutain (Camille Pouyfaucon) qui ausculte l’intime au bord du voyeurisme. A noter le dialogue proposé par la galerie Béatrice Saint Laurent entre la peintre Marlène Moquet et la designer israélienne Ayala Serfaty.

Zena Assi, Hummings beards over my city 2022 courtesy the artist, Galerie Tanit Hors Limites sector

MdF. Hors Limites, l’autre thématique de cette édition 2025 est un reflet du métissage et de l’hybridation des parcours et des cultures : qu’est-ce qui ressort de cette sélection ? 

GP. Cette sélection confiée à Simon Lamunière, commissaire d’exposition, réunit 18 artistes ayant connu pour la plupart des trajectoires migratoires ou venant de zones de conflit. Entre ici et là-bas. Beaucoup sont des femmes, 13 au total qui témoignent des bouleversements du déracinement et ces rencontres et hybridations avec d’autres cultures. Citons l’ukrainienne Zhanna Kadyrova (Galleria Continua) très impliquée dans la révolution « Orange » à Kiev en 2004 et membre du groupe Revolution Experimental Space. Elle parle de cette résistance et montre la série Refugees de 2003 autour de ces institutions publiques défigurées par les bombes. Il y a aussi Zena Assi (Tanit) artiste libanaise installée à Londres qui utilise différents mediums comme la peinture ou la céramique pour mettre en avant le désordre engendré par la guerre. La photographe irako-palestinienne Sama Alshaibi (Esther Woerdehoff) réfugiée aux Etats-Unis s’intéresse à la question de la mémoire et de la perception de l’image de la femme moyen-orientale. L’artiste espagnole Dora Garcia (Michel Rein) met en œuvre de façon radicale des dispositifs de performance conceptuels autour des pratiques marginales et anti institutionnelles. La peintre et sculptrice mozambicaine-italienne Bertina Lopes (Richard Saltoun) opère une synthèse entre les influences africaines et européennes d’avant-garde. Pionnière et militante des causes anticolonialistes, elle a été exposée à la dernière Biennale de Venise. 

Zaho Zaho Constellations N°10, 2015 courtesy the artist, Tang Contemporary Art Hors Limites sector

MdF. Les Solo show sont nombreux, 26 cette année : quelles propositions ressortent-elles ? 

GP. Certains solo show sont tournés vers des figures historiques comme Vera Molnar (Oniris galerie), Irving Petlin (Ditesheim & Maffei Fine Art), le sculpteur A.C.M. en ce qui concerne l’art brut (Ritsch-Fisch galerie) ou Shafic Abboud et l’art moderne libanais (Claude Lemand). Des ouvertures vers d’autres univers comme avec la galerie canadienne Chiguer art contemporain et l’artiste inuit Pitseolak Qimirpik ou Rebecca Hossack Gallery et l’artiste aborigène Naomie Hobson. Salon h montre l’artiste brésilien Felipe Rezende qui travaille à partir de matériaux trouvés autour d’interactions sociales au quotidien. La galerie singapourienne Cuturi dévoile l’artiste Israfil Ridhwan qui aborde des sujets homo-érotiques, la 193 Gallery se concentre sur l’artiste américaino-cubain Rafael Domenech exposé par le centre d’art Passerelle à Brest. La galerie Capazza se concentre sur les installations immersives d’Anaïs Lelièvre. La bande dessinée est présente avec Enki Bilal à la galerie Barbier. Une grande diversité peut-on dire pour résumer irrigue ces expositions monographiques. 

Sama Alshaibi The Harvest, 2019 courtesy the artis, Esther Woerdehoff galerie

MdF. Les prix 2025 : un engagement fort !

GP. Nous avons tout d’abord le Prix BNP Banque Privée qui est reconduit et adossé au thème autour de la scène française de l’édition selon l’articulation que j’ai mise en place. Après Fragiles utopies en 2024, c’est à présent Immortelle qui est valorisé. Nous avons sélectionné 25 artistes et le ou la lauréate proposé.e par le Jury sera récompensé.e d’une dotation de 40 000 euros. 

Evi Keller Matière-Lumière ML-V 24-0508 2024 courtesy the artist, Galerie Jeanne Bucher Jaeger Prix Her Art

Le nouveau Prix Her Art s’inscrit dans la continuité du travail entrepris par Art Paris autour de la visibilité des artistes femmes depuis plusieurs années. J’ai été l’un des pionniers en confiant à AWARE en 2019 un focus sur la scène française d’un autre genre. Grâce à l’intelligence artificielle, nous avons pu calculer la proportion exacte de femmes présentes pour cette édition, qui représente 40%, ce qui est significatif. Ce Prix dont la dotation s’élève à 30 000 euros est à l’initiative de Marie Claire magazine en partenariat avec la maison Boucheron. Un engagement fort si l’on compare à d’autres prix dans ce sens. Nous avons une sélection de 12 finalistes parmi les propositions des galeries participantes. Entre plusieurs générations, elles sont particulièrement engagées dans leur vie et dans leur art comme notamment l’artiste Mari Katayama représentée par la galerie Suzanne Tarasiève qui a su faire de son handicap sa source d’inspiration, ou l’artiste Evi Keller (Jeanne Bucher Jaeger), lauréate du Prix Bianca Carta autour du pouvoir transformateur de l’art sur la maladie. 

Nous avons aussi l’artiste vietnamienne Thu-Van Tran qui dénonce l’agent orange dans des interventions in situ symboliques. Kiki Smith parmi les ainées très engagée dans les luttes contre le sida, traite à présent d’écologie. De même avec Suzanne Husky, autre figure de l’écoféminisme. 

De vraies combattantes !

Infos pratiques :

Art Paris, 27ème édition

Du 3 au 6 avril 2025

Grand Palais 

Horaires :

Ouverture au public :
Jeudi 3 avril 2025 : 12:00 – 20:00
Vendredi 4 avril 2025 : 12:00 – 21:00
Samedi 5 avril 2025 : 12:00 – 20:00
Dimanche 6 avril 2025 : 12:00 – 19:00

Prix d’entrée :
Jeudi ou vendredi : 30 € / 15 € pour les étudiants
Samedi ou dimanche : 35 € / 20 € pour les étudiants

https://www.artparis.com/fr